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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 4

Lan Tung : Jouer sur des cordes sensibles

Par Crystal Chan / 1 décembre 2011

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Lan Tung vit et respire le paradoxe. Elle se tient à la croisée des chemins entre l’Orient et l’Occident, l’innovation et la tradition, l’interprétation et la composition, le travail de soliste et celui de collaboratrice. Pas étonnant donc qu’elle ait baptisé son groupe « Birds of Paradox » ! Ce projet conjugue les influences indiennes, celtiques et chinoises, mais ses nombreux autres, notamment l’Orchid Ensemble (finaliste aux prix JUNO), le Vancouver Inter-Cultural Orchestra et Tandava, sont également marqués par la confluence des styles.

Née à Taïwan et installée à Vancouver, Lan Tung est souvent en tournée avec son instrument, l’erhu. D’une semaine à l’autre, il peut lui arriver d’être soliste avec orchestre, puis d’accompagner un spectacle d’arts visuels, de multimédia ou de danse. Dans ses moments « libres », elle sillonne le globe pour étudier auprès de maîtres en instruments à cordes de toutes sortes : l’erhu en Chine, à Taïwan, au Canada et aux États-Unis, l’improvisation avec la violoniste Mary Oliver à Amsterdam, la musique classique hindoustanie auprès de Kala Ramnath à Bombay, la musique égyptienne et le maqâm avec Alfred Gamil au Caire ou bien les partitions graphiques et l’improvisation avec Barry Guy en Suisse, sans compter la musique vocale et la musicothérapie. Ces projets sont l’occasion de tisser des liens entre différents domaines : musique du monde, contemporaine ou multidisciplinaire, musique de chambre ou orchestrale… Toutes ces influences transparaissent dans ses propres compositions et improvisations.

D’après elle, ce n’est rien de bien nouveau, puisque le choc des cultures inspire les musiciens du monde entier depuis toujours : « Il est tout à fait normal que les musiciens goûtent à différents styles. Les dissonances font découvrir de nouvelles sonorités. J’aime la tension qui existe entre l’insolite et l’ordinaire. »

Paradoxalement, cet éclectisme dans le répertoire ne s’étend pas à son choix d’instruments. Si elle a tâté du piano et de la guitare pendant ses études secondaires, c’est à l’erhu qu’elle se consacre depuis l’âge de 10 ans. « J’ai une collection d’instruments à cordes de différents pays que j’aimerais bien maîtriser, mais je manque de temps pour m’y mettre, dit-elle. J’ai encore des choses à apprendre sur mon instrument. » En fait, c’est presque par hasard qu’elle s’est initiée à l’erhu. « J’avais juste envie d’apprendre à jouer d’un instrument, raconte-t-elle. Taïwan n’était pas encore une puissance économique, et peu de familles avaient les moyens de se payer un piano ou des leçons. La création d’un orchestre de musique chinoise à l’école m’a donné la chance de faire de la musique gratuitement. Je me suis inscrite immédiatement. »

On dit souvent que l’erhu est un violon chinois, et cette comparaison a son utilité : ce sont deux instruments à cordes, faits de bois, et de tessiture aiguë – l’erhu ayant un moindre registre, de deux octaves et demie – que l’on joue avec un archet en crin de cheval. Par contre, l’erhu est tenu à la verticale sur la cuisse de l’instrumentiste, l’archet placé entre les deux cordes. Chaque côté de l’archet est enduit de colophane et frotte une corde. La tenue de l’archet par en dessous est similaire à celle employée pour la contrebasse à l’allemande; c’est comme manger avec des baguettes. Il n’y a pas de touche : les doigts sont posés sur les cordes tendues par-dessus le bois. Ainsi, on peut jouer de cet instrument plus longtemps sans se fatiguer. Le musicien change la hauteur du son en faisant glisser les doigts et en exerçant une pression plus ou moins forte sur les cordes, ce qui donne un autre genre de vibrato. Bien entendu, il existe des différences entre l’erhu de base et l’instrument classique, puisqu’il se décline en plus de 50 variantes folkloriques en Chine. Les cordes sont traditionnellement en soie, mais aussi en acier. Les instruments utilisés par l’Opéra de Beijing étaient faits de bambou, et ceux du Sud, en noix de coco.

Loin de se lasser d’entendre comparer le violon et l’erhu, Lan Tung estime que le jeu du familier et de l’exotique fait toute la beauté d’une musique qui fait se chevaucher les cultures et les genres. « Quand les gens entendent de la musique, ils font tout naturellement des liens avec ce qu’ils connaissent, explique-t-elle. L’écoute est une chose subjective qui dépend de l’expérience de tout un chacun. L’effet n’est pas forcément celui que recherchait l’interprète ou le compositeur, mais peu importe, ça marche. Par exemple, dans mes compositions, j’utilise parfois des mélodies chinoises que j’adapte en jonglant avec les modes et les mélodies. Je trouve ça très intéressant, parce qu’on déstabilise ainsi l’oreille qui s’était habituée à entendre certaines choses. Voilà pourquoi je n’ai pas le temps de jouer d’un autre instrument : j’en suis encore à apprendre la musique, et pas uniquement la musique chinoise ou l’erhu. Je fais l’acquisition de langages musicaux. » Une pause, puis elle ajoute : « La musique est tellement plus riche si l’on dépasse les frontières entre le traditionnel et le contemporain pour ne penser qu’à la musique ! »


www.lantungmusic.com

Lan Tung joue des solos d’erhu avec l’Orchestre Métropolitain dans Heartland, de Mark Armanini :
• 25 janvier, église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, Verdun
• 26 janvier, Maison symphonique, Montréal
• 28 janvier, salle Désilets du Cégep Marie-Victorin, Rivière-des-Prairies

www.orchestremetropolitain.com

Traduction : Anne Stevens

Contrairement à certains autres 
instruments chinois, l’erhu a peu de répertoire ancien. L’instrument 
a plus de mille ans, mais il servait surtout à accompagner la musique 
folklorique ou les opéras, et les pièces les plus anciennes du répertoire 
datent des années 1920. Pour commencer, écoutez Erquan Yinyue d’Abing, 
l’un des morceaux les plus connus. Il en existe de nombreux arrangements 
et enregistrements, y compris dans la neuvième édition des Norton 
Recordings.


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