Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 17, No. 3 novembre 2011

Jean-Marie Zeitouni : le renouveau dynamique

Par Caroline Rodgers / 1 novembre 2011

English Version...


Version Flash ici.

En mars dernier, Jean-Marie Zeitouni dirigeait I Musici de Montréal pour la première fois comme chef invité. L’orchestre, qui cherchait depuis un certain temps un remplaçant à son dévoué fondateur, Yuli Turovsky, se découvrait alors des atomes crochus avec le jeune maestro. Deux mois plus tard, on annonçait qu’il en devenait le chef principal et directeur artistique désigné.

Jean-Marie Zeitouni entrera pleinement dans ses nouvelles fonctions à l’automne 2012. D’ici là, il dirigera la formation six fois dans trois programmes différents. Cette saison transitoire permettra au chef et aux Musici de s’apprivoiser tout en discutant répertoire et projets d’avenir.

Premier rendez-vous: en décembre, à la nouvelle salle de concert Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal. La quatrième et la septième symphonie de Beethoven sont au programme, avec une formation augmentée à trente-huit musiciens.

«Jouer une symphonie de Beethoven avec un petit orchestre projette sur l’œuvre une lumière différente, dit le maestro. Il faut savoir qu’historiquement, la Quatrième a été jouée pour la première fois dans une salle plus petite que Bourgie, avec une trentaine de musiciens, à Vienne. Je l’ai visitée pendant mes études et ses petites dimensions m’avaient frappé. Je me souviens d’avoir pensé que l’impact avait dû être saisissant! Je crois que l’on peut s’attendre à un impact du même ordre à la salle Bourgie. Cela dit, ce n’est pas par souci historique que nous le faisons. J’aime simplement l’idée de jouer ces œuvres avec un petit nombre de musiciens, parce que cela permet à chacun de se sentir plus engagé et de porter la musique de façon plus personnelle.»

La vie après Yuli
Quand le jeune maestro dirigera I Musici pour la première fois en tant que directeur artistique désigné, tous les yeux et les oreilles du Montréal musical seront fixés sur lui! Il y a de quoi. Fondée en 1983, la formation change de maestro pour la première fois. Et bien que l’orchestre ait eu des chefs invités au fil des ans, le successeur de Turovsky est attendu.

«I Musici de Montréal est un orchestre important, dit Jean-Marie Zeitouni. Il a une réputation internationale, il a enregistré plus d’une quarantaine d’albums, connu des sommets sur disque et fait des tournées dans plusieurs pays. Durant ses meilleures années, il a été une référence.»

Avec un tel héritage, reprendre les rênes après le départ du chef fondateur est une tâche délicate! Une question à laquelle Jean-Marie Zeitouni réfléchit beaucoup depuis qu’il a été désigné.

«C’est certain qu’il y a une pression, dit-il. L’orchestre a déjà sa personnalité, ses façons de faire. J’aurais tort de vouloir recréer une relation identique à celle qu’ont partagée les musiciens avec Yuli Turovsky. Il ne peut y avoir qu’un fondateur. La relation entre lui et les membres du groupe était une relation de création, qui se compare un peu à celle d’un père et de ses enfants. Un père qui les a amenés, musicalement, là où ils sont aujourd’hui: à l’âge adulte. J’arrive devant des musiciens ayant atteint une belle maturité. Notre relation sera donc davantage d’adulte à adulte. Je veux tirer le meilleur parti de cet héritage tout en amenant des idées nouvelles.»

Car posséder une tradition ne signifie pas pour autant que l’on doive demeurer confortablement sur les sentiers battus!

«Quand on fait la même chose pendant près de trente ans, des habitudes se développent, dit-il. Il est important de se renouveler. Les musiciens sont prêts à avoir un nouveau directeur musical. Pour eux, c’est une occasion de dresser un bilan de ce qu’ils ont vécu jusqu’ici, de décider où ils veulent aller et comment ils veulent évoluer.» Une telle évolution passe, selon lui, par le développement d’un répertoire et d’une programmation plus variés.

