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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 1 septembre 2010

Pentaèdre : Quinte juste

Par Lucie Renaud / 1 septembre 2010

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Pentaedre
Pentaèdre : Martin Carpentier, Danielle Bourget, Louis-Philippe Marsolais, Normand Forget et Mathieu Lussier. Photo Martin Girard

La prise de rendez-vous avec les cinq membres du quintette Pentaèdre relevait de l’exploit. Difficile en effet de gérer les vacances des uns et les engagements professionnels des autres, Normand Forget et Martin Carpentier participant aux Rencontres de musique nouvelle au Domaine Forget et Mathieu Lussier assumant les fonctions de directeur artistique du Festival international de musique baroque de Lamèque. Quand on ajoute les obligations familiales, les préparatifs de la rentrée (en tant qu’enseignants ou parents), le temps à gruger pour travailler son instrument, cela frise l’impossibilité. Les agendas enfin synchronisés, les cinq complices se retrouvent dans un bar de quartier, loin des circuits balisés, avec une joie presque effervescente. Des partitions circulent, quelques indications sont intégrées. Dans un enchevêtrement de conversations, on discute d’horaires de répétition, on encourage avec le sourire Louis-Philippe Marsolais, récemment papa, quand on semble d’un seul coup se rappeler que la rencontre a en principe été fixée pour répondre à d’autres impératifs : tenter un bilan, à l’aube de la 25e saison du quintette.

On sonne la fin de la récréation, mais pas pour longtemps. Dans une remarquable polyphonie, tout au long de l’entretien, les cinq musiciens compléteront les phrases de l’un ou de l’autre, ouvriront la porte aux souvenirs et démontreront hors de tout doute que les liens tissés vont bien plus loin que la simple association professionnelle. « C’est le plaisir d’être ensemble, de savoir que, dès la première note, cela fonctionnera tout de suite », avance le directeur artistique Louis-Philippe Marsolais. « Nous avons envie de dépasser la simple mise en place, de connaître les autres, précise le bassoniste Mathieu Lussier. Nous aimons savoir que, même de dos, juste en entendant respirer Danielle, nous serons parfaitement ensemble – ou que Louis-Philippe et moi ne serons pas d’accord à la première répétition. » Ce dernier conclut en souriant, sans chercher à s’en excuser : « Il y a plusieurs chefs et pas beaucoup d’Indiens. »

Quinte ouverte

Une constante anime Pentaèdre depuis ses débuts : le décloisonnement des genres. Les instrumentistes ont rendu floues les frontières entre disciplines artistiques et collaboré avec danseurs, comédiens, mimes ou chanteurs. Cela a provoqué des rencontres avec le ténor Christoph Prégardien (qu’on retrouvera en clôture de saison), le baryton Russell Braun, la soprano Karina Gauvin, la contralto Marie-Nicole Lemieux (qui chantera enfin avec le quintette), le pianiste David Jalbert (qui participera au programme Poulenc au salon proposé en octobre) ou encore les quatuors Penderecki, Arthur-Leblanc et Molinari (avec lequel ils créeront des œuvres d’André Ristic et de Michael Oesterle). « La ligne directrice du quintette reste l’éclatement, mais nous cherchons aussi à placer les créations dans un contexte », soutient Marsolais. « La rareté du répertoire a amené un questionnement important sur notre mission, poursuit Normand Forget, hautboïste et membre fondateur du quintette. Les versions que nous avons adaptées au fil des ans l’ont été à la suite d’une réflexion sur le répertoire et sur la réalité d’ici, afin de pouvoir présenter une saison variée de trois à cinq concerts. » Il rappelle aussi l’importance de faire comprendre au public – des « irréductibles Gaulois » selon Lussier – qu’aucun des musiciens ne recherche un piédestal. Ainsi, à l’entracte, ils n’hésiteront pas à aller savourer quelques bouchées et un verre de vin tout en discutant avec les personnes présentes. « Le défi reste de démystifier le répertoire en gardant un niveau très élevé d’interprétation. »

Les cinq membres demeurent conscients de la difficulté d’attirer de nouveaux abonnés à une série de musique de chambre. Forget évoque le caractère très conservateur du public, qui refuse le plus souvent l’élément de danger. « Faites-nous confiance », plaide le clarinettiste Martin Carpentier – et les sceptiques seront confondus, ajoute Louis-Philippe Marsolais. La flûtiste Danielle Bourget rappelle que les meilleurs commentaires reçus visaient d’ailleurs les œuvres les plus éclatées, dont Le jeu de l’inventaire, hommage au Refus Global signé Michel Garneau et Michel Longtin. « Le salut passe par les projets fous », conclut Lussier.

Cycles de quintes

Compositions originales et transcriptions complétées par quatre des cinq membres ont ainsi été présentées. Cela a donné lieu à certains moments phares de ce premier quart de siècle, dont L’Amour est un opéra muet, relecture de 22 extraits du Cosí fan tutte de Mozart pour quintette et mimes, la première de l’opéra comique A Chair in Love, sur une musique de John Metcalf et un livret de Larry Tremblay, ou la version de chambre réalisée par Normand Forget du Winterreise de Schubert. L’enregistrement, salué par la critique allemande, a obtenu un Prix Opus et le spectacle donné à l’été 2009 en compagnie du ténor Christoph Prégardien et de l’accordéoniste Joseph Petric à la prestigieuse Schubertiade de Schwarzenberg a valu une ovation exceptionnelle de 10 longues minutes aux interprètes.

