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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 1

Critiques

1 septembre 2011

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DISQUES

Bach, Beethoven, Messiaen, Prokofiev
Anyssa Neumann, piano

D’entrée de jeu, Anyssa Neumann démontre dans la Quatrième Partita clarté d’élocution, rythmique précise et sens architectural, chaque phrase succédant tout naturellement à la précédente. Subtile et lyrique, l’allemande manque à l’occasion du souffle qui porterait l’auditeur de la première à la dernière note, et la gigue finale aurait pu être un peu plus ludique. Si le programme est conçu comme un récital, on peut s’interroger sur la pertinence d’intégrer après la partita le Prélude et fugue no 9 du deuxième volume du Clavier bien tempéré. Le prélude démontre une belle fluidité, mais la fugue peine à atteindre des sphères célestes.

La pianiste de 27 ans courait un grand risque en gravant l’opus 110 de Beethoven. Difficile de ne pas se référer à nombre d’interprétations mythiques du catalogue. C’est peut-être ici que l’on constate le plus vivement que la musicienne n’a pas encore atteint la maturité nécessaire pour traduire la profondeur de ces pages, que ce soit la tendresse nostalgique du premier mouvement ou le mysticisme du troisième, interprété de façon trop verticale et fragmentée.

En fin d’album, sa Colombe de Messiaen et surtout ses Adieux à Juliette de la suite Roméo et Juliette, op. 75 de Prokofiev, à la fois poétiques et denses, donnent enfin la mesure de ce qu’Anyssa Neumann pourra un jour transmettre. Lucie Renaud

Bartók/Strauss/Grieg Violin Sonatas
Vilde Frang, violon; Michail Lifits, piano
EMI Classics 5099994763928 (78 min 6 s)

Vilde Frang a fait tous les stands de ravitaillement importants sur la route du succès: études à l’école Yehudi Menuhin et récitals dans des festivals de premier rang tels que Verbier, Lockenhaus et Gstaad. Ce disque, son deuxième avec EMI, montre que son succès n’est pas l’effet du hasard. Son interprétation de la sonate pour violon solo de Bartók ressemble de près à celle de la première génération de violonistes qui se sont attaqués à cette pièce, comme Menuhin lui-même et Gitlis, pour n’en nommer que deux. Son exécution, d’une brillance dégrossie, nous fait nous concentrer sur la grandeur de la musique plutôt que sur l’impressionnante virtuosité amplement déployée. Son Grieg est merveilleux, plein de «cœur ouvert» romantique et de risques musicaux qui semblent toujours bien tourner. La même approche ressort dans son interprétation de la rafraîchissante sonate de R. Strauss: un vibrato prononcé et un son légèrement grenu, riche en variété et en couleurs. Quelques années de plus sur la scène et Vilde Frang deviendra une violoniste éminente. En fait, en se fiant à son dernier disque, elle l’est déjà. Pemi Paull

Beethoven: Diabelli-Variationen
Paul Lewis, piano
Harmonia Mundi HMC902071 (52 min 46 s)

Le pianiste anglais Paul Lewis est un grand beethovenien. Il a à son actif de nombreux enregistrements, dont l’intégrale des sonates et des concertos pour piano de Beethoven. Il s’attaque ici aux redoutables Variations Diabelli avec un grand succès. Première constatation, on entend sans cesse le thème, et ce, tout au long des 33 variations. Un point qui pourrait sembler normal, mais difficile à réaliser. Lewis comprend bien cette musique qui devient donc, sous ses doigts, cohérente et ludique. L’humour du compositeur allemand sévit toujours. Les élans de virtuosité laissent coi et la puissance de l’œuvre s’en trouve amplifiée. Seuls bémols: la froideur des mouvements lents et les temps d’attente trop longs entre les variations–mais sur ce deuxième point, le pianiste n’est peut-être pas responsable. Voilà un enregistrement qui pourra servir de référence aux pianistes qui oseront se coltiner les fameuses Diabelli, et qui fera redécouvrir aux mélomanes une œuvre qui se trouve ici très bien servie. Normand Babin

Blow: Venus and Adonis
Amanda Forsythe, soprano (Vénus), Tyler Duncan, baryton (Adonis) et Mireille Lebel, mezzo-soprano (Cupidon)
Boston Early Music Festival Vocal & Chamber Ensembles/ Paul O’Dette et Stephen Stubbs
CPO (65 min 22 s)

