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La Scena Musicale - Vol. 11, No. 3

Histoires de passeurs

Par Marc Chénard / 12 décembre 2005

English Version...


On connaît bien ces grands du jazz que sont Armstrong, Ellington, Parker, Monk, Coltrane... Mais il y a aussi une kyrielle d'autres musiciens qui peuplent la galaxie jazz de leur plus modeste présence. Et ces figures méconnues ou obscures qui, pour une raison ou une autre, n'ont jamais percé, que dire à leur sujet ? Manque d'ambition, ou d'aptitudes nécessaires pour s'affirmer ? Jouer de malchance en n'étant jamais au bon endroit au bon moment ? Mourir dans la fleur de l'âge ?... Voici cinq musiciens, à qui on a réservé une mesure de reconnaissance posthume.

Herbie Nichols (1919-1963)

Sans doute le plus célèbre des méconnus de l'histoire du jazz, Herbie Nichols était un pianiste original à quelque part entre le jazz classique et le bop. Auteur de quelque 170 pièces, la moitié d'entre elles ont été perdues dans l'inondation de la cave de son père. Pour gagner sa maigre croûte, il accompagnait le plus souvent des musiciens de moindre calibre. Homme cultivé et discret, il n'avait ni l'excentricité d'un Monk, ni les mauvaises habitudes de ses confrères. Il réussit pourtant à enregistrer sa musique en trio chez Blue Note en 1955-56, puis un autre disque chez Bethleem l'année suivante, mais ensuite plus rien. À l'automne de 1962, il répétait sa musique en quintette (avec Archie Shepp et Roswell Rudd comme souffleurs), mais ne put continuer en raison de la maladie (la leucémie) qui allait l'emporter au printemps suivant. Il fallut plus de 20 ans pour qu'on le redécouvre (ironiquement, en Europe), mais sa musique fait maintenant l'objet de relectures, entre autres par une formation américaine appelée le « Herbie Nichols Project ». Harmoniquement imprévisible et structurée de manière inusitée, sa musique est très personnelle tout en trahissant un grand nombre d'influences, tant afro-américaines qu'européennes.

À écouter : « The Complete Recordings of Herbie Nichols on Blue Note » (Coffret 3 DC)

Wilbur Harden (1924-1969)

Le Lautréamont du jazz en quelque sorte, cette figure énigmatique (dont il n'existe apparemment qu'une seule photo) n'eut qu'une année de gloire durant sa courte existence : en 1958, il grava quatre microsillons, trois d'entre eux avec nul autre que Coltrane et le dernier en compagnie du pianiste Tommy Flanagan. Premier spécialiste du bugle en jazz (le flügelhorn), il était un mélodiste élégant et offrait un beau contraste au jeu plus agressif du saxophoniste. Vers 1960, il se retire de la scène pour raison de « maladie » (selon tous les relevés biographiques, qui n'en disent pas plus). L'année de sa mort resta un mystère pendant longtemps, mais la nouvelle édition du dictionnaire de jazz Grove la fixe à juin 1969. Aux dires du saxo Yussef Lateef, qui l'avait d'abord engagé dans son groupe en 1957, on le retrouva mort dans la rue, sans plus.

À écouter : Tanganyika Strut (Savoy Jazz), réédité sous le nom de John Coltrane

Joe Harriott (1928-1973)

À sa disparition, aucune notice nécrologique ne parut dans les journaux ou magazines de jazz en Angleterre, patrie d'adoption de ce saxophoniste émigré des Antilles en 1951. Pourtant, ce musicien noir formulait, en parallèle à Ornette Coleman aux États-Unis, un concept de free jazz, ou « jazz abstrait », comme il l'appelait. De nos jours, on le reconnaît comme un précurseur de la musique improvisée européenne, même s'il avait délaissé cette voie dans les années 60 pour revenir vers un jazz plus traditionnel, ou encore en tentant une fusion avec les musiques indiennes (les « Indo-Jazz Fusion »). Musicien qu'on disait sérieux et voué pleinement à son art, il se buta à l'indifférence d'un public plus entiché par le jazz classique. En dépit de l'oubli, sa consécration vint ces dernières années, alors que le saxophoniste chicagoan Ken Vandermark créa son « Joe Harriott Project » pour revisiter sa musique. En 2003, une biographie de Harriott, intitulée « Fire in his Soul », a été publiée en Angleterre.

