Critiques
1 septembre 2011
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DISQUES
Bach, Beethoven, Messiaen, Prokofiev
Anyssa Neumann, piano
D’entrée de jeu, Anyssa Neumann démontre dans la Quatrième
Partita clarté d’élocution, rythmique précise et sens architectural,
chaque phrase succédant tout naturellement à la précédente. Subtile
et lyrique, l’allemande manque à l’occasion du souffle qui porterait
l’auditeur de la première à la dernière note, et la gigue finale
aurait pu être un peu plus ludique. Si le programme est conçu comme
un récital, on peut s’interroger sur la pertinence d’intégrer
après la partita le Prélude et fugue no
9 du deuxième volume du Clavier bien tempéré. Le prélude
démontre une belle fluidité, mais la fugue peine à atteindre des
sphères célestes.
La pianiste de 27 ans courait un grand
risque en gravant l’opus 110 de Beethoven. Difficile de ne pas se
référer à nombre d’interprétations mythiques du catalogue. C’est
peut-être ici que l’on constate le plus vivement que la musicienne
n’a pas encore atteint la maturité nécessaire pour traduire la profondeur
de ces pages, que ce soit la tendresse nostalgique du premier mouvement
ou le mysticisme du troisième, interprété de façon trop verticale
et fragmentée.
En fin d’album, sa Colombe
de Messiaen et surtout ses Adieux
à Juliette de la suite Roméo et Juliette, op. 75 de Prokofiev,
à la fois poétiques et denses, donnent enfin la mesure de ce qu’Anyssa
Neumann pourra un jour transmettre. Lucie Renaud
Bartók/Strauss/Grieg Violin Sonatas
Vilde Frang, violon; Michail Lifits, piano
EMI Classics 5099994763928 (78 min 6 s)
Vilde Frang a fait tous les stands de ravitaillement importants
sur la route du succès: études à l’école Yehudi Menuhin et récitals
dans des festivals de premier rang tels que Verbier, Lockenhaus et Gstaad.
Ce disque, son deuxième avec EMI, montre que son succès n’est pas
l’effet du hasard. Son interprétation de la sonate pour violon solo
de Bartók ressemble de près à celle de la première génération
de violonistes qui se sont attaqués à cette pièce, comme Menuhin
lui-même et Gitlis, pour n’en nommer que deux. Son exécution, d’une
brillance dégrossie, nous fait nous concentrer sur la grandeur de la
musique plutôt que sur l’impressionnante virtuosité amplement déployée.
Son Grieg est merveilleux, plein de «cœur ouvert» romantique et de
risques musicaux qui semblent toujours bien tourner. La même approche
ressort dans son interprétation de la rafraîchissante sonate de R.
Strauss: un vibrato prononcé et un son légèrement grenu, riche en
variété et en couleurs. Quelques années de plus sur la scène et
Vilde Frang deviendra une violoniste éminente. En fait, en se fiant
à son dernier disque, elle l’est déjà. Pemi Paull
Beethoven: Diabelli-Variationen
Paul Lewis, piano
Harmonia Mundi HMC902071 (52 min 46 s)
Le pianiste anglais Paul Lewis est un grand beethovenien. Il a à
son actif de nombreux enregistrements, dont l’intégrale des sonates
et des concertos pour piano de Beethoven. Il s’attaque ici aux redoutables
Variations Diabelli avec un grand succès. Première constatation,
on entend sans cesse le thème, et ce, tout au long des 33 variations.