Le seul opéra, ou «masque», de John Blow (1683) exploite deux thèmes traditionnellement liés, l’un mythologique, l’autre métaphorique, puisque les amours de Vénus et d’Adonis y sont présentées en parallèle avec une chasse au sanglier qui coûtera la vie au beau mortel, au grand désespoir de son amante. Le livret, attribué maintenant à Anne Kingsmill, est d’une poésie plutôt convenue et aurait exigé une exécution plus fine que celle du BEMF pour passer la rampe. Seule Amanda Forsythe réussit à nous faire croire à son personnage; ses lamentations finales rappellent même la Didon de Purcell. De fait, c’est tout le bref troisième acte qui se hausse à une certaine grandeur. Venus and Adonis faisant à peine cinquante minutes, trois compositions intéressantes de Blow, deux vocales (Welcome, ev’ry Guest pour soprano et Chloe found Amyntas lying all in tears pour deux ténors et baryton) et une instrumentale (un Ground en sol mineur pour deux violons et continuo particulièrement prenant) complètent le programme. Alexandre Lazaridès

Casella: Symphony No. 3 Op. 63/Elegia eroica Op. 29
Orchestra Sinfonica di Roma/Francesco La Vecchia
Naxos 8.572415 (62 min 12 s)

L’un des points forts du catalogue Naxos est aussi sa plus grande faiblesse: la compagnie enregistre et publie toutes les compositions simplement parce qu’elles existent, et non parce qu’elles ont de la valeur. Ce dernier disque, par exemple, dans le cadre de la série «20th Century Italian Classics», comporte une pièce agréable et une autre minable.

L’ardente admiration d’Alfredo Casella (1883-1947) pour Mussolini ternit sa réputation. De plus, sa Symphonie no 3 de 1939 me met dans l’embarras. Il serait difficile d’imaginer une pièce plus pesante, monotone et académique que celle-là.

L’Elegia eroica, composée en 1916, est plus intéressante. Mis à part qu’elle ouvre la voie à Pini di Roma de Respighi, elle est aussi puissante et expressive. Les interprétations sont en général bonnes, même les passages complexes des cors sont bien faits. Les mêmes musiciens ont également enregistré trois autres albums de Casella pour Naxos, sans oublier quatre volumes consacrés à la musique de Martucci. Paul Robinson

Gabriel Dupont: Les heures dolentes, La maison dans les dunes
Stéphane Lemelin, piano
ATMA classique ACD2 2544 (CD1: 53 min 19 s; CD2: 41 min 18 s)

Le pianiste Stéphane Lemelin est bien connu pour son travail au sein du trio Hochelaga et comme participant assidu à de nombreux festivals d’été où ses interprétations lui ont valu de nombreux éloges. Professeur titulaire à l’Université d’Ottawa où il est directeur de l’École de musique, il a remporté de nombreux prix et c’est un réel plaisir de l’entendre interpréter ces pièces pour piano de Gabriel Dupont, compositeur du début du siècle dernier. Dupont était un élève de Massenet et sa musique s’apparente à celle de Ravel ou de Fauré. Récipiendaire de nombreux prix, il dut toutefois mettre fin à sa carrière publique; atteint de tuberculose, c’est retiré du monde qu’il composa une grande partie de son répertoire pour piano. Monsieur Lemelin, par son jeu fluide et sensible, sait rendre le romantisme et le lyrisme dont ces compositions sont empreintes. Un très bel album pour les heures douces. Francine Bélanger

Ginastera: Cello Concertos
Mark Kosower, violoncelle; Bamberg Symphony Orchestra/Lothar Zagrosek
Naxos 8.572372 (68 min 58 s)

Ginastera ne conçoit le concerto pour violoncelle ni comme un duel (ou dialogue) entre soliste et orchestre, ni comme un simple contexte pour l’exploration avant-gardiste, mais plutôt comme de longues séquences mélodiques pour soliste colorées (ou commentées) par l’orchestre. Et les couleurs abondent, en effet: s’il ne faut pas, à l’instar des commentaires inclus dans la pochette du disque, exagérer l’importance des influences latino-américaines (se limitant surtout au dernier mouvement du Deuxième Concerto, malgré quelques autres manifestations plus subtiles), force est de constater que le compositeur fait preuve d’imagination dans son travail sur le timbre. Les interprètes en ont visiblement conscience et donnent un assez bon rendu sonore de la partition, Kosower inclus. Mais attention aux très grands contrastes dynamiques, comme dans le passage entre la fin du Deuxième et le début du Premier, qui peuvent surprendre! René Bricault

Glazunov: Complete Concertos
Russian National Orchestra/José Serebrier
Warner Classics 2564 67946-5 2CDs (113 min 59 s)

Le chef d’orchestre José Serebrier a enregistré toutes les symphonies de Glazounov avec le Royal Scottish National Orchestra. Ici, nous avons un ensemble de deux disques comprenant le fort connu Concerto pour violon, deux concertos pour piano et une poignée de courtes pièces pour violoncelle, cor, saxophone alto et violon.

