Ana Sokolović, une imagination pour notre temps Par Caroline Rodgers
/ 1 décembre 2011
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Version Flash ici.La compositrice Ana Sokolović
est mise en lumière cette année par la Société de musique contemporaine
du Québec qui, après Claude Vivier et Gilles Tremblay, lui consacre
la troisième édition de sa Série Hommage.
Née à Belgrade en 1968, la compositrice
a grandi dans un environnement riche en culture et en créativité où
elle a pu, très jeune, apprendre le ballet, suivre des leçons de piano
et faire du théâtre. Dès l’adolescence, elle compose de la musique
pour des pièces de théâtre.
Après des études de composition
à l’université de Novi Sad et à l’université de Belgrade, elle
enseigne pendant quelques années, puis décide d’immigrer au Canada
en 1992. Elle fait une maîtrise en composition à l’Université de
Montréal avec José Evangelista et épouse Jean Lesage, lui aussi compositeur.
Pour cette néo-Québécoise, Montréal
est un environnement idéal à l’éclosion de la musique nouvelle.
« On entretient ici des liens très étroits avec l’Europe, mais
il y a une liberté en Amérique du Nord que les Européens n’ont
pas, dit-elle. Le poids de la tradition et du jugement est moins lourd
ici, il y a une ouverture d’esprit extraordinaire qui n’existe nulle
part ailleurs en Occident. Je suis extrêmement contente de pouvoir
travailler ici. »
L’œuvre de la compositrice est
riche et diversifiée : opéras, musique de chambre, musique pour le
théâtre et la danse et pièces pour instruments solos jalonnent son
parcours créatif. Plusieurs ensembles et solistes prestigieux lui commandent
des pièces ou les interprètent, dont l’OSM et l’Ensemble contemporain
de Montréal.
Dans le cadre de la Série Hommage,
plus de 80 concerts et activités à travers le pays permettront au
public de découvrir sa musique colorée, originale et teintée du bagage
folklorique de son pays d’origine.
Ana Sokolović, une
chronologie |
1968 :
Naissance à Belgrade
1979 : Comédienne au Théâtre national yougoslave
1980-1981 : Animatrice d’émissions télévisées
1986-1990 : Études musicales à l’Université de Novi Sad
1992 : Installation à Montréal
1993-1995 : Maîtrise en composition, Université de Montréal
1995-1996 : Premiers concerts professionnels à Montréal
1996 à 2011 : Composition et création d’une quarantaine d’œuvres
à Toronto, Montréal, Winnipeg, Londres, Halifax, Banff |
Les
prix |
1999 :
Premier prix du Concours des jeunes compositeurs de Radio-Canada et
grand prix toutes catégories pour Géométrie sentimentale
2005 : Prix Joseph S. Stauffer du Conseil des arts du Canada
2007 : Prix Opus pour le « compositeur de l’année »
2009 : Prix du Centre national des Arts
|
L’opéra, langage universel
La compositrice a déjà écrit trois opéras, qui ont tous été
créés à Toronto par la compagnie Queen of Puddings Music Theatre.
Pour son dernier, Svadba,
mot qui signifie mariage en serbe, elle s’est inspirée du modèle
des Noces de Stravinski, qui relate un mariage paysan en Russie.
Dans cette œuvre pour six voix féminines, Sokolović s’est concentrée
sur les moments qui précèdent le mariage, ce que l’on appelle en
Amérique du Nord un shower. Son matériel de base : des chansons
et des textes associés à ce rituel à différentes époques dans son
pays natal, la Serbie.
« Il a été très difficile de
trouver des textes, mais j’ai réussi à trouver, par exemple, une
chanson chantée lorsque l’on colorait les cheveux de la mariée.
J’ai écrit le livret moi-même à partir de mes recherches. J’ai
appris que le rituel de préparation au mariage durait sept jours, il
y donc sept scènes dans mon opéra. Elles comportent tout ce qui peut
arriver quand on est très nerveux durant les préparatifs d’un événement
important : moments drôles, touchants, confrontation. »
L’œuvre a été créée l’été
dernier à Toronto. Chanté a capella, en serbe, avec surtitres
anglais, elle a été qualifiée de tour de force par la critique et
très bien reçue en général.