«Si l’on observe les grandes tendances actuelles en musique classique, on constate que les gens ne sont plus nécessairement prêts à s’abonner à une saison entière d’un orchestre comme le faisaient nos parents, dit-il. Ils ont le goût de choisir à la pièce parmi toute l’offre disponible. En diversifiant notre répertoire, on peut faire plaisir à plus de personnes. Les mélomanes qui voudront suivre les Musici pourront les entendre dans différentes configurations, allant de la musique de chambre en quatuors ou en quintettes à l’orchestre augmenté à une quarantaine de musiciens dans le répertoire symphonique.»

I Musici est composé d’un noyau de quinze membres réguliers, auxquels s’ajoutent des musiciens supplémentaires au besoin, comme ce sera le cas pour les symphonies de Beethoven, en décembre. La variation des combinaisons d’effectif aidera à élargir le répertoire, allant de Haendel au vingtième siècle en passant par les romantiques, et même par la création d’œuvres nouvelles. Le tout, en gardant en tête de maintenir un niveau artistique élevé.

«L’idée est de jouer avec cette géométrie variable et de former une communauté musicale autour du noyau, explique le musicien. C’est ce que nous ferons en jouant le Messie de Haendel avec le Chœur du Studio de musique ancienne de Montréal au printemps prochain. Cette variété est importante à mes yeux, pas seulement pour faire plaisir au public, mais aussi pour nourrir les membres du groupe artistiquement et les aider à se surpasser.»

Quant à de nouveaux projets d’enregistrements, certains sont sur la table, mais il est impossible au maestro d’en révéler davantage pour l’instant!

Être chef en 2011
Le rôle de chef, aujourd’hui, est fort différent de ce qu’il était il y a quarante ans, estime Jean-Marie Zeitouni. En musique comme dans d’autres domaines, l’autoritarisme n’a plus la cote.

«On peut tracer un parallèle avec le monde des affaires, dit-il. Être patron d’entreprise, de nos jours, est complètement différent de ce que c’était autrefois. Le leadership a changé, il repose plus sur la capacité de donner aux gens le goût d’adopter une vision et d’aller vers des buts communs que sur l’autorité. Cette différence de mentalité est aussi significative chez les chefs d’orchestre d’aujourd’hui. Autrefois, le chef était au sommet de la pyramide. Il disait aux gens quoi faire, et comment le faire. Aujourd’hui, je le vois davantage comme quelqu’un de placé à la base de la pyramide afin de soutenir son monde. Il insuffle tout de même sa vision, car il a le privilège d’être le seul à entendre avec une oreille extérieure et à avoir devant lui toute la partition. Mais cela se fait de manière beaucoup plus conviviale et collégiale qu’autrefois.»

On retrouve cette attitude chez la plupart des chefs de la nouvelle génération, que ce soit Yannick Nézet-Séguin, Jacques Lacombe, Alain Trudel ou Paavo Järvi. Un ajustement normal, selon le maestro: dans la société actuelle, plus individualiste, ils s’adressent à des musiciens tenant davantage à faire valoir leurs idées et leurs opinions, où chacun a envie de se sentir partie prenante du résultat final.

« On est plus à l’écoute des idées des musiciens et on partage le leadership, dit-il. Je demande constamment leur avis. Ce sont des experts avec une vaste expérience musicale et il serait bête de ne pas bénéficier de leurs suggestions. Si on a une conception différente de la leur, c’est à nous d’être convaincants pour arriver à un consensus dans le respect. Nous travaillons tous ensemble au service de la musique.»

Cette ouverture d’esprit n’empêche pas pour autant les chefs de la nouvelle génération d’avoir des idées musicales claires. «L’idée du son et de l’interprétation des chefs d’aujourd’hui n’est pas moins claire qu’elle l’était chez les chefs d’antan, mais leur façon de l’obtenir est différente, tout simplement», dit-il.