Un point qui pourrait sembler normal, mais difficile à réaliser. Lewis
comprend bien cette musique qui devient donc, sous ses doigts, cohérente
et ludique. L’humour du compositeur allemand sévit toujours. Les
élans de virtuosité laissent coi et la puissance de l’œuvre s’en
trouve amplifiée. Seuls bémols: la froideur des mouvements lents et
les temps d’attente trop longs entre les variations–mais sur ce
deuxième point, le pianiste n’est peut-être pas responsable. Voilà
un enregistrement qui pourra servir de référence aux pianistes qui
oseront se coltiner les fameuses Diabelli, et qui fera redécouvrir
aux mélomanes une œuvre qui se trouve ici très bien servie. Normand
Babin
Blow: Venus and Adonis
Amanda Forsythe, soprano (Vénus), Tyler Duncan, baryton (Adonis)
et Mireille Lebel, mezzo-soprano (Cupidon)
Boston Early Music Festival Vocal & Chamber Ensembles/ Paul
O’Dette et Stephen Stubbs
CPO (65 min 22 s)
Le seul opéra, ou «masque», de John Blow (1683) exploite deux
thèmes traditionnellement liés, l’un mythologique, l’autre métaphorique,
puisque les amours de Vénus et d’Adonis y sont présentées en parallèle
avec une chasse au sanglier qui coûtera la vie au beau mortel, au grand
désespoir de son amante. Le livret, attribué maintenant à Anne Kingsmill,
est d’une poésie plutôt convenue et aurait exigé une exécution
plus fine que celle du BEMF pour passer la rampe. Seule Amanda Forsythe
réussit à nous faire croire à son personnage; ses lamentations finales
rappellent même la Didon de Purcell. De fait, c’est tout le bref
troisième acte qui se hausse à une certaine grandeur. Venus and
Adonis faisant à peine cinquante minutes, trois compositions intéressantes
de Blow, deux vocales (Welcome, ev’ry Guest pour soprano et
Chloe found Amyntas lying all in tears pour deux ténors et baryton)
et une instrumentale (un Ground en sol mineur pour deux violons
et continuo particulièrement prenant) complètent le programme. Alexandre
Lazaridès
Casella: Symphony No. 3 Op. 63/Elegia
eroica Op. 29
Orchestra Sinfonica di Roma/Francesco La Vecchia
Naxos 8.572415 (62 min 12 s)
L’un des points forts du catalogue Naxos est aussi sa plus grande
faiblesse: la compagnie enregistre et publie toutes les compositions
simplement parce qu’elles existent, et non parce qu’elles ont de
la valeur. Ce dernier disque, par exemple, dans le cadre de la série
«20th Century Italian Classics», comporte une pièce agréable
et une autre minable.
L’ardente admiration d’Alfredo Casella
(1883-1947) pour Mussolini ternit sa réputation. De plus, sa Symphonie
no 3 de 1939 me met dans l’embarras.
Il serait difficile d’imaginer une pièce plus pesante, monotone et
académique que celle-là.
L’Elegia eroica, composée en
1916, est plus intéressante. Mis à part qu’elle ouvre la voie à
Pini di Roma de Respighi, elle est aussi puissante et expressive.
Les interprétations sont en général bonnes, même les passages complexes
des cors sont bien faits. Les mêmes musiciens ont également enregistré
trois autres albums de Casella pour Naxos, sans oublier quatre volumes
consacrés à la musique de Martucci. Paul Robinson
Gabriel Dupont: Les heures dolentes,
La maison dans les dunes
Stéphane Lemelin, piano
ATMA classique ACD2 2544 (CD1: 53 min 19 s; CD2: 41 min 18 s)
Le pianiste Stéphane Lemelin est bien connu pour son travail au
sein du trio Hochelaga et comme participant assidu à de nombreux festivals
d’été où ses interprétations lui ont valu de nombreux éloges.
