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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 2

Explorations sistémiques : La musique, catalyseur du progrès social

Par Jonathan Govias / 1 octobre 2010

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J’avais 14 ans quand j’ai joué la première fois avec un ensemble à vents. Jusque-là, j’avais généralement fait cavalier seul, parfois et difficilement accompagné d’un pauvre pianiste à l’occasion de différents festivals ou examens. Ma première répétition collective fut un mélange frénétique d’inquiétude et d’enthousiasme, alors que je me sentais envahi par la sensation de faire partie de quelque chose de beaucoup plus grand que moi, à la fois submergé par le chaos ambiant et par la volonté désespérée de me montrer au moins un peu compétent. Le fait que nous produisions tous des sons affreux n’avait aucune importance. C’était un atelier d’été, deux semaines pendant lesquelles nous étions soumis à une pression incroyable, à jouer des heures et des heures tous les jours pour répéter des pièces trop difficiles, tout en nous amusant comme des petits fous.

Cette expérience collective ne ressemblait en rien à ce que j’avais connu auparavant. Nous avions chacun une partie distincte à jouer, littéralement et métaphoriquement, mais cette diversité était contrebalancée par une concordance de buts et de direction. La musique imprimée exige de l’exactitude, laquelle est toutefois tempérée par les exigences du moment. Le concept de la primauté est fluide : le leadership passe d’un musicien à l’autre à mesure que la ligne musicale se déplace d’une voix à l’autre, et la contribution de chacun existe toujours dans un contexte de collaboration. Le succès de chacun repose sur le succès de tous. La réussite se mesure à l’aune de notre potentiel, et notre victoire ne dépend jamais de la défaite d’autrui.

Le but de cet atelier de deux semaines était tout simplement l’excellence musicale, et non un gain social. Mais au Venezuela, les deux se confondent toujours au fil du temps. Dans El Sistema, le changement social passe par la poursuite collective de l’excellence musicale au jour le jour, grâce à la maîtrise d’un art et aux liens affectifs que crée la discipline dans un combat et un accomplissement communs.

Ce sont peut-être les dimensions les plus poétiques de son impact social, mais on n’a pas besoin d’évoquer des généralités pour convaincre des bienfaits d’El Sistema. Lorsque maestro Abreu a réuni onze enfants, il y a 35 ans, il leur a donné des choix concrets qu’ils n’auraient jamais eus autrement : les gangs ou les guitares, la violence ou les violons, les couteaux ou les cordes, les bagarres ou les bois. La logique, aussi prosaïque soit-elle, n’en demeure pas moins simple et universelle. Si les enfants vont au núcleo (école de musique) durant les heures entre la sortie des classes et la fin de la journée, ils ne sont pas exposés au risque de délinquance. Le fait que leurs activités soient supervisées, concentrées, disciplinées, exigeantes et enrichissantes à plusieurs égards devient presque un aspect secondaire pour ceux qui n’ont jamais connu pareille chose.

La prose et la poésie, si essentielles au maintien du programme depuis plus de 35 ans, naissent de la complète reformulation du rôle de la musique dans la société. Cela dit, l’expérience de cet atelier d’été dans les prairies de l’Alberta montre que le fossé entre le Canada et le Venezuela n’est pas infranchissable. Il s’agit de changer le but, l’orientation et la fréquence, plutôt que la pratique.

Prochain article : Inversion du paradigme pédagogique européen

 [Traduction : Anne Stevens]


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