Parlant de son, des défis inédits attendent I Musici au cours des prochains mois. Ils devront s’ajuster à deux nouvelles salles, la Maison symphonique de Montréal et la salle Bourgie, tout en s’ajustant à leur nouveau chef.

«Je vois cela d’un très bon œil, dit Zeitouni. Comme j’ai encore peu d’expérience avec eux, ça tombe bien. Pour moi, c’est doublement excitant de découvrir ces salles pendant que l’on se découvre l’un l’autre. Une salle est comme un instrument de musique. Comme un violoniste qui reçoit un nouvel instrument et joue différentes pièces pour l’apprivoiser, je vais pouvoir le faire en expérimentant avec l’orchestre dans ces nouvelles salles.»

Une carrière qui va bon train
Longtemps étiqueté comme un chef spécialisé en opéra, Jean-Marie Zeitouni se retrouve aujourd’hui avec une plus grande diversité de styles musicaux et de mandats.

«Il y a eu des années où j’ai dirigé une douzaine d’opéras, alors les gens disaient: c’est un chef d’opéra, raconte-t-il. Je suis content de ce qui m’arrive en ce moment, car j’ai la chance de toucher, dans une même année, aussi bien à Rameau et à Lully qu’à la création d’œuvres contemporaines. Je peux passer de la musique de chambre aux symphonies de Mahler tout en continuant à diriger à l’opéra, ce que j’adore. Un équilibre s’est établi dans tout ce que je fais. Et à Columbus, comme directeur musical, j’ai la possibilité de travailler le répertoire dont j’ai envie.»

Le dynamisme du jeune chef apporte d’ailleurs un nouveau souffle au Columbus Symphony, qui a connu des problèmes financiers importants au cours des dernières années. La presse locale parle même d’un «effet Zeitouni». Musiciens et observateurs s’entendent pour dire qu’il est en train d’amener l’orchestre «ailleurs», et pour le mieux.

«Columbus a un orchestre qui joue très bien, mais qui manquait de variété dans le son; c’était trop uniforme d’un compositeur à un autre, dit-il. J’avais envie que l’on joue davantage en tenant compte des particularités de chaque compositeur, et de créer des sonorités caractéristiques en fonction du répertoire choisi. La justesse dans l’approche des styles et des époques est importante pour moi. Par exemple, avec la musique française, on va chercher un jeu plus cristallin, plus transparent.»

Une approche qu’il adoptera certainement avec I Musici, d’autant plus qu’un orchestre de chambre permet davantage de latitude qu’un orchestre symphonique. «Les membres d’I Musici sont des artistes accomplis, qui aiment travailler dans les détails et la subtilité, dit-il. Cela tombe bien, car c’est exactement ce que j’ai le goût de faire avec eux!»

La prochaine année s’annonce très occupée pour lui. En plus d’être présent auprès d’I Musici et du Columbus Symphony, il poursuivra sa collaboration de longue date avec les Violons du Roy. Il sera aussi chef invité à l’OSM, à l’OSQ, ainsi qu’à Calgary, Toronto, Vancouver, Seattle et Phoenix, entre autres.

Diplômé du Conservatoire de musique de Montréal où il a obtenu trois maîtrises (en direction d’orchestre, percussions
et théorie musicale), à seulement 37 ans, l’énergique maestro a encore ses plus belles années devant lui à la tête des orchestres d’ici et d’ailleurs. Gageons qu’il réussira son pari: amener I Musici à prendre plus de place sur la scène musicale montréalaise.


Concerts de la saison à venir avec Jean-Marie Zeitouni à la direction d’I Musici:
• Symphonies lumineuses, 7 et 8 décembre, 19 h 30, salle Bourgie
• Coucher de soleil italien, 19, 20 et 21 janvier 2012, salle Tudor.
• Le Messie de Haendel, 6 avril 2012, 19 h 30,
Maison symphonique de Montréal.
www.imusici.com


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002