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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 1

Les avantages de l’éducation artistique pour les enfants

Par Sarah Choukah / 4 septembre 2007

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De nombreux parents investissent temps et argent pour procurer à leurs enfants une expérience artistique : photographie, dessin ou peinture, cours de musique, de théâtre ou de danse. Mais qu’en est-il de l’apport de cette pratique artistique pour les enfants ? Comment l’art enrichit-il leur vie ?

« Depuis plus d’un siècle, musique et arts plastiques sont obligatoires de l’école primaire jusqu’à la fin du collège, écrit la journaliste et écrivaine française Denyse Beaulieu. […] Pour autant, cet enracinement historique ne garantit pas leur légitimité, aujourd’hui entamée par des préoccupations de rentabilité et d’insertion professionnelle. » Quelle place attribuer aux arts dans la vie des enfants, alors qu’une société toujours plus exigeante et compétitive les attend ? Ce que certains considèrent comme une perte de temps agréable, un loisir personnel, est-il si important à l’école ou dans les loisirs des enfants?

Denyse Beaulieu répond brillamment à cette question : « Le paradoxe de l’éducation artistique réside précisément dans cette perte de temps – comme on dit à corps perdu – où la formation du petit de l’homme renoue avec l’origine même du mot « éducation » : ducere, c'est-à-dire « tirer à soi », « faire aller avec soi, dans le même lieu », d’où le verbe « conduire » […] Les guides de cette aventure partagée – enseignants, parents, animateurs, artistes – n’ont pour autre but que d’attirer les enfants vers ce lieu où s’élaborent les formes nouvelles de la beauté, afin qu’ils en tirent des leçons d’existence. »

Quelles leçons tirer de l’art?

Un enfant de quatre ans équipé de crayons de couleurs peut à première vue avoir l'air de jouer sur une feuille de papier. Cependant, pour Susan Striker, « les enfants apprennent à résoudre des problèmes et à exercer leur esprit critique avec un simple matériel d’art à leur disposition1 ». L’auteure et éducatrice cite les résultats des recherches d’une collègue, Rhoda Kellogg, qui après avoir étudié des milliers de dessins d’enfants a conçu un diagramme détaillant les ressemblances entre les traits simples dessinés par des enfants et les tracés de base nécessaires à l’écriture de tout alphabet.

La peinture et le dessin des jeunes enfants sont des fenêtres grandes ouvertes donnant sur l’exploration des formes, des lignes, de l’espace et des couleurs. Les arts plastiques sont, à partir de l’âge de 6 ans, des terrains d’expérience fertiles où les enfants s’exercent à regarder, reproduire et interpréter le monde qu’ils voient, à exprimer leurs premières idées, leurs premiers désirs, l'émerveillement qu'ils éprouvent dans la vie de tous les jours, ou dans leur monde imaginaire. Tous les arts plastiques stimulent leurs capacités cognitives et intellectuelles : ce sont des exercices essentiels à leur développement.

En s'exerçant aux arts, les enfants cultivent également leur créativité, une capacité précieuse aujourd’hui. « La création exige de l’artiste un regard neuf sur le monde, débarrassé des conceptions toutes faites, objectives, neutres, et pauvres », écrit Roger Vigouroux dans La fabrique du beau (Odile Jacob, 1997). […]L’œuvre d’art doit être fluidité, subjectivité, pure sensibilité. L’enfant a justement cette vision mystérieuse des choses, non polluée par les apports d’une société standardisée. » Joanna Murphy, enseignante à l’école primaire, estime aussi que la créativité est cruciale pour le développement des enfants : ils s’expriment plus facilement grâce aux arts plastiques et aux arts de la scène. Les idées et les associations qu’ils font grâce à leur imagination leurs viennent à l’esprit plus aisément.