Professeur titulaire à l’Université d’Ottawa où il est directeur
de l’École de musique, il a remporté de nombreux prix et c’est
un réel plaisir de l’entendre interpréter ces pièces pour piano
de Gabriel Dupont, compositeur du début du siècle dernier. Dupont
était un élève de Massenet et sa musique s’apparente à celle de
Ravel ou de Fauré. Récipiendaire de nombreux prix, il dut toutefois
mettre fin à sa carrière publique; atteint de tuberculose, c’est
retiré du monde qu’il composa une grande partie de son répertoire
pour piano. Monsieur Lemelin, par son jeu fluide et sensible, sait rendre
le romantisme et le lyrisme dont ces compositions sont empreintes. Un
très bel album pour les heures douces. Francine Bélanger
Ginastera: Cello Concertos
Mark Kosower, violoncelle; Bamberg Symphony Orchestra/Lothar Zagrosek
Naxos 8.572372 (68 min 58 s)
Ginastera ne conçoit le concerto pour violoncelle ni comme un duel
(ou dialogue) entre soliste et orchestre, ni comme un simple contexte
pour l’exploration avant-gardiste, mais plutôt comme de longues séquences
mélodiques pour soliste colorées (ou commentées) par l’orchestre.
Et les couleurs abondent, en effet: s’il ne faut pas, à l’instar
des commentaires inclus dans la pochette du disque, exagérer l’importance
des influences latino-américaines (se limitant surtout au dernier mouvement
du Deuxième Concerto, malgré quelques autres manifestations
plus subtiles), force est de constater que le compositeur fait preuve
d’imagination dans son travail sur le timbre. Les interprètes en
ont visiblement conscience et donnent un assez bon rendu sonore de la
partition, Kosower inclus. Mais attention aux très grands contrastes
dynamiques, comme dans le passage entre la fin du Deuxième et
le début du Premier, qui peuvent surprendre! René Bricault
Glazunov: Complete Concertos
Russian National Orchestra/José Serebrier
Warner Classics 2564 67946-5 2CDs (113 min 59 s)
Le chef d’orchestre José Serebrier a enregistré toutes les symphonies
de Glazounov avec le Royal Scottish National Orchestra. Ici, nous avons
un ensemble de deux disques comprenant le fort connu Concerto pour
violon, deux concertos pour piano et une poignée de courtes pièces
pour violoncelle, cor, saxophone alto et violon.
Rachel Barton Pine offre une bonne interprétation
du Concerto pour violon, et le saxophoniste Marc Chisson est
exceptionnel dans le Concerto en mi bémol op. 109. Il est par
contre difficile de montrer autant d’enthousiasme pour les autres
pièces. Les concertos pour piano pâlissent à côté de ceux de son
contemporain Rachmaninov et les petits morceaux ont un air sec et guindé.
Serebrier a écrit lui-même les notes
pour cet album, mais on dirait qu’elles parlent plus de lui que du
compositeur. À moins que vous n’ayez une envie pressante d’acquérir
tout ce que Glazounov a écrit, vous pouvez sans crainte oublier ces
enregistrements. Trop de notes, trop peu d’inspiration. Paul Robinson
Janitsch : Sonate da camera, vol.
II
Notturna/Christopher Palameta
ATMA Classique ACD2 2638 (55 min 34 s)
Johann Gottlieb Janitsch (1708-1763) est resté, de 1736 jusqu’à
sa mort, au service de Frédéric le Grand. Nombre de ses quatuors,
intitulés alors «sonate da camera» (ou parfois «da chiesa»), n’ont
été découverts qu’en 1999 à Kiev, ce que nous révèlent les notes
de programme signées Christopher Palameta. On comprend ainsi pourquoi,
des cinq compositions inscrites au programme, quatre sont données ici
en premier enregistrement mondial. Ces œuvres combinent quelques instruments
solistes, principalement le hautbois ou le hautbois d’amour, tenu
avec autorité par le chef Palameta lui-même, avec le continuo. Destinées
le plus souvent aux réceptions intimes du compositeur, c’est peut-être
la dernière en liste, une Sonata da chiesa en sol mineur, qui
retient le plus l’attention, à cause de son atmosphère de recueillement.
