Maryvonne Kendergi n’est plus Par Louise Bail, Auteure de Maryvonne Kendergi, La musique en partage
/ 1 décembre 2011
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Le 27 septembre dernier, à l’âge
de 96 ans, s’éteignait doucement Maryvonne Kendergi, l’un des plus
hauts phares de la modernité musicale au Québec. Celle que l’on
nommait « la grand-mère des compositeurs » ou la « grande dame de
la musique » emportait dans la tombe plus de 50 ans d’expérience
au service de la culture, de la création musicale et de ses artisans.
Le titre des mémoires de Maryvonne
Kendergi, La musique en partage, emprunté à une émission animée
par Françoise Davoine, est pertinent à cet égard. Le partage, en
effet, qualifie merveilleusement l’action personnelle et professionnelle
de Maryvonne Kendergi. Non seulement a-t-elle mis ses talents au service
de son entourage et partagé avec les plus démunis ce qu’elle économisait,
mais elle a aussi passé sa vie à établir des passerelles entre différents
milieux, saisissant toutes les occasions et profitant de toutes les
situations pour redistribuer ce qu’elle croyait avoir reçu généreusement
de la vie.
Ses réalisations démontrent ses
dons exceptionnels d’animatrice et d’organisatrice. La série d’émissions
Festivals européens (1956-1963), où elle met en ondes des œuvres
rapportées des grands festivals d’Europe, lui ouvre les portes d’une
brillante carrière radiophonique. En 1961, avec Pierre Mercure et Serge
Garant, elle organise la Semaine internationale de musique actuelle
dans le cadre du Festival de Montréal. Cette semaine sera un extraordinaire
électrochoc pour le milieu de la création musicale qui se voyait enfin
propulsé dans la vie culturelle montréalaise et internationale.
À l’instigation de Pierre Mercure,
elle contribue à instituer la Société de musique contemporaine du
Québec (SMCQ, 1966) aux côtés des compositeurs et musiciens qui en
formèrent le noyau fondateur : Serge Garant, Jean Papineau-Couture,
Hugh Davidson et Wilfrid Pelletier. En 1967, elle est invitée par Jean
Papineau-Couture à intégrer le corps professoral de la Faculté de
musique de l’Université de Montréal. Comme professeure, elle dresse
pour ses étudiants le cadre théorique des grandes œuvres qu’elle
présente à la radio. En classe, elle organise des discussions avec
les compositeurs d’ici (les Papineau-Couture, Tremblay, Mather, Prévost,
Morel et autres) et avec les musiciens d’ailleurs de passage à Montréal
(Stockhausen, Messiaen, Xénakis, Boulez).
En 1970, elle conçoit et organise
les Musialogues, dont les activités continueront d’animer la vie
musicale universitaire et montréalaise au-delà de sa prise de retraite
de l’université en 1981, et dont la formule sera récupérée par
nombre d’organismes artistiques. En 1980, elle prête volontiers son
concours à la fondation de l’Association pour l’avancement de la
recherche en musique du Québec (ARMuQ, qui deviendra l’actuelle Société
québécoise de recherche en musique ou SQRM). Elle en devient la première
présidente. Elle fait aussi don à l’Université de Montréal d’un
fonds Maryvonne-Kendergi, dont les bourses sont annuellement attribuées
aux étudiants en musicologie. Gilles Tremblay voyait dans ce geste
une sorte d’acte de foi envers la musique québécoise.
Arménienne d’origine, elle est
née le 15 août 1915 à Aïntab (Gaziantep), à la frontière australe
de l’actuelle Turquie, en pleine mouvance du massacre des Arméniens
durant la Première Guerre mondiale. Réchappée du génocide, sa famille
s’installe à Alep, dans une Syrie sous mandat français. En 1928,
la petite Maryvonne obtient son brevet d’études primaires chez les
sœurs Franciscaines missionnaires de Marie, où elle avait également
suivi des cours de piano, découvrant ainsi sa vocation musicale. Avec
sa mère et son jeune frère, elle prend la route de la France pour
poursuivre des études musicales à l’École normale de musique de
Paris, sous la supervision de Nadia Boulanger. Elle complète un diplôme
d’enseignement (1933), puis retourne au Moyen-Orient pour s’essayer
à une carrière de concertiste (1933-1937) qu’elle n’exercera qu’en
partie par la suite à la Cité universitaire de Paris. Durant la guerre,
elle réussit l’épreuve de piano de la licence d’enseignement (1940),
sous la direction d’Alfred Cortot, tout en poursuivant des études
à la Sorbonne où elle obtient une licence libre ès lettres constituée
d’esthétique, d’histoire de la musique, de littérature et d’histoire
de l’art.
Pendant la guerre, elle soutient
les efforts de la mobilisation (service aux prisonniers et aux réfugiés,
organisation de comptoirs alimentaires) et les activités de la Résistance,
dans des réseaux de sauvetage d’enfants juifs. Grâce aux amitiés
qu’elle développe pendant cette période, elle se verra confier,
après la guerre, l’organisation, la représentation et l’animation
d’activités culturelles à la Cité universitaire de Paris (1945-1952).
Elle participe notamment comme pianiste à des concerts-hommage à Arthur
Honegger et à Darius Milhaud. Elle y côtoie des compositeurs qui l’initient
à la jeune musique d’avant-garde, elle dont l’univers musical se
bornait à l’époque aux œuvres des Stravinski, Hindemith, Bartók
et du Groupe des Six.
Après quatre ans passés en Saskatchewan,
où elle fait d’intéressantes expériences au poste radiophonique
CFRG et au collège Mathieu, comme professeur, elle quitte Gravelbourg
en juin 1956. Elle songe alors à poursuivre une carrière de concertiste
à Paris, sans se douter qu’à son passage par Montréal, Marc Thibault,
alors directeur du réseau français de la radio, réussira à la retenir
dans la métropole avec cette déclaration prémonitoire : « Voulez-vous
faire ce pour quoi vous êtes faite ? Je suis sûr de ce que j’avance.
»
C’est ainsi que d’un lieu à
un autre, elle transporte dans ses bagages un profond attachement à
ses origines arméniennes, une indéfectible reconnaissance envers le
pays qui lui a légué sa langue et sa culture, la France, et une allégeance
sans restriction envers le Québec où elle finira par s’établir.
Dans ce périple, sa détermination est portée par sa vocation de missionnaire
catholique exercée en milieu laïque (à la manière de Charles de
Foucault) et propulsée, d’une part, par la culture et la langue française,
et d’autre part, par la musique comme mode de réalisation existentiel
et de communication. English Version... |
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