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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 5 février 2012

Schubert : dans une classe à part

Par L. H. Tiffany Hsieh / 1 février 2012

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CD Découverte : Jonathan Crow & Phillip ChiuQuelle classe, ce Schubert ! Voilà ce que s’exclamaient le violoniste Jonathan Crow et le pianiste Philip Chiu à tout bout de champ pendant l’enregistrement de la Sonate en la majeur, op. posth. 162, D.574, du Rondo en si mineur, op. 70, D.895 et de la Fantaisie en do majeur, op. posth. 159, D 934 du compositeur viennois.

« Pour nous, ces œuvres magnifiques, qui peuvent être aussi enrageantes qu’inspirantes, montrent à quel point Schubert avait de la classe. C’est peut-être une drôle de façon de parler, mais cela traduit bien ce que nous ressentions en travaillant sur chacune des nuances, attaques, mesures et phrases. »

Décrit par Crow comme un « étrange compositeur de musique grand public », Franz Schubert (1797–1828) est sans doute mieux connu pour avoir été le maître du lied. Il estime que ses œuvres pour violon et piano, souvent négligées, expriment des idées convenant autant à la musique vocale qu’à la musique de chambre.

« Je suis un grand admirateur de Schubert, dit-il. J’aime ses symphonies tardives tout autant que ses quatuors et lieder. »

D’ailleurs, ce sont les lieder de Schubert qui ont inspiré le duo.

« Quand j’entends Jonathan jouer le début de la Fantaisie, je trouve cela sublime, s’exclame Chiu. C’est peut-être le meilleur exemple de la tonalité chantante que nous recherchons partout. Voilà ce que j’admire le plus chez Jonathan : son oreille est à l’affût de toute déviation par rapport à un geste qui doit rester essentiellement vocal. »

Composée en 1827, la Fantaisie pour piano et violon est une œuvre que Crow se souvient avoir entendue pour la première fois à l’âge de 13 ans à la radio. « Elle m’a paru assez déconcertante au début, dit-il. Mais même sans la comprendre, je l’ai trouvée fascinante. »

Crow a eu l’occasion de la jouer pour la première fois il y a environ cinq ans. L’année dernière, quand on lui a offert de l’enregistrer, il s’est adressé à Chiu. Pour mettre l’auditeur du CD en situation, les instrumentistes ont choisi le Rondo (1826) et la Sonate en la majeur (1817).

« La Sonate en la majeur possède une structure tout à fait normale et on entend bien où Schubert veut en venir, explique Crow. Le Rondo est également sans surprise : avancé sur le plan harmonique, mais pas aussi aventureux que la Fantaisie, qui est le couronnement de tout le reste. Elle est excessivement ardue. C’est une œuvre aussi difficile à maîtriser individuellement qu’à jouer en duo [avec Chiu]. »

Quant à la place de ces œuvres dans la musique de chambre, Chiu indique que la Sonate, le Rondo et la Fantaisie, en plus de faire de grands pas vers la représentation égale des instruments, sont des façons originales de rendre le dialogue entre le piano et le violon. « Les sonates pour piano et violon de Beethoven finissent également par jeter un éclairage égal sur les deux instruments, mais ils peuvent également s’affronter, souligne Chiu. Les œuvres de Schubert sont plutôt des conversations entre deux amis qui se promènent ensemble; c’est surtout à cause de la grande influence du folklore sur ses compositions. »

Folklorique ou non, cette musique exige un degré de virtuosité extrême des deux musiciens, surtout dans le Rondo et la Fantaisie. D’après Chiu, il ne s’agit pas de cette virtuosité qui s’acquiert avec le temps et la pratique, mais de l’autre, celle qui demeure aussi difficile à atteindre au 1000e jour qu’au premier.

« C’est en travaillant sur ces pièces avec lui que je me suis rendu compte que Jonathan était un être humain comme moi, plaisante-t-il. Je crois même avoir entendu quelques petites fausses notes de sa part, alors qu’il est capable de passer au travers du concerto le plus diabolique comme un couteau dans du beurre mou. »

Les pièges que la partition réserve à chacun des musiciens ne font que s’amplifier quand ils jouent ensemble. « C’était comme un cours de maître pour apprendre à détacher son regard et ses oreilles de sa propre partie pour mieux observer et écouter celle de son partenaire », confie Chiu.

Grâce à l’entente qui existe spontanément entre eux, Crow et Chiu ont réussi à s’équilibrer de façon à aider les auditeurs à comprendre la musique, qui est «bien plus qu’une suite de beaux moments », affirme Crow. Il ajoute : « Nous voulions enregistrer un CD qui présenterait de manière intelligente un répertoire que nous aimons, en donnant le sens d’un tout qui avance vers quelque chose de beau. Avec Chiu, je n’ai plus besoin de réfléchir. Nous ressentons la musique et le pouls de manière identique. »

En fin de compte, le défi à relever n’était pas tant de jouer ces œuvres « que de le faire sans que l’auditoire pense qu’on était parfois sur la corde raide, dit Chiu. Nous étions déterminés à rendre la tonalité chantante, l’élégance du phrasé et, bien sûr, l’impression de grande classe qui émane de cette musique ».

Traduction : Anne Stevens


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(c) La Scena Musicale 2002