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La Scena Musicale - Vol. 14, No. 4 décembre 2008

Sylvain Guy : De la plume à l’image

Par Caroline Louis / 1 décembre 2009

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« J’ai toujours été dans les arts », affirme Sylvain Guy. La musique, le théâtre et le cinéma l’ont intéressé très tôt et il reconnaît avoir eu de longue date une affinité avec les lettres. Dans ce contexte, on comprend qu’il se soit certes senti à l’aise dans la première profession qu’il a choisie, soit celle d’avocat spécialisé en droit du divertissement, mais on ne se surprend pas qu’il ait rapidement fait le saut vers le monde du cinéma. S’il conserve un bon souvenir de ses études en droit et de ses deux années de pratique dans un cabinet de Montréal, c’est avec enthousiasme que le jeune avocat a quitté la profession pour se consacrer à la rédaction de scénarios.

Si l’écriture pour le cinéma ne s’improvise pas, Guy admet cependant avoir été en bonne partie autodidacte. Son premier geste aura été de se procurer quelques dizaines d’ouvrages de référence, afin d’acquérir la méthodologie nécessaire pour écrire un scénario dans les règles de l’art. Sachant déjà quel type d’histoires il voulait écrire, il lui fallut néanmoins apprendre à rédiger un produit acceptable aux yeux de l’industrie. C’est d’ailleurs par le programme d’aide aux jeunes auteurs de la SOGIQ (ancienne SODEC), qu’il considère avoir été sa première école dans le métier, qu’il apprivoise le milieu.

Le premier scénario qu’il rédige, un long métrage, n’est pas retenu, mais lui permet de rencontrer le producteur Marcel Giroux, avec qui le courant passe immédiatement et qui deviendra l’un de ses collaborateurs principaux. De là, Guy écrit son premier scénario de court métrage, le fantaisiste Stéréotypes, que réalise Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.Y.) en 1990. Une expérience agréable, le court métrage ? Absolument, affirme-t-il. Généralement un passage obligé pour les jeunes cinéastes, le « court » s’avère un format propice à l’expérimentation, qui lui permet d’intégrer une certaine folie à son écriture. Dans le cas de son deuxième court métrage, Zie 37 Stagen, qu’il écrit et réalise cette fois lui-même, le délire dépasse le scénario et guide carrément la production de ce film écrit dans une langue inventée. Mentionnons que Zie 37 Stagen sera récipiendaire, en 1997, d’une multitude de prix attribués lors de festivals de films de par le monde. Aujourd’hui encore, Sylvain Guy affirme qu’il n’hésiterait pas à refaire un court si une idée intéressante lui venait à l’esprit, quoiqu’il déplore le manque de débouchés pour ce format, affirmant qu’il fait surtout des films pour qu’ils soient vus.

Entre ces deux projets de courts métrages, Jean-Marc Vallée tourne Liste noire, un scénario que Sylvain Guy a puisé de son expérience en droit. Le film obtient un succès retentissant dès sa sortie en 1995, dépassant le million de dollars au box-office, fait remarquable pour un drame québécois à l’époque. Désormais de plus en plus attiré par la réalisation, Guy tourne lui-même la version anglaise de Liste noire en 2000, à la demande d’un producteur américain. Cette expérience, dit-il, lui aura permis de démystifier le vedettariat hollywoodien : il dirigera dans The List Ryan O’Neal (Love Story), Ben Gazzara (The Killing of a Chinese Bookie) et Mädchen Amick (Twin Peaks). Bien qu’il s’agisse d’un thriller relatant la corruption d’un magistrat, Liste noire ne reflète pas pour autant un cynisme exagéré de Sylvain Guy envers le monde judiciaire. Ce scénario vise avant tout à raconter un drame humain, vécu évidemment dans un contexte que Guy connaît bien, mais qui n’a pas pour but de caractériser un milieu professionnel, explique-t-il. Le film traite surtout du thème de prédilection du cinéaste, soit la désobéissance et les conséquences qu’elle entraîne. Étant lui-même réfractaire à l’autorité, Guy aime explorer dans ses films le renversement des hiérarchies et le caractère irréversible des décisions qui orientent nos vies.

