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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 3 novembre 2011

Pleins feux sur Rusalka

Par Joseph So / 1 novembre 2011

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Les contes de fées sont depuis longtemps une source d’inspiration pour les compositeurs d’opéra. De La Cenerentola au Songe d’une nuit d’été en passant par Hansel et Gretel, les opéras qu’ils inspirent reçoivent toujours la faveur du public, même s’ils n’ont pas toujours des fées ou une fin heureuse. Voyons par exemple La petite sirène, de Hans Christian Andersen: amoureuse du prince charmant, la jolie sirène devient une femme, mais abandonnée, elle meurt, le cœur brisé. Ce conte européen a été adopté par plusieurs cultures dans le monde et traduit dans presque toutes les langues.

L’histoire de Rusalka est très similaire au conte d’Andersen, mais avec un côté sombre. Dans la légende slave, les «roussalkas» sont des créatures qui vivent au fond des lacs et rivières et ne font surface que la nuit, pour ensorceler les hommes avec leurs danses et les entraîner vers la mort. Ces ondines malveillantes sont des esprits de femmes qui, ayant souffert à cause des hommes, cherchent à se venger. Ce sont des femmes fatales, sœurs de Cléopâtre, de Dalila et de Salomé, aussi séduisantes et désirables qu’elles sont dangereuses et inaccessibles. Ces aspects sont toutefois atténués dans l’opéra d’Antonin Dvořák, malgré son dénouement dramatique.

D’après les statistiques, Rusalka a été mis en scène 80 fois dans le monde de 2005 à 2010, ce qui en fait l’opéra tchèque le plus populaire, suivi de Jenůfa (71), de La Fiancée vendue (62), de Katja Kabanova (30) et de L’Affaire Makropoulos (21). Rusalka est au 56rang des 2153 opéras mis en scène pendant cette période, et Dvořák est en troisième place au palmarès des compositeurs, obtenant un meilleur score que les Stravinski, Chostakovitch, Berlioz, Debussy ou Vivaldi.

Dvořák a composé Rusalka en 1900 sur un livret du poète tchèque Jaroslav Kvapil. Créée à Prague l’année suivante, l’œuvre a remporté un franc succès et s’est rapidement intégrée dans le répertoire régulier en Europe centrale et ailleurs. Sur le plan musical, Rusalka est l’une des compositions les plus mélodieuses de Dvořák; elle emporte l’auditeur avec son souffle lyrique. Accompagné d’un orchestre typique de l’époque romantique tardive, c’est un opéra atmosphérique qui atteint des sommets wagnériens. Les parties vocales sont exigeantes pour les grands rôles. L’aria Chant à la lune fait souvent partie des programmes de concerts et des enregistrements solo. Le rôle-titre exige une voix cristalline et un registre très élevé, avec suffisamment de puissance aux moments les plus intenses pour chevaucher un orchestre imposant. Le prince est un ténor lirico-spinto au registre supérieur léger. Il est préférable que les chanteurs aient un physique approprié pour leur rôle, comme Renée Fleming et Sergei Larin dans la production de Robert Carsen à Paris ou, plus récemment, Kristine Opolais et Klaus Florian Vogt à Munich. Les autres personnages importants sont Vodnik (basse), la sorcière Ježibaba (mezzo) et la princesse étrangère (soprano dramatique), qui ont tous leurs moments de gloire. L’opéra est étonnamment long, puisqu’il dure trois heures et demie, avec deux entractes. L’Opéra de Montréal a réuni une excellente distribution, avec à sa tête la soprano américaine Kelly Kaduce, que j’ai vue l’année dernière à Santa Fe, où elle a remarquablement incarné Cio-Cio-San; elle possède très certainement la voix et l’intensité dramatique nécessaires pour Rusalka. Le prince est une vedette montante, le ténor spinto ukrainien Konstantin Andreyev. Le Canadien Robert Pomakov, basse, est Vodnik, et l’intéressante mezzo roumaine Liliana Nikiteanu chante Ježibaba, un rôle normalement confié à des chanteuses plus mûres.

Traduction: Anne Stevens

Discographie

Il existe plusieurs enregistrements excellents de Rusalka. Les sopranos slovaques Lucia Popp et Gabriela Beňačková ont très bien incarné ce personnage. Pour son authenticité, je recommande l’enregistrement de 1984 avec Beňačková et le ténor polonais Wiesław Ochman dirigés par Václav Neumann sur Supraphon. Les admirateurs de Renée Fleming et de Ben Heppner ne pourront se passer de l’album enregistré en 1998 sur Decca avec Charles Mackerras: ils sont tous deux au sommet de leur forme. Les rôles secondaires sont remarquables, surtout le Vodnik de Franz Hawlata et la Ježibaba de Dolora Zajick. Quant à l’album récemment enregistré à Glyndebourne, son principal attrait réside dans l’interprétation de la soprano portoricaine Ana Maria Martinez et, à un moindre degré, celle du ténor américain Brandon Jovanovich. C’est moins idiomatique, mais la distribution est soutenue par le chef d’orchestre Jiři Bělohlávek.

Le choix parmi les DVD est moins riche. L’album ENO des années 1980, disponible sur Arthaus Musik et chanté en anglais, n’est pas exactement authentique. Un enregistrement récent de l’Opéra de Munich, publié cet été sous l’étiquette C Major/Unitel Classica, présente la superbe Rusalka de la soprano lettonne Kristine Opolais, la « Nicole Kidman de l’opéra ». J’ai vu sa Rusalka en juillet: elle ressemble davantage à l’actrice américaine Elizabeth Montgomery, et elle était tout aussi merveilleuse que sur ce DVD. Klaus Florian Vogt est un beau prince charmant à la voix ténue. Günther Groissböck est un Vodnik bien planté et menaçant. Le concept mis de l’avant par Martin Kušej a fait scandale: il replace l’action dans le contexte de l’histoire sordide du pédophile autrichien Josef Fritzl. Si vous arrivez à supporter cela, ce spectacle peut vous plaire. Sinon, tenez-vous-en à la production plus sage de Robert Carsen mettant en vedette Renée Fleming et le regretté Sergei Larin avec James Conlon à la tête des musiciens de Paris sous l’étiquette Arthaus Musik.


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