Rachel Barton Pine offre une bonne interprétation du Concerto pour violon, et le saxophoniste Marc Chisson est exceptionnel dans le Concerto en mi bémol op. 109. Il est par contre difficile de montrer autant d’enthousiasme pour les autres pièces. Les concertos pour piano pâlissent à côté de ceux de son contemporain Rachmaninov et les petits morceaux ont un air sec et guindé.

Serebrier a écrit lui-même les notes pour cet album, mais on dirait qu’elles parlent plus de lui que du compositeur. À moins que vous n’ayez une envie pressante d’acquérir tout ce que Glazounov a écrit, vous pouvez sans crainte oublier ces enregistrements. Trop de notes, trop peu d’inspiration. Paul Robinson

Janitsch : Sonate da camera, vol. II
Notturna/Christopher Palameta
ATMA Classique ACD2 2638 (55 min 34 s)

Johann Gottlieb Janitsch (1708-1763) est resté, de 1736 jusqu’à sa mort, au service de Frédéric le Grand. Nombre de ses quatuors, intitulés alors «sonate da camera» (ou parfois «da chiesa»), n’ont été découverts qu’en 1999 à Kiev, ce que nous révèlent les notes de programme signées Christopher Palameta. On comprend ainsi pourquoi, des cinq compositions inscrites au programme, quatre sont données ici en premier enregistrement mondial. Ces œuvres combinent quelques instruments solistes, principalement le hautbois ou le hautbois d’amour, tenu avec autorité par le chef Palameta lui-même, avec le continuo. Destinées le plus souvent aux réceptions intimes du compositeur, c’est peut-être la dernière en liste, une Sonata da chiesa en sol mineur, qui retient le plus l’attention, à cause de son atmosphère de recueillement. Malgré l’exécution soignée de l’ensemble Notturna, la musique gentiment volubile de Janitsch se laisse écouter sans bouleverser notre compréhension de l’histoire du baroque. La prise de son, plutôt rapprochée, ne fait pas de distinction dynamique entre les instrumentistes, sans nuire toutefois à leur cohérence. Alexandre Lazaridès

Joly Braga Santos: œuvres orchestrales
María Orán, soprano; Gérard Caussé, alto; Extremadura Symphony Orchestra/Jesús Amigo
XXI-21 XXI-CD 2 1706 (60 min 17 s)

Principal compositeur portugais du XXe siècle, Joly Braga Santos demeure peu connu en dehors de son pays d’origine, bien que sa musique soit digne d’attention. Ce programme d’œuvres orchestrales offre une bonne vue d’ensemble de sa production caractérisée par un certain classicisme au début de sa carrière (dont témoigne l’Ouverture symphonique no 3, œuvre pleine de vigueur juvénile) pour aller vers un univers sonore plus trouble et d’esthétique plus contemporaine. Les Trois esquisses symphoniques rappellent l’univers de Bartók et de Stravinski par leur frénésie menaçante et impétueuse. Aussi proche de Bartók dans son intégration intelligente des matériaux folkloriques, le Concerto pour alto constitue clairement une œuvre d’importance au discours solide et fort intéressant. Finalement le cycle Cantares gallegos pour soprano et orchestre, enregistré ici pour la première fois, repose sur un univers sonore plus éthéré, tout en finesse, bien que l’atmosphère demeure quelque peu inquiétante. La soprano María Orán, fidèle collaboratrice du compositeur, chante cette œuvre qui lui est dédiée en création posthume. Malgré sa voix vieillissante, on ne peut qu’être séduit par l’engagement artistique, transformant l’écoute en expérience humaine touchante. L’orchestre sonne bien et semble grandement engagé dans la diffusion de ce compositeur à découvrir. Éric Champagne