Malgré l’exécution soignée de l’ensemble Notturna, la musique
gentiment volubile de Janitsch se laisse écouter sans bouleverser notre
compréhension de l’histoire du baroque. La prise de son, plutôt
rapprochée, ne fait pas de distinction dynamique entre les instrumentistes,
sans nuire toutefois à leur cohérence. Alexandre Lazaridès
Joly Braga Santos:
œuvres orchestrales
María Orán, soprano; Gérard Caussé, alto; Extremadura Symphony
Orchestra/Jesús Amigo
XXI-21 XXI-CD 2 1706 (60 min 17 s)
Principal compositeur portugais du XXe siècle, Joly
Braga Santos demeure peu connu en dehors de son pays d’origine, bien
que sa musique soit digne d’attention. Ce programme d’œuvres orchestrales
offre une bonne vue d’ensemble de sa production caractérisée par
un certain classicisme au début de sa carrière (dont témoigne l’Ouverture
symphonique no 3, œuvre pleine de vigueur juvénile) pour aller
vers un univers sonore plus trouble et d’esthétique plus contemporaine.
Les Trois esquisses symphoniques rappellent l’univers de Bartók
et de Stravinski par leur frénésie menaçante et impétueuse. Aussi
proche de Bartók dans son intégration intelligente des matériaux
folkloriques, le Concerto pour alto constitue clairement une
œuvre d’importance au discours solide et fort intéressant. Finalement
le cycle Cantares gallegos pour soprano et orchestre, enregistré
ici pour la première fois, repose sur un univers sonore plus éthéré,
tout en finesse, bien que l’atmosphère demeure quelque peu inquiétante.
La soprano María Orán, fidèle collaboratrice du compositeur, chante
cette œuvre qui lui est dédiée en création posthume. Malgré sa
voix vieillissante, on ne peut qu’être séduit par l’engagement
artistique, transformant l’écoute en expérience humaine touchante.
L’orchestre sonne bien et semble grandement engagé dans la diffusion
de ce compositeur à découvrir. Éric Champagne
J. S. Bach: Goldberg Variations
Nicholas Angelich, piano
Virgin Classics 50999 0706642 9 (79 min 58 s)
Après une Aria d’une lenteur difficilement supportable, Nicholas
Angelich attaque (et le mot est à prendre dans son sens strict) la
première des Variations Golberg. L’attaque est si percutante,
si dure qu’elle cloue au sol l’auditeur. Soyons juste: Angelich
possède une technique prodigieuse. Non seulement il ne rate pas une
seule note, mais toutes les notes sont parfaitement audibles, claires.
Le moindre petit «gruppetto» devient un bijou de précision. La vitesse
est souvent époustouflante. Sans aucun doute, nous sommes ici en présence
d’une exécution magistrale de l’œuvre de Bach. Mais la technique
n’est pas le seul intérêt des Variations Goldberg, même
si, au dire du livret, Bach aurait d’abord composé ses variations
à titre d’exercices pour le piano. Où se trouve l’élégance du
XVIIIe siècle? Trop souvent le son est d’une grande dureté,
trop de variations (les numéros VIII et XXVII notamment) se terminent
par une sorte de claque au visage, comme si le pianiste voulait nous
agresser. Heureusement, de très beaux moments alternent, surtout dans
les mouvements lents. Même si le pianiste verse parfois dans le sentimentalisme
(variation XXVI) l’auditeur soufflera un peu après tant et tant de
notes. À écouter pour l’autorité de la technique. Normand Babin
J. S. Bach: Six Cello Suites on Viola
Helen Callus, alto
Analekta AN 2 9968-9 (2 h 13 min 54 s)
Le dernier album d’Helen Callus sous la bannière Analekta est
une intégrale des Six suites pour violoncelle seul de J.-S.
