Marie Chouinard, gloires du matin. Photo JF Gratton

L’année 2010 est faste pour la chorégraphe Marie Chouinard : la flamboyante Montréalaise célèbre en effet cette saison le 20e anniversaire de sa compagnie et accède aux pages du Petit Larousse illustré ! L’incontournable lexique établit ainsi, on ne peut plus officiellement et pour la postérité, l’importance de la danseuse-auteure-chorégraphe et de son répertoire expérimental iconoclaste. Un beau prétexte pour évoquer la secrète créatrice et les spectacles qui marqueront cette année « Marie Chouinard » !

Dès le début de sa carrière, une intelligence provocatrice traverse les créations de la chorégraphe. En 1978, Cristallisation propulse l’artiste québécoise au rang de « nouvelle artiste du corps ». En 1990, après une trajectoire en solo internationale et 30 chorégraphies, Marie Chouinard fonde sa compagnie et se consacre à la création d’œuvres de groupe. Travailleuse acharnée, elle n’a de cesse de repousser les limites de la performance scénique. Elle fascine son public et les critiques et gagne l’estime du milieu de la danse contemporaine et des arts. Marie Chouinard a ainsi reçu, parmi nombre de prix, un Bessie Award à New York en 2000, le Prix du Gouverneur Général du Canada pour les arts de la scène en 2003 et été nommée Officier de l’Ordre du Canada en 2007. Elle vient tout juste d’obtenir le Prix du Mérite Artistique 2010 de la Fondation Imperial Tobacco qui récompense la quête constante d’innovation et d’originalité de la Compagnie Marie Chouinard; le prix est assorti d’une bourse conséquente de 75 000 dollars. 

Au nombre des convaincus, la Sao Paulo companhia de Dança qui intègre ce mois-ci à son répertoire Prélude à l’Après-midi d’un faune. Carol Prieur, interprète par excellence de ce solo, s’est rendue au Brésil afin de l’enseigner à trois danseurs de la célèbre compagnie brésilienne. Plus près de chez nous, le Ballet National du Canada reprend sous la houlette de sa célèbre directrice artistique Karen Kain Les 24 Préludes de Chopin, créés en 1987 par la Compagnie Marie Chouinard. La pièce, qui donnera le coup d’envoi de la saison de Danse Danse, est depuis un an au répertoire de la compagnie torontoise : « Cela a été l’occasion de reprendre la pièce pour un beaucoup plus grand nombre de danseurs, dit Marie Chouinard. Dans ma compagnie, j’ai dix, douze ou quatorze danseurs, selon les occasions. À Toronto, la distribution en compte dix-sept, dix-huit. Cela donne du souffle à la pièce et une ampleur extraordinaire à certains mouvements de groupe. Quatre ou cinq danseurs additionnels suffisent à créer une impression de foule, tout est au niveau des perceptions… C’est une des choses magiques et extraordinaires qui peuvent se passer sur un plateau ! » Une question de géométrie et de mathématique, poursuit la chorégraphe : un public organise aisément – dans sa compréhension – en deux trios ou trois duos un ensemble de six danseurs, tandis qu’un nombre de sept danseurs s’impose tout de suite comme un groupe conséquent. Un mélange de satisfaction et de simplicité dans la voix, elle conclut : « Je suis très contente lorsque des ballets de répertoire prennent mes œuvres parce que cela leur donne une dimension que je ne peux pas leur donner dans ma compagnie. »

Au printemps prochain, Marie Chouinard présentera trois spectacles différents en une semaine, toujours en collaboration avec Danse Danse et, cette fois, les Montréalais seront de la fête ! Chouinard reprend pour l’occasion la toute première pièce de sa compagnie, créée en 1990, unspectacle dont elle signe la direction artistique etla chorégraphie, Les Trous du ciel. Cette fable boréale pour douze danseurs suit les errances d’une bande isolée dans une immensité lumineuse. Marie Chouinard signe aussi la composition de la partition vocale : « L’environnement sonore de cette pièce est construit par la voix des danseurs. Les interprètes sont équipés de microphones sans fils et leur souffle, les sons, des exclamations forment un langage inventé qui rythme la performance. J’inclus dans mon approche du corps la respiration et la voix depuis toujours et plus j’avance, plus le corps est utilisé de toutes sortes de façons. Et le travail vocal est poussé encore plus loin dans ma toute dernière création, Le nombre d’or (live). »