J. S. Bach: Goldberg Variations
Nicholas Angelich, piano
Virgin Classics 50999 0706642 9 (79 min 58 s)

Après une Aria d’une lenteur difficilement supportable, Nicholas Angelich attaque (et le mot est à prendre dans son sens strict) la première des Variations Golberg. L’attaque est si percutante, si dure qu’elle cloue au sol l’auditeur. Soyons juste: Angelich possède une technique prodigieuse. Non seulement il ne rate pas une seule note, mais toutes les notes sont parfaitement audibles, claires. Le moindre petit «gruppetto» devient un bijou de précision. La vitesse est souvent époustouflante. Sans aucun doute, nous sommes ici en présence d’une exécution magistrale de l’œuvre de Bach. Mais la technique n’est pas le seul intérêt des Variations Goldberg, même si, au dire du livret, Bach aurait d’abord composé ses variations à titre d’exercices pour le piano. Où se trouve l’élégance du XVIIIe siècle? Trop souvent le son est d’une grande dureté, trop de variations (les numéros VIII et XXVII notamment) se terminent par une sorte de claque au visage, comme si le pianiste voulait nous agresser. Heureusement, de très beaux moments alternent, surtout dans les mouvements lents. Même si le pianiste verse parfois dans le sentimentalisme (variation XXVI) l’auditeur soufflera un peu après tant et tant de notes. À écouter pour l’autorité de la technique. Normand Babin

J. S. Bach: Six Cello Suites on Viola
Helen Callus, alto
Analekta AN 2 9968-9 (2 h 13 min 54 s)

Le dernier album d’Helen Callus sous la bannière Analekta est une intégrale des Six suites pour violoncelle seul de J.-S. Bach, un défi redoutable pour n’importe quel violoncelliste et, dit-on, un défi encore plus grand pour l’alto, étant donné le registre plus aigu de cet instrument plus petit. C’est, après tout, de la musique de premier ordre, écrit avec une stricte économie de moyens, et le son grave du violoncelle, cœur et âme de cette musique, manquera à certains. Helen Callus s’en sort bien pour traduire ces suites à l’alto, chacune est jouée avec engagement et raffinement. Cependant, ces exécutions ratent de peu une pleine recommandation en raison de l’accent mis sur la beauté tonale plutôt que sur le caractère, le chant détrônant la danse, en quelque sorte. En ne soulignant pas les gestes des mouvements de danse, ce disque devient un peu trop prévisible. Plus de variété et de caractère aurait largement aidé cet album à être agréable du début à la fin. Néanmoins, rares sont les altistes qui ont enregistré les six suites, alors si vous êtes un fervent de cet instrument, il vaut la peine de posséder ce disque, car on y entend beaucoup de virtuosité à l’alto. Pemi Paull

Liszt
Lise de la Salle, piano
Naïve V 5267 (77 min)

Le précédent enregistrement chez Naïve de Lise de la Salle, consacré à Chopin (les quatre Ballades et le Concerto en fa mineur), était peu convaincant. Celui-ci, contribution peut-être obligée au bicentenaire de la naissance de Liszt, l’est malheureusement tout aussi peu. Il manque à la pianiste française, portée davantage vers l’élégiaque, de la couleur et, surtout, ce sens de la narration qui sait construire une œuvre en mettant chaque détail en relation avec l’ensemble. L’art, difficile par définition, de la transition structurelle s’avère d’autant plus nécessaire aux compositions de Liszt qu’elles paraissent vite décousues quand leur coloration pour ainsi dire rhapsodique n’est pas comprise et intégrée, ce qui semble être le cas ici. Même la pure virtuosité ne trouve pas son compte dans ce programme où de grandes pièces (Après une lecture du Dante, Seconde Ballade, Funérailles, Mazeppa) alternent avec des transcriptions de moindre ambition (Mozart, Schumann, Schubert, Wagner), ces dernières peut-être mieux réussies. En somme, un disque qu’on peut estimer superflu après Arrau, Berman, Brendel, Bolet, Freire... et quelques autres «gourous» du répertoire lisztien. Alexandre Lazaridès

Schumann: Complete Works for Piano Trio
Leif Ove Andsnes, piano; Christian Tetzlaff, violon; Tanja Tetzlaff, violoncelle
EMI 50999 0 94180 2 8 (121 min 56 s)

Ce coffret de deux CD comporte les trois trios pour piano en plus d’un arrangement de Theodor Kirchner des Six études en forme de canon op. 56 et du Fantasiestücke op. 88. En écoutant toutes ces œuvres, j’ai été frappé par la pauvreté avec laquelle Schumann traite le violoncelle dans cette formation musicale. Souvent, il double la main gauche du piano, sinon il est enterré par les autres instruments. Le violoncelle ne prend vraiment sa place que dans l’adaptation du morceau pour piano ou orgue Six études en forme de canon. Kirchner, ami de Schumann, avait une bien meilleure compréhension du rôle du violoncelle dans un trio. Incidemment, Tanja Tetzlaff est une violoncelliste raffinée.