À écouter : « Free Form – Joe Harriott Quintet », Redial, réédition Universal

Richard Twardzik (1931-1955)

Si ce n'était pas d'une certaine ressemblance physique, Chet n'aurait pas autant mérité la comparaison avec James Dean que le pianiste Richard Twardzik. Né la même année que le légendaire acteur américain et mort exactement 24 ans plus tard, Twardzik avait été, aux dires de Baker, son frère de sang musical. Enfant unique d'un couple assez austère de Boston, le talentueux pianiste devint narcomane sur le tôt, se sevrant à un moment pour chuter de nouveau. Lui, Baker et deux autres jeunes compatriotes partirent à la conquête du Vieux Continent, mais lors d'un séjour à Paris, Twardzik perdit la vie dans sa chambre d'hôtel, victime de la dose ultime. Et pour comble, Baker devint à son tour esclave de l'aiguille après la disparition de son confrère d'arme, devenant l'infâme junkie jusqu'à sa propre déchéance en 1988. Pendant longtemps, le legs discographique de Twardzik comptait parmi les objets de convoitise des collectionneurs, mais des rééditions récentes en compacts permettent de découvrir ce talent prometteur, mais sans lendemain.

À écouter : « Richard Twardzik Trio », Pacific Jazz, réédition chez EMI en 1989

Tina Brooks (1932-1974)

D'après le nom, les néophytes seraient portés à croire à un personnage féminin, or il s'agit bien d'un homme dont le surnom provenait du mot « tiny », qu'on lui colla durant sa jeunesse en raison de sa petite taille. Saxophoniste ténor aux habiletés modestes, il était un passeur chez Blue Note à la fin des années 50, d'abord avec l'altiste Jacke McLean, puis effectuant trois séances sous son propre nom, dont une seule parut de son vivant. Parmi les inédits, le disque « Back to the Tracks » avait même été annoncé dans les ma-gazines de l'époque, sans avoir été mis en marché, devenant ainsi un album mythique pour les collectionneurs. Un article récent à son sujet (dans Coda Jazz Magazine) impute sa disparition de la scène à son homosexualité, un trait de personnalité honni dans le monde très macho du jazz, mais la conclusion qu'il était un modeste artisan, sans plus, s'impose toutefois.

À écouter : « Back to the Tracks » Blue Note, Conoisseur series *

Photo: Francis Wolff

Jazz à pleine vue

Marc Chénard, Félix-Antoine Hamel, Paul Serralheiro

On ne s'étonnera pas qu'il existe plusieurs documents filmés de la longue carrière de Duke Ellington. Dès les débuts du cinéma parlant, il apparut à l'écran avec son orchestre, puis, à l'ère de la télévision, plusieurs documentaires lui furent consacrés. Pour ceux qui n'ont pas eu le privilège de le voir en chair et en os, ces images permettent d'entrer dans le monde de l'un des plus grands créateurs du jazz.

Duke Ellington & his Orchestra 1929-1943

Storyville Films 16033

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Sur ce DVD Storyville se retrouvent certaines de ses premières présences à l'écran. « Black and Tan », de 1929, malgré une intrigue naïve, nous offre un témoignage indirect mais précieux sur l'atmosphère du célèbre Cotton Club. « Symphony in Black », de 1934, est déjà plus ambitieux, tant sur le plan filmique que sur le plan musical. Cette œuvre méconnue préfigure en quelque sorte la suite « Black, Brown and Beige » de 1943. On y remarque une jeune Billie Holiday, chantant Saddest Tale. Complétant le programme, on y voit un extrait de « Check and Double Check » (1930), de « Hit Parade of 1937 », ainsi que « Record Making with Duke Ellington and his Orchestra » (1937) et quatre pièces tournées en 1943, dans lesquelles on remarque Ben Webster. La brièveté du DVD (autour des 55 minutes) laisse cependant le spectateur quelque peu sur sa faim et l'on aurait pu souhaiter y voir figurer d'autres films provenant de cette même époque.