Bach, un défi redoutable pour n’importe quel violoncelliste et, dit-on,
un défi encore plus grand pour l’alto, étant donné le registre
plus aigu de cet instrument plus petit. C’est, après tout, de la
musique de premier ordre, écrit avec une stricte économie de moyens,
et le son grave du violoncelle, cœur et âme de cette musique, manquera
à certains. Helen Callus s’en sort bien pour traduire ces suites
à l’alto, chacune est jouée avec engagement et raffinement. Cependant,
ces exécutions ratent de peu une pleine recommandation en raison de
l’accent mis sur la beauté tonale plutôt que sur le caractère,
le chant détrônant la danse, en quelque sorte. En ne soulignant pas
les gestes des mouvements de danse, ce disque devient un peu trop prévisible.
Plus de variété et de caractère aurait largement aidé cet album
à être agréable du début à la fin. Néanmoins, rares sont les altistes
qui ont enregistré les six suites, alors si vous êtes un fervent de
cet instrument, il vaut la peine de posséder ce disque, car on y entend
beaucoup de virtuosité à l’alto. Pemi Paull
Liszt
Lise de la Salle, piano
Naïve V 5267 (77 min)
Le précédent enregistrement chez Naïve de Lise de la Salle, consacré
à Chopin (les quatre Ballades et le Concerto en fa mineur),
était peu convaincant. Celui-ci, contribution peut-être obligée au
bicentenaire de la naissance de Liszt, l’est malheureusement tout
aussi peu. Il manque à la pianiste française, portée davantage vers
l’élégiaque, de la couleur et, surtout, ce sens de la narration
qui sait construire une œuvre en mettant chaque détail en relation
avec l’ensemble. L’art, difficile par définition, de la transition
structurelle s’avère d’autant plus nécessaire aux compositions
de Liszt qu’elles paraissent vite décousues quand leur coloration
pour ainsi dire rhapsodique n’est pas comprise et intégrée, ce qui
semble être le cas ici. Même la pure virtuosité ne trouve pas son
compte dans ce programme où de grandes pièces (Après une lecture
du Dante, Seconde Ballade, Funérailles, Mazeppa)
alternent avec des transcriptions de moindre ambition (Mozart, Schumann,
Schubert, Wagner), ces dernières peut-être mieux réussies. En somme,
un disque qu’on peut estimer superflu après Arrau, Berman, Brendel,
Bolet, Freire... et quelques autres «gourous» du répertoire lisztien.
Alexandre Lazaridès
Schumann: Complete Works for Piano
Trio
Leif Ove Andsnes, piano; Christian Tetzlaff, violon; Tanja Tetzlaff,
violoncelle
EMI 50999 0 94180 2 8 (121 min 56 s)
Ce coffret de deux CD comporte les trois trios pour piano en plus
d’un arrangement de Theodor Kirchner des Six
études en forme de canon op. 56 et du Fantasiestücke op.
88. En écoutant toutes ces œuvres, j’ai été frappé par la pauvreté
avec laquelle Schumann traite le violoncelle dans cette formation musicale.
Souvent, il double la main gauche du piano, sinon il est enterré par
les autres instruments. Le violoncelle ne prend vraiment sa place que
dans l’adaptation du morceau pour piano ou orgue Six
études en forme de canon. Kirchner, ami de Schumann, avait une
bien meilleure compréhension du rôle du violoncelle dans un trio.
Incidemment, Tanja Tetzlaff est une violoncelliste raffinée.
Les exécutions sont extrêmement réfléchies
et portent une attention particulière aux nuances plus douces. Le caractère
intime de la musique est très bien rendu. La meilleure musique de ce
coffret se trouve dans le Trio pour piano op. 63 et l’interprétation
est excellente. Le temps semble se figer dans le mouvement lent, et
l’exubérance du dernier mouvement («Mit Feuer») est jouée à merveille.