Cette créativité, ce sens de l’émerveillement renforcent aussi leurs capacités dans d’autres disciplines scolaires. Le scientifique et essayiste Albert Jacquard précise, au sujet des similarités entre les sciences et les arts, que « la science […] c’est un chemin qui progresse comme il peut, qui explore des impasses, qui revient en arrière, c’est passionnant. Mais la finalité, ce n’est pas l’efficacité, c’est l’émerveillement, comme pour les arts. Il me plaît de penser que l’on puisse présenter la science comme un lieu où l’on se dispute gentiment, où il y a des joutes. Il est important de l’appréhender comme un exercice de l’esprit qui doit être jouissif. »

L’art : lieu de socialisation et de découverte de soi

Dans la comédie française La première fois que j’ai eu 20 ans, Marilou Berry joue le rôle d’Hannah, adolescente joufflue et rondelette qui, douée pour la musique, décide d'apprendre à jouer de la contrebasse. La réalisatrice Lorraine Levy dépeint avec sensibilité et humour les efforts d’Hannah pour s'intégrer à un jazz-band composé jusque-là uniquement de garçons de son lycée parisien. Le film montre comment, grâce à son amour de la musique, à sa détermination et à la confiance que sa passion lui inspire, Hannah s’affirme dans une société – celle des années 60, sexiste et de préjugés – qui ne lui laisserait pas sa place autrement.

Beaucoup d’éducateurs apprécient les habiletés sociales que la pratique de l’art en groupe aide à cultiver chez les enfants. Pour Bettyanne Hampton, directrice exécutive du Comox Valley Youth Music Centre (un camp d’été de musique classique, de jazz et de théâtre musical en Colombie-Britannique), voir les enfants sortir de leur coquille et nouer des liens grâce à la musique récompense une année complète de travail et d’organisation du camp. Les nouveaux venus s’emparent instinctivement de leurs instruments durant les premières heures de leur séjour, sans consignes ou suggestions de leurs animateurs, et se mettent à improviser avec leurs nouveaux compagnons d’orchestre ou de jazz-band.

« Beaucoup d’enfants, avant de venir au camp d’été, ignorent tout de leur talent ou de leur compétences par rapport à d’autres jeunes musiciens, car ils n’ont que rarement ou jamais joué en groupe, dit Bettyanne Hampton. L’orchestre, le jazz-band et les activités que nous organisons pour eux, ainsi que leurs professeurs qui sont des musiciens de renom, les aident à se situer par rapport aux autres, à connaître leurs forces et
faiblesses : ils en sortent plus confiants en eux, s’entendent avec les autres avec plus de facilité, se connaissent mieux et découvrent beau- coup de nouvelles choses, y compris des activités qu’ils ne pensaient pas aimer auparavant. »

Le support essentiel des proches et des éducateurs

« Mes parents trouvaient que je gaspillais trop d’énergie à peindre et à dessiner quand j’étais enfant », raconte Nicole Beaudry. L’étudiante au baccalauréat en communications trouve pourtant que ces longues heures passées avec ses pinceaux et ses crayons ont été bénéfiques pour son développement personnel : « Je ne serais pas la même personne aujourd’hui. Le dessin et la peinture m’ont aidée à exprimer mes joies et mes peines toutes ces années, et me donnaient confiance en moi ; beaucoup d’amis et de professeurs me disaient que j’avais du talent et que mes œuvres étaient belles. Je regrette que mes parents ne m’aient pas soutenue davantage. »

Le manque d’empathie des parents de Nicole Beaudry l’ont pourtant aidée à développer d’autres habiletés dans sa jeunesse : « Lorsque j’avais huit ou neuf ans, mes parents, qui avaient hâte de me voir ranger mes pinceaux, mes ciseaux et tout ce que j’utilisais pour faire du bricolage, me demandaient toujours de laisser la pièce dans laquelle je m’amusais dans l'état où je l'avais trouvée. J’apprenais très tôt à organiser mon espace pour ne pas faire trop de dégâts avec ma peinture, à organiser mon temps et mes activités artistiques (je devais décider ce que je voulais faire durant les deux ou trois heures suivantes et le réaliser, évidemment), et à ranger mon matériel d’art avec une minutie qui me faisait défaut à l'heure de ranger ma chambre ! »

L’encadrement d’un enfant par ses parents, animateurs ou enseignants, influence beaucoup l’expérience qu’il retirera de sa pratique artistique. « Certaines des activités du cours d’arts plastiques que je prépare pour mes élèves sont plus structurées que d’autres. Des fois, je donne une contrainte aux enfants : ils devront par exemple utiliser un médium particulier, mais je leur laisserai le choix du thème et du sujet qu’ils veulent illustrer, dit Joanna Murphy. Dans ce cas, il est intéressant de voir ce que les enfants décident de faire. Ils doivent se demander ce qu’ils veulent dessiner, peindre ou coller, comment le faire, et comment arriver à reproduire ce qu’ils ont dans la tête d’une manière qui les satisfait. Ces petits exercices sont une façon intéressante de stimuler leur capacité à s’organiser avec du nouveau matériel, à résoudre des problèmes avec confiance. »