« Même si c’est en serbe, c’est
un thème très universel, dit la compositrice. Il y a des surtitres,
bien sûr. Cependant, l’important n’est pas de comprendre tous les
mots, mais de comprendre émotionnellement tout ce qui se passe. J’y
incorpore de la langue inventée et des onomatopées. Je joue énormément
avec la rythmique de la langue et je m’inspire de sa couleur et de
sa prononciation pour composer la musique. »
Dans le choix d’un thème d’opéra,
l’universalité est d’ailleurs essentielle à ses yeux. « Ce qui
m’intéresse, ce sont les archétypes humains qu’on y présente,
et que l’on peut transposer à toutes les époques et dans toutes
les nations, dit-elle. Une jeune fille qui se marie, qu’elle soit
en Inde ou au Québec, entreprend un nouveau chapitre de sa vie. L’aspect
émotionnel que j’ai envie d’explorer est présent partout. »
Ainsi, ses deux autres opéras,
The Midnight Court et Love Songs, traitent respectivement
du célibat et de l’amour. « The Midnight Court traite des
problèmes de célibat en Irlande au XIXe siècle, et il
est basé sur des textes de 1870. Mais chacun peut se reconnaître dans
ses personnages, car ce sont des thèmes humains universels et très
actuels. »
La compositrice, toutefois, aurait
bien aimé offrir ses opéras au public montréalais ! « On fait très
peu de création d’opéras ici, comparativement à Toronto, dit-elle.
Les jeunes compositeurs ont envie d’écrire, les jeunes chanteurs
ont envie d’essayer, et le jeune public a soif de cela, mais peu d’institutions
présentent de nouveaux opéras. »
Culture et musique actuelle
Les mots « musique contemporaine » font malheureusement souvent
fuir le public. Une situation que la compositrice veut faire tout son
possible pour changer !
« J’aimerais démystifier ce mot
qui fait peur et qui est associé, dans l’esprit des gens, à quelque
chose de désagréable, dit-elle. C’est faux, car la musique contemporaine,
celle qui s’écrit aujourd’hui, est très différente de celle d’il
y a quarante ou cinquante ans. Dans les années d’après-guerre, avec
l’avant-garde, on voulait découvrir la musique autrement en déconstruisant
la forme et les paramètres établis depuis des siècles. Cette période
était nécessaire pour son évolution, car le même phénomène s’est
produit dans tous les arts. Mais aujourd’hui, la musique nouvelle
emprunte tellement de formes et d’avenues différentes que même les
spécialistes ont du mal à s’y retrouver. »
Parmi le choix presque infini de
styles et d’influences, l’auditeur curieux peut certainement trouver
de quoi lui plaire, à condition d’essayer ! Or, il reste difficile,
quand on interroge les passants dans la rue, d’en trouver un qui soit
capable de nommer un seul compositeur québécois.
« Si les gens ne sont pas en mesure
de nommer des compositeurs québécois, ils risquent de ne pas être
capables, non plus, de nommer des peintres ou des poètes. Le problème
n’est pas seulement relié à la musique. »
À cet égard, le système d’éducation
devrait jouer un rôle plus actif pour faire découvrir les arts et
développer leur culture générale, croit-elle. L’État aussi doit
soutenir les arts et la culture et jouer son rôle pour rendre la musique
accessible. Mais tout le monde doit faire sa part.
« C’est aussi à nous, les compositeurs,
d’aller rejoindre le public. La culture stimule l’imagination. Et
il ne faut pas oublier que le monde sera toujours plus intéressant
si l’on fait preuve de plus d’imagination dans tous les domaines,
que ce soit dans les arts, les sciences ou la politique. Sans imagination,
le monde ne peut pas avancer. »
Quelques occasions d’entendre des
œuvres d’Ana Sokolović en décembre et en janvier :
» Orchestre de l’Université de Montréal, 3 décembre, 19 h 30,
salle Claude-Champagne
» Ensemble musique avenir, Conservatoire de musique de Montréal, 7
décembre, 19 h 30
» Concert saxophone et voix, salle Tanna Schulich, 13 janvier, 20 h
» Quatuor Molinari, Conservatoire de musique de Montréal, 26 janvier,
20 h
Pour la liste complète des activités
de la Série Hommage, consulter le site de la SMCQ au www.smcq.qc.ca English Version... |
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