Paul Robinson
Shakespeare: Come again, sweet love
Daniel Taylor, Michael Chance, contre-ténors; Dame Emma Kirkby,
Carolyn Sampson, sopranos; Charles Daniels, ténor; Neal Davies, basse;
Theatre of Early Music
RCA Red Seal/Sony Music 88697727222 (58 min 25 s)
Le contre-ténor canadien Daniel Taylor, artiste exclusif à Sony,
et son Theatre of Early Music ont enregistré un superbe disque
de musique inspirée par Shakespeare, comprenant de la musique de Purcell,
Dowland, Gibbons et d’autres. Quelques artistes invités se joignent
à la production, tous des habitués du Theatre of Early Music:
son collègue contre-ténor Michael Chance, le ténor Charles Daniels,
la basse Neal Davis et les deux sopranos Carolyn Sampson et, bien sûr,
la reine de la musique ancienne, Dame Emma Kirkby. Ils apportent tous
une contribution digne d’intérêt à l’album, que ce soit comme
soliste ou en ensemble, par exemple dans le magnifique The silver
swan d’Orlando Gibbons. Taylor et son timbre retentissant brillent
dans ce répertoire : la première piste, By beauteous softness,
se distingue des autres. Aussi, If music be the food of love
de Carolyn Sampson est très joli. Dame Emma, au début de la soixantaine,
a peut-être perdu un peu de lustre et de résonance dans la voix, mais
son timbre reste agréable–si seulement son duo avec Taylor dans
Come again, sweet nature’s treasure était un peu plus long! L’accompagnement
au luth d’Elizabeth Kelly nous met tout de suite dans l’ambiance.
En fait, ce disque saura calmer les nerfs à vif par des journées occupées!
Le livret présente un excellent essai instructif, en anglais, en français
et en allemand, écrit par le musicologue François Filiatrault sur
la musique et Shakespeare. Les paroles des chansons sont aussi transcrites
en trois langues. On ne trouve cependant aucune biographie des artistes,
mais puisque nous sommes à l’ère Internet, elles sont facilement
accessibles (theatreofearlymusic.com). Pour les amoureux de Daniel Taylor
et de musique ancienne, ce disque est indispensable. Joseph So
Theofanidis: Symphonie no 1/Lieberson:
Neruda Songs
Kelly O’Connor, mezzo-soprano; Atlanta Symphony Orchestra/Robert
Spano
ASO MEDIA CD 1002 (66 min 45 s)
Ce second enregistrement sur l’étiquette maison de l’Orchestre
symphonique d’Atlanta propose deux œuvres majeures de deux compositeurs
américains de plus en plus populaires. Originaire du Texas, Christopher
Theofanidis crée une musique riche et très bien orchestrée. Sa
Symphonie no 1 est certainement une œuvre d’importance de par
sa forme solide et son inspiration originale et soutenue. L’œuvre
gagne a être écoutée à quelques reprises pour mieux saisir le développement
motivique et la richesse de l’idée orchestrale. Le tout est jumelé
à une création emblématique des dernières années, les Neruda
Songs de Peter Lieberson, cycle pour voix et orchestre créé pour
sa femme, la regrettée mezzo-soprano Lorraine Hunt. Cette dernière
avait enregistré l’œuvre avec le Boston Symphony et ce disque demeure
une référence puisqu’il s’agissait du testament discographique
de cette grande voix. Ici, l’Atlanta Symphony salue avant tout le
compositeur, décédé en avril dernier, par cette interprétation soignée
et tendre. Bien qu’il soit difficile d’éclipser la version de Lorraine
Hunt, la chaleur et la sensibilité de Kelly O’Connor donnent une
touche de tendresse et d’intimité essentielle à ces mélodies mémorables.