On The Road With Duke Ellington

Robert Drew, 1967/1974

Docurama NVG-9502

*****Édité chez Docurama, « On the Road with Duke Ellington », du cinéaste Robert Drew, est un document exceptionnel. Les différents aspects de la vie du Duke y sont traités, non pas de façon historique (malgré un bref passage de réminiscences), mais plutôt dans le quotidien. L'ayant filmé dans divers contextes en 1967, le réalisateur nous permet ainsi d'entrer au plus près dans le rythme des activités du maestro. On voit ainsi Ellington accepter un doctorat honorifique, signer des autographes, jouer en concert ses vieux classiques, s'installer au piano pour composer, diriger un concert sacré, enregistrer une nouvelle pièce, prendre à l'hôtel son fameux déjeuner de steak et pommes de terre au four, recevoir Louis Armstrong dans sa loge et assister aux funérailles de son plus proche collaborateur, Billy Strayhorn. Bref, un film qui dépasse l'anecdotique pour nous offrir un portrait fascinant et essentiel aux amateurs du grand maestro.

Signalons, en terminant, d'autres documents visuels
qui valent aussi le détour :

Memories of Duke (1968) – Music Video Distributors

Copenhagen 1965

The Intimate Duke Ellington (1967)

Live at Tivoli Gardens (1971)

(Ces trois titres disponibles sur Image Entertainment)

Anatomy of a Murder (1959) d'Otto Preminger – Columbia / TriStar

(Ellington composa sa trame sonore la plus célèbre pour ce dernier film, dans lequel il fait même une brève apparition) FAH

Dave Holland Quintet : Live in Freiburg

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****Y a-t-il un musicien plus représentatif du jazz moderne que le grand contrebassiste Dave Holland ? Protégé de Miles Davis dans sa première période électrique, puis côtoyant l'avant-garde free (Braxton et Rivers entre autres), il s'est affirmé pleinement dans une musique purement acoustique, appuyée de compositions originales sophistiquées et jouées avec panache par des accompagnateurs de premier plan. Dirigeant ses propres formations depuis plus de 20 ans, il a contribué à mettre sur la carte plusieurs talents, le plus récent étant Chris Potter. En 1986, date de cette captation audio-visuelle dans la ville allemande de Freiburg, ce quintette comptait un musicien qui marquerait le jazz des années 1990, soit le saxo alto Steve Coleman. À ses côtés, on entend le toujours inspiré Kenny Wheeler (ici entendu surtout au cornet et un peu au bugle -- solo excellent sur World Protection Blues) et le tromboniste Robin Eubanks (toujours au poste en 2005), sans oublier le percutant Marvin Smitty Smith à la batterie. Variant de neuf à seize minutes, les cinq thèmes interprétés ici firent partie du répertoire à l'époque du second enregistrement ECM, « Seeds of Time ». Donnant une assise de béton, Holland est un soliste tout aussi éblouissant (écoutez et voyez ses doigts se déplacer avec la vitesse d'éclair sur « Homecoming »). Puisqu'il s'agit d'une captation pour la télévision allemande ZDF, le tournage est de grande qualité et la synchronisation de la musique avec les prises de vue multiples est impeccable. Un des beaux et bons groupes des années 80, jouant ici avec tout le panache qu'on lui connut. MC

The Super Guitar Trio

Al Di Meola, Larry Coryell, Biréli Lagrène

TDK DVWW-JSGTF

****If a music DVD sometimes raises the question "why is this not just a CD ?", this session anchored by guitarist Al Di Meola suggests the answer is so that we can see how the music happens: the quick jump shots from guitarist to guitarist, close-ups of the fingerboards, the eye-contact signaling twists and turns in the compositions – visual elements that bring us that much closer to the music. Filmed before an audience in Cambridge, Massachusetts, in 1990, the concert features Di Meola at his peak, spinning out the lightning quick flamenco-coloured licks that he tailored to his own fashion. Rhythm and phrasing are mesmerizing, and his cohorts keep pace; Coryell seems more comfortable with the rapid rhythms the leader commands than Lagrène, a prodigy in the Django mold, who appears to find the context a little restrictive since his solos never quite take flight. The six tracks here include the hit "Mediterranean Sundance," and "No Mystery," a Chick Corea tune that appeared on a 1975 "Return to Forever" album that featured the guitar sizzle of a young Di Meola. The acoustic six-stringers are accompanied on three tracks by Gumbi Ortiz and Arto Tuncboyaci on percussion. Chris Carrington also appears on guitar in a duet with Di Meola on Astor Piazzolla's "Tango Suite." Although this DVD contains material that is 15 years old, it is satisfying viewing for fans of the guitar and recalls the work of the fiery 1980s guitar trios of Di Meola, John McLaughlin and Paco De Lucia. PS

Au rayon du disque / Off the Record

John Coltrane : Mémoires d'outre-tombe

L'année en cours sera sans doute mémorable à un titre, soit pour la mise en marché d'enregistrements inédits de grande valeur. Ces derniers mois, un concert de Charlie Parker et de Dizzy Gillespie, donné au Town Hall de New York en 1945, voyait le jour sur étiquette Uptown Records. Plus récemment, deux autres nouveautés inestimables s'ajoutent au palmarès.