Les exécutions sont extrêmement réfléchies et portent une attention particulière aux nuances plus douces. Le caractère intime de la musique est très bien rendu. La meilleure musique de ce coffret se trouve dans le Trio pour piano op. 63 et l’interprétation est excellente. Le temps semble se figer dans le mouvement lent, et l’exubérance du dernier mouvement («Mit Feuer») est jouée à merveille. Paul Robinson

Shakespeare: Come again, sweet love
Daniel Taylor, Michael Chance, contre-ténors; Dame Emma Kirkby, Carolyn Sampson, sopranos; Charles Daniels, ténor; Neal Davies, basse; Theatre of Early Music
RCA Red Seal/Sony Music 88697727222 (58 min 25 s)

Le contre-ténor canadien Daniel Taylor, artiste exclusif à Sony, et son Theatre of Early Music ont enregistré un superbe disque de musique inspirée par Shakespeare, comprenant de la musique de Purcell, Dowland, Gibbons et d’autres. Quelques artistes invités se joignent à la production, tous des habitués du Theatre of Early Music: son collègue contre-ténor Michael Chance, le ténor Charles Daniels, la basse Neal Davis et les deux sopranos Carolyn Sampson et, bien sûr, la reine de la musique ancienne, Dame Emma Kirkby. Ils apportent tous une contribution digne d’intérêt à l’album, que ce soit comme soliste ou en ensemble, par exemple dans le magnifique The silver swan d’Orlando Gibbons. Taylor et son timbre retentissant brillent dans ce répertoire : la première piste, By beauteous softness, se distingue des autres. Aussi, If music be the food of love de Carolyn Sampson est très joli. Dame Emma, au début de la soixantaine, a peut-être perdu un peu de lustre et de résonance dans la voix, mais son timbre reste agréable–si seulement son duo avec Taylor dans Come again, sweet nature’s treasure était un peu plus long! L’accompagnement au luth d’Elizabeth Kelly nous met tout de suite dans l’ambiance. En fait, ce disque saura calmer les nerfs à vif par des journées occupées! Le livret présente un excellent essai instructif, en anglais, en français et en allemand, écrit par le musicologue François Filiatrault sur la musique et Shakespeare. Les paroles des chansons sont aussi transcrites en trois langues. On ne trouve cependant aucune biographie des artistes, mais puisque nous sommes à l’ère Internet, elles sont facilement accessibles (theatreofearlymusic.com). Pour les amoureux de Daniel Taylor et de musique ancienne, ce disque est indispensable. Joseph So

Theofanidis: Symphonie no 1/Lieberson: Neruda Songs
Kelly O’Connor, mezzo-soprano; Atlanta Symphony Orchestra/Robert Spano
ASO MEDIA CD 1002 (66 min 45 s)

Ce second enregistrement sur l’étiquette maison de l’Orchestre symphonique d’Atlanta propose deux œuvres majeures de deux compositeurs américains de plus en plus populaires. Originaire du Texas, Christopher Theofanidis crée une musique riche et très bien orchestrée. Sa Symphonie no 1 est certainement une œuvre d’importance de par sa forme solide et son inspiration originale et soutenue. L’œuvre gagne a être écoutée à quelques reprises pour mieux saisir le développement motivique et la richesse de l’idée orchestrale. Le tout est jumelé à une création emblématique des dernières années, les Neruda Songs de Peter Lieberson, cycle pour voix et orchestre créé pour sa femme, la regrettée mezzo-soprano Lorraine Hunt. Cette dernière avait enregistré l’œuvre avec le Boston Symphony et ce disque demeure une référence puisqu’il s’agissait du testament discographique de cette grande voix. Ici, l’Atlanta Symphony salue avant tout le compositeur, décédé en avril dernier, par cette interprétation soignée et tendre. Bien qu’il soit difficile d’éclipser la version de Lorraine Hunt, la chaleur et la sensibilité de Kelly O’Connor donnent une touche de tendresse et d’intimité essentielle à ces mélodies mémorables. Éric Champagne

