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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 2 octobre 2011

Lisztomanie ! Lang Lang sur son compositeur préféré

Par L.H. Tiffany Hsieh / 1 octobre 2011

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Il est fort possible que vous ayez déjà entendu l’histoire du petit garçon chinois de deux ans qui regardait un épisode du dessin animé Tom and Jerry dans lequel le chat Tom, habillé en smoking, joue la Rhapsodie hongroise no 2 de Franz Liszt. Le petit garçon ne connaissait pas la pièce de musique, mais il sut dès lors qu’il voulait être comme Tom. «Liszt a été le premier compositeur qui m’a inspiré à jouer de la musique classique», dit le pianiste Lang Lang, en parlant de l’épisode qui l’a initié à la musique classique occidentale.

Lorsque Lang avait cinq ans, il a joué La petite rhapsodie hongroise lors de son premier récital. À neuf ans, il a commencé à apprendre la Tarantelle. «Chaque année, j’apprenais une nouvelle pièce importante de Liszt. C’était un excellent moyen d’améliorer ma technique. Chaque pièce représentait pour moi une nouvelle étape franchie», se souvient Lang. Aujourd’hui, à 29 ans, Lang n’est plus enfant prodige. Il est un musicien et un homme d’affaires sérieux, quelqu’un qui gagne très bien sa vie en jouant de la musique classique. Même ceux qui l’apprécient moins ne peuvent guère nier que Lang est une superstar du piano et qu’il possède un véritable sens du spectacle.

On pourrait en dire autant du pianiste hongrois du XIXe siècle qui l’a inspiré. La glorieuse et flamboyante carrière de Liszt a répandu sur l’Europe une frénésie hystérique, baptisée «lisztomanie» par le poète et journaliste allemand Heinrich Heine. Comme Lang, qui a acquis un statut de marque (il y a une chaussure Adidas qui porte son nom, ainsi qu’un piano Steinway), Liszt était une véritable vedette populaire à son époque. Mais Lang ne constate aucune ressemblance entre lui et son « héros du piano » (Piano Hero est le titre de son plus récent CD, lancé par Sony Classical pour souligner le bicentenaire de Liszt). «Il est un dieu du piano ! Je ne pourrais jamais me comparer à lui», affirme le brillant pianiste depuis Londres, où il vient d’interpréter le Concerto pour piano no 1 de Liszt au Last Night of the Proms. «Il a rendu la musique classique accessible à tous, il n’y avait aucune grande différence entre la musique classique et la musique populaire. À l’époque de Liszt, la musique classique était la musique populaire».

De nos jours, la musique classique n’est plus populaire. Lang demeure toutefois très optimiste quant à son avenir. Après tout, n’a-t-il pas inspiré plus de 40 millions de jeunes Chinois à apprendre le piano–un phénomène surnommé «l’effet Lang Lang» par le US Today Show ? En 2008, il a créé sa fondation internationale de musique à New York pour inspirer la nouvelle génération de mélomanes et d’interprètes de la musique classique. Selon Lang, une première école de piano de la fondation ouvrira ses portes en Chine en janvier 2012. « Nous avons la responsabilité d’encourager la jeunesse à écouter la musique classique. Je crois qu’avec un bon style pédagogique, on rendra plus accessible la musique classique à ceux qui veulent l’apprendre dans un style plus souple, plus naturel, plus précis et plus émotionnel », explique Lang, avant d’ajouter que Liszt était considéré comme un éducateur incroyable et que plusieurs de ses étudiants ont été la force motrice derrière l’école de piano du XXe siècle.

«Je veux que les répétitions soient amusantes», dit Lang. Et elles doivent se faire lentement, pas n’importe comment. «Il y a deux compositeurs qui peuvent vous briser les bras: Liszt et Rachmaninov, explique Lang. Mais si vous vous y prenez de la bonne manière, si vous répétez très lentement, vos bras pourront les supporter.» Cela dit, Lang, dans une vidéo qui accompagne son CD, admet que Liszt présente des défis physiques. «Franz, tu me rends fou!» dit-il lors d’une séquence où il décrit la douleur qu’il éprouve aux bras et dans le bout des doigts. « Liszt était unique et une personne très pianistique, raconte Lang à La Scena Musicale. Il est à la fois ange et démon du piano. Il est le gentil monstre des arrangements.»

La préparation à l’enregistrement se fait loin des touches du clavier: Lang ouvre ses partitions et révise les indications de tempo et de nuance. « C’est un travail très mental. Il faut comprendre la structure et la signification des notes et avoir ses propres idées sur la musique, explique-t-il. Il faut ensuite créer des rapports avec le cœur. Après, il faut que cela devienne réalité, que les émotions et les sentiments soient calculés. Il faut construire les ponts qui manquent. C’est tout un défi. C’est comme réaliser un rêve. Il faut que ce soit très personnel, mais également toujours très logique.»

C’est exactement ainsi que l’on pourrait décrire Liszt–My Piano Hero: à la fois personnel et calculé. Jouant sur un Steinway de New York et sur un autre de Hambourg, les doigts agiles de Lang nous révèlent les feux d’artifice, les sentiments poétiques et les vives sonorités de la musique qu’il adore. Il y a évidemment les incontournables, Consolation no 3 et Liebestraum («sa pièce la plus connue»), ainsi que les pièces préférées de l’interprète: La campanella («une idée géniale») et la «Marche de Rakoczi» de la Rhapsodie hongroise no 15 (la version de Horowitz). Lang est un véritable papillon, voltigeant haut et bas, avec force et avec douceur de manière élégante et aisée. Le disque comprend également la Rhapsodie hongroise no 6, Romance «Ô pourquoi donc», Grand galop chromatique, Un sospiro et les transcriptions de Liszt de l’Ave Maria de Schubert et d’Isoldes Liebestod du Tristan und Isolde de Wagner. Les trois dernières pistes sont consacrées au Concerto no 1 et Lang est accompagné par Valery Gergiev et l’Orchestre philharmonique de Vienne.

Il faut oublier l’effet Lang Lang. On assiste ici aux effets spéciaux Lang Lang et bien que les effets ne soient pas tous véritablement spéciaux, il n’y a aucun doute que ceci est un hommage très personnel de Lang à Liszt. Et pourquoi faire autrement si l’on veut ainsi contribuer à ce vaste monde que l’on appelle l’art ? Le joyeux pianiste aux cheveux hérissés, lui, semble tout à fait satisfait de son hommage. Dans un vidéoblogue qui accompagne le disque, Lang se filme dans un miroir alors qu’il dialogue avec «Franz». «C’est très amusant. J’aime bien parler à Liszt, dit Lang. Cela m’encourage à m’améliorer».

Traduction : David-Marc Newman


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