La Compagnie Marie Chouinard enchaînera, au grand plaisir du public, avec deux pièces qui ont marqué le paysage de la danse et l’imaginaire du public : Orphée et Eurydice ainsi que bODY_rEMIX/les_vARIATIONS_gOLDBERG. « Ce sont des pièces qui tournent beaucoup et qui continuent d’être au répertoire, car la compagnie veut garder vivantes les œuvres – nous tournons, par exemple, depuis 15 ans avec Le Sacre du printemps ! » bODY_rEMIX/les_vARIATIONS_gOLDBERG est très connu à cause de l’émission de télévision qui a été diffusée un peu partout en Europe et par ARTV aussi, mais les danseurs sur la scène sont tellement fabuleux que le public continue à venir les voir. »

Cette année, la Compagnie Marie Chouinard a pris le soin de présenter différentes facettes de son travail de création. Ainsi un public avisé aura-t-il la chance de voir le solo pour homme Des feux dans la nuit au théâtre La Chapelle. « La Chapelle m’a proposé de reprendre la pièce sans savoir que nous fêtions notre 20e anniversaire… Nous avons donc embarqué le spectacle dans le projet ! », raconte gaiement la chorégraphe. Elle devient sérieuse : « Le danseur Emmanuel Roque, qui a dansé longtemps pour la compagnie, va reprendre ce rôle qui avait initialement été créé en 1999 pour Elijah Brown. » Des feux dans la nuit est un solo construit à partir de La Musique des mots de Rober Racine. Marie Chouinard y examine les secrets et les façons d’un monde masculin et toutes les textures de cette virilité. À ne pas négliger : le musicien et compositeur Rober Racine sera au piano à toutes les représentations.

Deux décennies de succès, cela se fête. Mais l’impétueuse chorégraphe ne pratique pas le bilan : « Je suis une aventurière, je vais vers l’avant dans ma création et je laisse à mon cerveau le soin d’organiser tout cela. Souvenirs, ma vie… On en fera ce qu’on voudra ! J’ai plutôt l’impression de ne rien savoir, d’être ignorante de tout : lorsque je commence une création, je me retrouve devant l’inconnu et dans une sorte d’étonnement face à ma non-connaissance du nouveau terrain dans lequel je m’aventure. » L’impression de ne pas connaître ce nouvel objet stimule la créatrice. « Je dois trouver, je dois créer. »

Marie Chouinard a d’ailleurs créé un solo, gloires du matin, pour son retour sur scène après 20 ans d’absence : « Je me préparais à créer Le nombre d’or (Live) et j’ai eu le sentiment qu’il me fallait repasser moi-même par le chemin de la création solo pour pouvoir nourrir l’écriture du spectacle. » La chorégraphe conclut en riant : « Je suis un auteur qui aime créer, un auteur passionné de création et ça c’est forcément se mettre en situation périlleuse. Et la vie c’est ça, c’est quelque chose à réinventer à chaque seconde. J’ai déjà fait beaucoup de créations, mais cela ne change en rien la puissance de ce souffle immense… » La voix de la chorégraphe vibre d’émotion : « Et c’est quelque chose d’émerveillant qui m’excite comme une enfant à chaque fois ! »

Les productions de Chouinard à venir au Québec :
» Les 24 Préludes de Chopin, le 13 oct au Grand Théâtre de Québec, Québec; interprété par le Ballet National du Canada
» Les 24 Préludes de Chopin, les 15 et 16 oct à la Place des Arts, Montréal; interprété par le Ballet National du Canada
» Orphée et Eurydice, le 1er déc au Théâtre Hector-Charland, L’Assomption
» Étude no1 et Les Trous du ciel, le 5 avril au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, Montréal
» Orphée et Eurydice, le 7 avril au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, Montréal
» bODY_rEMIX/les_vARIATIONS_gOLDBERG, les 9 et 10 avril à la Place des Arts, Montréal
» Des feux dans la nuit, du 10 au 21 mai à La Chapelle, Montréal

www.mariechouinard.com