Winging it: Piano Music of John Corigliano
Ursula Oppens (avec Jerome Lowenthal), piano
Cedille Records CDR90000123 (59 min 30 s)

Risquons un commentaire quelque peu provocant: John Corigliano compte parmi les compositeurs les plus surestimés de sa génération. Non que sa musique soit mauvaise, comme en fait foi ici son œuvre pianistique; mais elle s’avère généralement banale, peu stimulante pour l’esprit un tant soit peu critique. Bref, il mérite son statut d’excellent artisan de musique de film, et non celui de gagnant de prix internationaux à profusion avec un poste à Juilliard à la clé. Fort heureusement, le piano sert bien son esthétique, contrairement au quatuor à cordes (trop aride) ou l’orchestre (trop riche): sensibilité, intimité et couleurs sont juste assez équilibrées pour faire oublier la relative facilité des idées, voire les justifier. Oppens (et son acolyte de toujours, Lowenthal, dans les pièces pour deux pianos) reste fidèle à elle-même: évidente dévotion, jeu intense, faiblesse d’articulation dans les passages virtuoses (la toute première pièce servant d’exemple frappant, avec ses cascades mélodiques et ses accords rapides). Une jolie petite curiosité, au modernisme réconfortant. René Bricault

DVD

Dvořák: Rusalka
Kristine Opolais, Klaus Florian Vogt, Nadia Krasteva, Günther Groissböck, Janina Baechle; Bavarian State Opera Orchestra and Chorus/Tomáš Hanus
Unitel Classica/C Major 706408 (2 DVD: 192 min)

Ce Rusalka implacablement sombre sema beaucoup de controverse lors de la première l’an dernier. Le réalisateur autrichien Marin Kušej fit un parallèle entre cet opéra et l’affaire autrichienne d’abus d’enfant de Joseph Fritzl qui, des années durant, a gardé sa fille enfermée dans la cave où il la violait. Tout dépend de votre sentiment à l’égard du Regietheater: ce scénario peut être autant le produit d’un créateur génial que celui d’un esprit macabre. Kušej s’est permis d’énormes libertés avec l’histoire.

Les parents de Rusalka sont maintenant Jezibaba, la Sorcière, et l’Esprit des eaux qui la viole. Ils vivent dans un monde à ciel ouvert, avec en arrière-plan une immense toile de fond où figurent de belles montagnes et un lac paisible, alors que Rusalka et ses sœurs sont confinées au donjon lugubre et humide en dessous. Elle entonne le Chant à la Lune en enlaçant une ampoule de plastique. Rusalka aspire à la liberté et Jezibaba la libère. Elle tombe amoureuse du prince frivole qui la quitte pour la princesse étrangère. Dans l’acte trois, l’Esprit des eaux tue sans raison le garde forestier, puis la police l’emmène. Rusalka et ses sœurs sont placées dans un institut psychiatrique. Le prince infidèle revient à Rusalka et se poignarde. Or, si Rusalka a été enfermée toute sa vie dans une cave sans fenêtre, comment aurait-elle pu voir la lune? Comment aurait-elle pu voir le prince et en devenir amoureuse? Dans le documentaire accompagnant le DVD, Kušej fait remarquer que les contes de fée européens sont souvent sinistres et violents, mais il a modifié l’histoire à un point tel qu’elle devient méconnaissable, et l’action sur scène est tellement maladroite que ce n’est même plus du Dvorák.

Heureusement, le côté musical des choses est excellent. Surnommée la «Nicole Kidman de l’opéra», la soprano lettone Kristine Opolais est une Rusalka fascinante, répondant bien aux exigences vocales et dramatiques du rôle. Klaus Florian Vogt a fière allure dans le rôle du prince, mais un son plus héroïque aurait été plus approprié. Günther Groissböck interprète très bien cet Esprit des eaux psychopathe. Janina Baechle chante solidement Jezibaba. Nadia Krasteva chante avec un timbre de fer, mais ses aigus sont forcés dans ce rôle réservé aux sopranos dramatiques. Le chef d’orchestre tchèque Tomáš Hanus polit avec soin la partition–le son qui venait de la fosse était si beau qu’il jurait avec ce qui se passait sur scène. Musicalement, ce disque vaut au moins cinq étoiles, mais la réalisation en mérite beaucoup moins. Joseph So

Traduction de l’anglais: Jérôme Côté


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(c) La Scena Musicale 2002