Éric Champagne
Winging it: Piano Music of John Corigliano
Ursula Oppens (avec Jerome Lowenthal), piano
Cedille Records CDR90000123 (59 min 30 s)
Risquons un commentaire quelque peu provocant: John Corigliano compte
parmi les compositeurs les plus surestimés de sa génération. Non
que sa musique soit mauvaise, comme en fait foi ici son œuvre pianistique;
mais elle s’avère généralement banale, peu stimulante pour l’esprit
un tant soit peu critique. Bref, il mérite son statut d’excellent
artisan de musique de film, et non celui de gagnant de prix internationaux
à profusion avec un poste à Juilliard à la clé. Fort heureusement,
le piano sert bien son esthétique, contrairement au quatuor à cordes
(trop aride) ou l’orchestre (trop riche): sensibilité, intimité
et couleurs sont juste assez équilibrées pour faire oublier la relative
facilité des idées, voire les justifier. Oppens (et son acolyte de
toujours, Lowenthal, dans les pièces pour deux pianos) reste fidèle
à elle-même: évidente dévotion, jeu intense, faiblesse d’articulation
dans les passages virtuoses (la toute première pièce servant d’exemple
frappant, avec ses cascades mélodiques et ses accords rapides). Une
jolie petite curiosité, au modernisme réconfortant. René Bricault
DVD
Dvořák: Rusalka
Kristine Opolais, Klaus Florian Vogt, Nadia Krasteva, Günther Groissböck,
Janina Baechle; Bavarian State Opera Orchestra and Chorus/Tomáš Hanus
Unitel Classica/C Major 706408 (2 DVD: 192 min)
Ce Rusalka implacablement sombre sema beaucoup de controverse
lors de la première l’an dernier. Le réalisateur autrichien Marin
Kušej fit un parallèle entre cet opéra et l’affaire autrichienne
d’abus d’enfant de Joseph Fritzl qui, des années durant, a gardé
sa fille enfermée dans la cave où il la violait. Tout dépend de votre
sentiment à l’égard du Regietheater: ce scénario peut être
autant le produit d’un créateur génial que celui d’un esprit macabre.
Kušej s’est permis d’énormes libertés avec l’histoire.
Les parents de Rusalka sont maintenant
Jezibaba, la Sorcière, et l’Esprit des eaux qui la viole. Ils vivent
dans un monde à ciel ouvert, avec en arrière-plan une immense toile
de fond où figurent de belles montagnes et un lac paisible, alors que
Rusalka et ses sœurs sont confinées au donjon lugubre et humide en
dessous. Elle entonne le Chant à
la Lune en enlaçant une ampoule de plastique. Rusalka aspire à
la liberté et Jezibaba la libère. Elle tombe amoureuse du prince frivole
qui la quitte pour la princesse étrangère. Dans l’acte trois, l’Esprit
des eaux tue sans raison le garde forestier, puis la police l’emmène.
Rusalka et ses sœurs sont placées dans un institut psychiatrique.
Le prince infidèle revient à Rusalka et se poignarde. Or, si Rusalka
a été enfermée toute sa vie dans une cave sans fenêtre, comment
aurait-elle pu voir la lune? Comment aurait-elle pu voir le prince et
en devenir amoureuse? Dans le documentaire accompagnant le DVD, Kušej
fait remarquer que les contes de fée européens sont souvent sinistres
et violents, mais il a modifié l’histoire à un point tel qu’elle
devient méconnaissable, et l’action sur scène est tellement maladroite
que ce n’est même plus du Dvorák.
Heureusement, le côté musical
des choses est excellent. Surnommée la «Nicole Kidman de l’opéra»,
la soprano lettone Kristine Opolais est une Rusalka fascinante, répondant
bien aux exigences vocales et dramatiques du rôle. Klaus Florian Vogt
a fière allure dans le rôle du prince, mais un son plus héroïque
aurait été plus approprié. Günther Groissböck interprète très
bien cet Esprit des eaux psychopathe. Janina Baechle chante solidement
Jezibaba. Nadia Krasteva chante avec un timbre de fer, mais ses aigus
sont forcés dans ce rôle réservé aux sopranos dramatiques. Le chef
d’orchestre tchèque Tomáš Hanus polit avec soin la partition–le
son qui venait de la fosse était si beau qu’il jurait avec ce qui
se passait sur scène. Musicalement, ce disque vaut au moins cinq étoiles,
mais la réalisation en mérite beaucoup moins. Joseph So
Traduction de l’anglais: Jérôme
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