Il est essentiel, en tant que parent, proche, animateur ou éducateur, de soutenir les enfants dans leurs aventures artistiques ; ils en retirent un goût distinct pour les arts. « Il faut s’assurer de [leur proposer des choses] qu’ils aiment, voir le plaisir qu’ils ont à participer aux activités, les laisser découvrir eux-mêmes ce qui va leur donner un souvenir mémorable et agréable de leur expérience», affirme Hélène Nadeau, chef du Service de l’éducation et des programmes publics au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Même son de cloche chez Joanna Murphy : « J’ai eu des élèves qui n’aimaient pas la période des arts plastiques, parfois parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de leurs oeuvres et se trouvaient mauvais. J’ai appris à les encourager subtilement, car, à 9 ou 10 ans déjà, les enfants se méfient des compliments hâtifs et ont une bonne idée de leurs capacités et de leurs faiblesses. Ce qui fonctionne le mieux, c’est de trouver des activités artistiques qu’ils font bien et pour lesquelles ils se trouvent habiles, qui vont les satisfaire autant au niveau de la création que du résultat final. »

Qu’il s'agisse de danse, de théâtre, de musique ou d’une simple visite au musée, l’art permet de créer des liens communautaires, affectifs et sociaux entre parents, enfants ou adolescents, leurs enseignants, leurs amis et les organisations ou institutions qui les encadrent. Mais surtout, l’art ouvre aux enfants et aux jeunes adultes un accès à un niveau de sensibilité plus élevé : « Lorsque je danse – ce que j’aime faire dans mes temps perdus – que je dessine, ou que je peins, étrangement, je ne me sens plus seule, confie Nicole Beaudry. Je me sens liée à tous ces gens qui ont dessiné les mêmes lignes, peint avec les mêmes tons, tracé les mêmes mouvements dans l’air avec leurs bras et leurs jambes, longtemps avant moi. Je me crois l’héritière d’une tradition très ancienne, qui ne cesse d’évoluer grâce à moi et à des milliers d’autres artistes. Je me sens calme. Je me sens là où je dois être. » n

1Les textes anglais cités dans ce texte ont été traduits par l’auteure.

En organisant des activités artistiques pour stimuler la créativité des enfants, on ne risque pas d'être à court d’idées. Il suffit de prendre une discipline artistique comme point de départ et de se laisser guider par son imagination et ses goûts. Les activités suivantes, par exemple, sont orientées autour de la photographie. Elles sont tirées du livre de Michèle Économidès, Enfants photographes, une méthodologie de la photographie dès l’école maternelle (éditions Labor, 1990).

› -Photographier et documenter une scène particulière à la maison : par exemple, la préparation d’un gâteau avec maman ou papa.

› -Prendre des photos puis les intégrer à un calendrier qui sera distribué à la famille.

› -Faire un collage avec les pellicules des films ayant servi à prendre des photos.

› -Coller une photo prise par l’enfant sur une feuille ou une pancarte et compléter avec un dessin ou une peinture.

› -Classer les photos prises dans un album et en commenter des aspects : les couleurs, la prise de vue, l’éclairage, etc.

› -Centrer des excursions photographiques sur un thème particulier : les animaux, les plantes ou les oiseaux, par exemple.

Quelques suggestions de lecture pour en savoir plus ou trouver de l'inspiration :

› -J’aime pas la musique, par Valérie Rouge-Pullon. Éditions du temps, 2007.

› -Le théâtre dans ma classe, c’est possible! Par Lise Gascon, Éditions Chenelière-McGraw Hill, 2000.

› -Cachettes et secrets, livre animé d’initiation aux beaux-arts pour les enfants, par Marie Barguirdjian Bletton. Éditions RMN, 2006.

› -Mon petit centre Pompidou, par Marie Sellier. Éditions RMN, 2007.

› -Amus’art : Je peins, je crée, par Zique et Nano. Éditions Casterman, 2006.

› -Les livres de Philip Yenawine et du Museum of Modern Art destinés aux enfants sont idéaux pour les initier à l’appréciation de l’art dans les musées (titres tous publiés en 2000: Formes, Histoires, Les gens, Lieux).

› -Young at Art, Teaching Toddlers Self-Expression, Problem-Solving Skills, and an Appreciation for Art, par Susan Striker. Éditions Henry Holt and Company, 2001.


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