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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 3 novembre 2011

Gaudet et Schumann l’art de la sensibilité

Par Julie Berardino / 1 novembre 2011

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Mathieu Gaudet, poète du piano, est un homme de philosophie et d’action. Ressentant le besoin d’être nourri en tant qu’être humain, il s’implique avec une grande intensité dans toutes les sphères de sa vie, de sa pratique de la médecine à sa vie familiale. La pratique du piano lui permet de se retrouver seul avec lui-même. Ce mois-ci, LSM et les productions XXI sont donc particulièrement heureuses de vous plonger, en sa compagnie, dans l’univers intimiste et sensible de la musique de piano de Robert Schumann. La musique de ce grand romantique sied à Gaudet, lui parle: l’environnement de Schumann, ses références littéraires, ses personnages romanesques le fascinent depuis longtemps. Schumann est pour lui un grand coup de cœur, son second après Bach!

Tout d’abord au programme, la version originale des Davidsbündlertänze (Danses des compagnons de David), l’opus 6 daté de 1837, véritable monument d’imagination en 18 pièces de caractère. Schumann présente dans cette suite une société imaginaire (d’inspiration biblique), qui se dévoue à reconnaître et perpétuer la musique de tradition classique et de ses maîtres. Il y oppose celle des «Philistins», tenants de la complaisance musicale et de la virtuosité insipide.

Les personnages qu’il y met en scène sont nés dans la Neue Zeitschrift für Musik, un périodique musicologique qu’il a contribué à fonder en 1834 et qui existe toujours aujourd’hui. Schumann y aura rédigé une centaine d’articles. Les célèbres alter ego de Schumann, Eusebius le contemplatif et Florestan l’impétueux, s’y expriment dans une dualité singulière. Nombre de collaborateurs adoptent également des personnages imaginaires, préparant ainsi un « futur poétique » et posant les jalons de la critique musicale. Quant aux Davidsbündlertänze, ses miniatures sont toutes précédées des lettres E ou F dans la première édition, les initiales des comparses l’ayant signée. Gaudet souligne pour sa part combien cette forme cyclique rafraîchissante est liée au monde littéraire. L’œuvre est empreinte de Sehnsucht, de désir intérieur, surtout dans les dernières pièces. Pleine de quiproquos, elle suggère parfois même un enfant souriant, en larmes.

C’est peut-être dans la Fantaisie en do majeur op. 17 que l’on plonge le plus à fond dans le monde riche et énigmatique de Schumann. Œuvre phare à grand déploiement et à forme continue, elle recèle une intensité qui a pu faire dire aux musicologues que Schumann fut un fou de musique, comme d’autres sont des «fous de Dieu»1. Elle dépasse le piano, suggère tout un orchestre. Schumann y exprime son amour passionné pour Clara, sa future épouse. On y retrouve d’ailleurs le motif d’une quinte descendante, en mouvement conjoint, en référence aux cinq lettres de son nom. Des digressions, planantes comme un rêve, altèrent la forme traditionnelle de la sonate. La lumière la plus pure et l’espoir s’emmêlent à des moments sombres. Le thème instable, transitif, se démantèle; le rondo franc du début est rapidement interrompu, l’œuvre regorge de paradoxes fascinants. Gaudet considère qu’elle est la synthèse de la musique de Beethoven et de Schumann, celle qui a le plus à offrir.

Gaudet nous laisse finalement sur la cinquième des variations posthumes, publiées en 1873 en guise d’ajout aux Études symphoniques, l’un des plus grands cycles de piano de Schumann. Ces pages ont été sauvées par Brahms lui-même! Jusqu’à la question de leur intégration aux Études symphoniques soulève les passions des musicologues. Schumann avait  tristement sombré dans la folie en 1854. Il fut interné à la clinique d’Endenich, où il demeurera jusqu’à sa mort en juillet 1856, à l’âge de 46 ans.

Interrogé sur le rôle des concours dans la carrière d’un musicien, Gaudet les voit comme des occasions d’en apprendre sur soi. Somme toute importantes et difficiles, ces épreuves excitantes sont des incitations puissantes au travail, parfois des tremplins internationaux. Gaudet lui-même en sait quelque chose: il a participé au Concours de musique du Canada de l’âge de 9 ans jusqu’à 20 ans, aux concours des universités et des camps d’été en plus d’avoir été demi-finaliste au Concours international de Montréal en 2004. Il souligne que les concours demandent la sagesse de ne pas se présenter à moins d’être solidement préparé. Le pianiste fait la part des choses; on voit les concours venir comme l’événement d’une vie, mais c’est plutôt l’humilité et le travail qu’elles enseignent.

Somme toute, plus le temps a passé, plus la musique a développé chez Gaudet l’art de vivre, lui a permis de se réapproprier «l’émerveillement des petites choses». À ceux qui se demandent comment il accomplit tout cela, il répond: «Avec le bonheur de rester ouvert. Il ne faut pas s’habituer aux petits miracles de la vie.» Gaudet s’implique également comme coopérant à l’international et complétera cette année sa résidence en médecine familiale. Pour lui, chaque humain est unique et demande qu’on s’y adapte: en musique comme en médecine, passer de la théorie à la pratique, de l’apprentissage au jeu où la pratique est un art.

Le 1er décembre, Mathieu Gaudet se joindra à Pentaèdre et Suzie LeBlanc pour des Schubertiades toutes viennoises à la salle Tudor d’Ogilvy. Le concert est offert dans une formule bouchées/vin à 17h, puis chocolats/porto à 20h. 514-398-4547. Le 20 janvier, il sera à la salle Bourgie pour présenter un concert autour de l’histoire de la fugue, avec des œuvres de Schumann, Ana Sokolovic, Feininger et J. S. Bach. Dans le cadre du festival «Une fugue au Musée» et de la série «Hommage à Ana Sokolovic» de la SMCQ. 

1 B. François-Sappey, Robert Schumann, Paris, Fayard, 2000, p. 23


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