Une autre constante des scénarios de Sylvain Guy, souligne-t-il, est la prédominance de personnages féminins, qu’il avoue aimer particulièrement développer. Son projet suivant, la scénarisation de Monica la mitraille, confirme ce penchant. Ce scénario, tourné par Pierre Houle et rédigé en collaboration avec Luc Dionne, d’après le roman biographique Souvenirs de Monica de Georges-Hébert Germain, sera d’ailleurs récipiendaire du prix Génie de la meilleure adaptation en 2005. Guy agira par la suite également comme conseiller à l’écriture du film C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée, immense succès critique et commercial sorti en 2005.

Sylvain Guy a complété cet automne le tournage de Léo Huff, un scénario sur lequel il travaille depuis environ quatre ans et qu’il a écrit pour se faire plaisir, sachant qu’il désirait le réaliser lui-même. Tourné au parc national du Bic, dans le Bas-Saint-Laurent, et au Nouveau-Brunswick, Léo Huff raconte le destin d’un homme dont la banale existence se retrouve soudainement bouleversée. La rudesse du paysage rocailleux du Bic, que le cinéaste avait visité il y a quelques années, serait à l’origine du scénario de Léo Huff. Tombé sous le charme de cette âpre nature, Sylvain Guy aurait eu l’idée d’écrire une histoire qui se passerait là-bas. D’ailleurs, explique-t-il, c’est souvent de cette façon que naissent ses projets créatifs. Le point de départ d’un film serait souvent un lieu, un personnage, une histoire, etc. Laissant alors libre cours à son imagination, il écrit ce qui lui vient en tête, jusqu’à ce que se dégage un fil conducteur ou un propos, qui souvent ne lui semblera vraiment clair que plusieurs années après que le film aura été réalisé. Léo Huff fait cependant exception, selon Sylvain Guy, car il semble déjà pressentir la signification profonde du film au plan personnel, bien qu’il se garde de révéler plus précisément le fond de sa pensée. L’on se doute bien, d’ailleurs, que cette œuvre occupe une position privilégiée dans sa carrière, à voir la passion qui l’anime lorsqu’il décrit le tournage qu’il vient d’achever. Une grande liberté artistique, un environnement idéal et une équipe de techniciens et de comédiens de premier ordre, voilà autant d’éléments qui font de cette production un jalon dans le parcours de Sylvain Guy. Celui-ci a été particulièrement impressionné par la grande qualité du jeu des trois comédiens principaux, parmi lesquels Luc Picard, dans le rôle-titre, livre une prestation d’une sensibilité exceptionnelle, selon le cinéaste. « C’est une des belles choses que j’ai vues dans ma vie, de voir Luc Picard créer un rôle », affirme Sylvain Guy, décrivant la façon dont Picard aurait développé, à tâtons et dans un doute constant, un personnage encore plus humain que l’idée qu’il s’en était faite à l’écriture du scénario. Léo Huff nous révélera également un Guillaume Lemay-Thivierge méconnaissable, selon Guy, et une comédienne éblouissante en la personne d’Isabelle Guérard.

Si la production de son plus récent film bénéficie de conditions optimales, Sylvain Guy jubile d’avoir en plus la possibilité d’y explorer à fond une esthétique qui l’envoûte depuis toujours au cinéma, soit celle du film noir. Genre tout d’abord développé aux États-Unis dans les années 1940 à 1950, puis récupéré par d’illustres cinéastes français tels que François Truffaut et Alain Corneau, le film noir se distingue par une atmosphère glauque, une intrigue déroutante, une conclusion souvent malheureuse et une photographie fortement contrastée, inspirée de l’expressionnisme allemand. Pour Sylvain Guy, le film noir incarne en fait l’envers du rêve américain : dans les années 1940 et 1950, tandis que des comédies musicales dépeignant un monde idéal envahissaient le grand écran, les films noirs présentaient une vision totalement inverse, vision à laquelle il dit s’être toujours identifié. Sans tomber dans un pessimisme immodéré, Guy affirme que le côté tordu de l’être humain est pour lui une source de fascination, et qu’il aime secouer un peu son public par une bonne dose de réalisme. « Dans le fond, la vie, ça ne finit pas bien », dit-il tout sourire. Ce fatalisme, bien qu’amené avec humour, se reflète dans l’une des thématiques favorites du cinéaste, soit le fait qu’il arrive parfois que l’être humain, croyant agir pour son salut, coure finalement à sa perte. Le film noir (ou néo-noir) s’avère un médium tout désigné pour explorer de tels sujets, car l’environnement, la façon de filmer, l’éclairage et bien d’autres éléments deviennent une métaphore de la psyché du personnage principal. La cohésion totale entre le style et le propos représente, on le devine, le grand défi artistique de l’esthétique noire, que ce soit au cinéma ou en littérature, et il ne fait aucun doute, à entendre parler Sylvain Guy de son projet, que ce défi soit le moteur de toute la production de Léo Huff.