Pentaèdre proposera cette saison une soirée de contes qui n’aura rien de traditionnel et qui comprendra notamment la création du Conte charcutier du tandem Carpentier (aux textes) et Lussier (à la musique), projet né d’un vague délire postconcert, au cœur d’une tournée jeunesse en Belgique, pendant laquelle Cosí fan tutte avait été repris 24 fois en huit jours ! « Le délire reste un ingrédient essentiel », croit Forget. Les vedettes de cette histoire sont les bouchers Adélard et Crépine Pilon, résidents du pas si paisible petit village de Saindoux-sur-la-Rillette. Lussier parle d’une œuvre « originale, drôle, virtuose et brillante », enthousiasme que Carpentier tempère d’un « sans prétention » tout en évoquant l’intégration du multimédia. « Mais ici, tout est fait maison ».

Quinte en résonance

Et si chacun des membres évoquait les qualités particulières des autres et osait poser un regard sans complaisance sur son propre rôle au sein du quintette ? Une seconde d’hésitation à peine et on accepte de jouer le jeu. Normand Forget sera décrit par Danielle Bourget comme celui qui permet toujours de trouver une solution, peu importe les écueils rencontrés. Mathieu Lussier dit qu’il est à la fois « le sage et le fou » de l’équipe, celui qui questionne constamment, qui refuse une interprétation admise, fût-elle d’une œuvre interprétée par l’ensemble quelques années auparavant. Louis-Philippe Marsolais le surnomme « le vénérable du sommet », celui qui initie tous les projets. Le principal intéressé considère qu’il souhaite avant toute chose éviter la redite : « Cela rend le développement des projets plus complexe, mais c’est important de pousser toujours plus loin. La musique classique reste assez pleutre, il faut se secouer. »

Seule femme du groupe, on souligne tour à tour la qualité de la sonorité de Danielle Bourget, son côté matriarcal assumé – elle a pris le « petit dernier » sous son aile – et son côté épicurien. Lussier salue son inestimable expérience de la musique en général et son instinct formidable, tandis que Forget, qui a été son amoureux pendant six ans, parle d’elle comme de l’âme solide du quintette. « Intonation, rythme, construction harmonique, situation globale : elle demeure la référence. »

De Carpentier, la flûtiste souligne son sens de l’humour hors du commun – « tu peux écrire clown », s’esclaffe-t-il –, mais aussi son caractère égal, « clarinette bien tempérée ». Le corniste salue sa mémoire remarquable alors que le bassoniste loue son côté caméléon, qui lui permet de prendre une place affirmée aussi bien que d’épouser la ligne musicale de quelqu’un d’autre. Il se perçoit comme le tranquille de la bande, toujours prêt à essayer de nouvelles idées.

Pour sa part, il apprécie le sens de l’organisation du directeur artistique qui permet au concert de devenir concret. Forget et Bourget évoquent l’excellence de son jeu et son énergie particulière, qui poussent le quintette à continuer à se développer. Lussier précise qu’il n’impose pas ses points de vue. « C’est quelqu’un qui m’a beaucoup fait grandir, qui me ressemble, même si, parfois, nous pouvons donner l’impression de deux boucs qui se combattent ». Philosophe, Louis-Philippe Marsolais soulignera simplement : « J’aime beaucoup faire du quintette avec Pentaèdre. Nous sommes partis de loin, nous sommes rendus là; cela fait rêver. » Avec une 25e saison qui comprend le lancement d’un disque et l’enregistrement de deux autres projets, une tournée du Winterreise en Allemagne, en Belgique et en Israël, on peut difficilement le contredire.

Il porte un regard moqueur sur le dernier larron : « Mathieu est l’infaillible du quintette, il ne manque jamais rien ! Cela me donne des complexes… » Forget évoque son érudition, les multiples facettes de sa carrière, tandis que la flûtiste le sacre libraire, bibliothécaire, guide touristique et copilote exceptionnel du groupe, tout en lui enviant son amour de la scène. Un ange passe quand Martin Carpentier le qualifie de « jumeau cosmique, d’âme frère ». Amis proches, ils ont déjà été propriétaires d’un duplex et leurs enfants semblent membres d’une seule et même famille. « Nous pourrions faire des duos dans deux studios différents, nous jouerions ensemble; je ne pourrais avoir envie de jouer avec personne d’autre ». Le bassoniste admet jouer d’un curieux instrument, qui ne prend son sens que partagé avec ses collaborateurs. « Ne plus faire de quintette, je trouverais cela difficile, dit celui qui se qualifie d’impulsif du groupe. Quand l’un ou l’autre doit se faire remplacer, les autres constatent que ce ne sera jamais exactement la même chose. La chimie est essentielle; c’est l’addition de nos cinq personnalités qui rend Pentaèdre si unique ! »

Pentaèdre en 5 temps forts
Tâche quasi impossible pour les membres de proposer un seul concert marquant. Si Normand Forget avance spontanément le concert de la Schubertiade à Schwarzenberg, il évoque presque aussitôt la collaboration Chostakovitch avec le Quatuor Penderecki. Louis-Philippe Marsolais admet frémir à chaque reprise du Winterreise, mais inclut aussi Schnittke. Martin Carpentier se souvient de l’électricité avant la première de L’Amour est un opéra muet, mais soutient que parfois, un simple accord juste ou la complicité entre les membres sont autant de petits bonheurs. Danielle Bourget parle de la proximité du public lors des concerts au salon. Mathieu Lussier conclut que la Schubertiade a peut-être été aussi mémorable parce qu’elle était un condensé de tous ces instants. Fierté, disponibilité d’esprit, joie du partage, autant d’émotionsqui sauront alimenter les prochaines années du quintette.

Pour plus de détails sur la 25e saison de Pentaèdre, visitez le www.pentaedre.com


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