La recherche du ton de l’œuvre constitue également un défi important dans le processus de création cinématographique, et cette recherche s’articule tant à la rédaction du scénario que durant le tournage et le montage du film, explique Guy. L’écriture s’avère une étape particulièrement cruciale, affirme-t-il, car le scénario servira de plan de travail pour le réalisateur. Il est difficile d’écrire un scénario, nous dit Sylvain Guy, car le texte doit exprimer une idée simple en peu de mots, et avec le bon style et le bon rythme, de surcroît, car ceux-ci se refléteront à l’écran. Si un scénario comporte une part de dialogues, Guy rappelle que les personnages ne s’expriment pas que par la parole, dans un film, et qu’il est intéressant, lors de l’écriture, de faire parler les personnages par leurs actions. Le degré d’expression du non-dit, pour lui, se raffine généralement avec la réécriture d’un texte, de versions en versions. Par ailleurs, le scénario a ceci de particulier qu’il s’agit d’un format constitué d’une série de scènes, dont la qualité individuelle déterminera l’unicité du tout : « Dans un bon scénario, dit Sylvain Guy, chaque scène comporte un peu de l’ADN du film. » Pourtant, ajoute-t-il, un film ne se révèle véritablement que lors du montage, étape méconnue des profanes, mais absolument capitale dans la production d’un film, et qui nécessite une fois de plus la sélection d’un ton et d’un rythme justes.

De telles aptitudes, bien qu’elles se développent avec le temps, requièrent évidemment une certaine méthode, qui prend avant tout la forme, chez Sylvain Guy, d’un dévouement assidu à l’écriture. Celui qui affirme se lever vers les quatre heures et consacrer quotidiennement de longues heures à sa plume se considère également comme un réalisateur exigeant, quoique respectueux de son équipe, et capable de laisser suffisamment d’espace à ses comédiens, par qui les personnages prennent une dimension humaine. Le cinéaste considère qu’il faut également laisser place à la réflexion du spectateur, appréciant lui-même les films dont la fin est un peu ouverte et la morale ambiguë, que l’on comprend et complète soi-même après le visionnement. Parmi ses cinéastes favoris, il cite notamment Billy Wilder (Sunset Boulevard), Alain Corneau (Série noire), Roman Polanski (Chinatown) et David Lynch (Mulholland Drive), tandis que Léolo, de Jean-Claude Lauzon, est pour lui le meilleur film québécois jamais réalisé. Des auteurs tels que Georges Simenon (L’Affaire Saint-Fiacre), Jim Thompson (The Killer Inside Me) et Franz Kafka (La métamorphose) ont par ailleurs maintes fois bercé son imagination d’une littérature noire qu’il aime tant. L’on imagine bien les tiroirs de Sylvain Guy remplis d’intrigues sinueuses et de personnages déjantés, sans doute trop nombreux pour qu’ils voient tous le jour, de son propre aveu. Deux de ces projets sont cependant en voie de réalisation, soit une adaptation du roman de Gaétan Soucy, La petite fille qui aimait trop les allumettes, et un film sur le célèbre Louis Cyr, que tournera Erik Canuel.

Préoccupé par l’apprentissage du métier de cinéaste, qu’il trouve souvent défaillant et peu encadré, Sylvain Guy a permis à un jeune membre de la relève du cinéma québécois d’assister au tournage de Léo Huff. Le cinéaste en herbe Marc Bourgeois a ainsi eu la chance de vivre une expérience sans égale, participant aux séances de préproduction et au tournage du film, acquérant ainsi une formation pratiquement inaccessible par d’autres moyens. Par cette initiative, Sylvain Guy, qui aurait souhaité bénéficier lui-même d’une telle possibilité dans sa jeunesse, espère donner à de jeunes artistes de solides outils pour se réaliser dans le septième art.


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