Thelonious Monk Quartet with John Coltrane:
Live at Carnegie Hall

Blue Note 0 946 3 35174-2

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Formation mythique, le quartette unissant Thelonious Monk et John Coltrane s'est produit au café Five Spot de New York durant l'été et l'automne de 1957. Aucune bande documentant ce périple ne semblait exister (outre trois plages d'un album studio). Puis, en 1993, les amateurs crurent être comblés avec « Discovery », édité aussi par Blue Note ; toutefois, cette prestation eut lieu l'année suivante, Coltrane remplaçant le saxo attitré Johnny Griffin pour un soir. Par ailleurs, cette parution était entachée par le transfert d'une bande tournant trop vite, erreur corrigée dans une édition ultérieure. Perdue dans les limbes de la Bibliothèque du Congrès, cette nouvelle bande documente une partie d'un concert-bénéfice tenu au Carnegie Hall en novembre 1957. Non seulement la prise sonore est excellente, mais la qualité de jeu du groupe est exquise. Plus volubile que d'habitude, Monk glisse souvent des citations de ses autres morceaux dans ses solos (essayez de repérer Off Minor ou Hornin' In dans Bye-Ya, ou encore Work dans la première version d'Epistrophy, la seconde étant hélas ! incomplète). Coltrane, pour sa part, était le parangon de la volubilité et on l'entend ici à une des époques-charnières de sa vie, sevré de la drogue et voué pleinement à son art. Neuf plages sont regroupées ici, les cinq premières données durant un premier set, les quatre autres plus tard dans la soirée. Derrière ces deux légendes, le bassiste Ahmed Abdul Malik (mort assez récemment) tient la pulsation comme un roc, le batteur Shadow Wilson (disparu moins de deux ans après) est d'un swing indéfectible. Pour agrémenter cette production, six personnes ont contribué aux notes du livret de plus de 20 pages, dont Ira Gitler et Amiri Baraka, témoins de cette époque mais pas du concert qui, lui, semble être passé inaperçu. Pour nos oreilles de 2005, tout cela est éminemment familier, mais 48 ans plus tôt, cela passait pour l'avant-garde du jazz. Reste maintenant à savoir quelle avant-garde de notre temps aura la faveur du public en 2053...

John Coltrane Live at the Half Note – One Down One Up

Impulse (Universal) 2380-02

*****

Il y a de ces disques qu'il importe d'écouter de toute urgence, si bien que ce chroniqueur s'est gavé de ce copieux repas musical avant même d'avoir pris son petit-déjeuner. Même si ces enregistrements ont circulé des années durant parmi les collectionneurs, ils voient enfin le jour dans une édition légitime. En mars et mai 1965, le quatuor de ce célèbre musicien se produisait au Half Note, un bar new-yorkais qui lui servait de laboratoire musical. Pour ces deux soirées, une radio locale diffusa en direct les performances. Et quelles performances ! Quatre plages garnissent les deux disques, pour un total de 82 minutes de musique (entrecoupées d'introductions de l'animateur de l'émission au début des pièces et d'un dernier micro à la fin de chacune des diffusions, les pièces Afro Blue et My Favorite Things étant malheureusement incomplètes). Pourtant, c'est la pièce d'ouverture One Down One Up que beaucoup estiment être le graal ici : outre une intro de basse, rejointe par la batterie, il s'agit d'un torrent de saxo ténor de plus de 25 minutes, où le pianiste, suivi du bassiste, se retirent pour laisser le saxo et le batteur Elvin Jones se livrer un vrai duel de championnat. Le pianiste Tyner, pour sa part, brille dans les deux pièces tronquées (et on entend ses solos au complet), sans oublier le tandem Jones-Garrison qui maintient la musique en état d'ébullition constante. Le maître, lui, n'est rien de moins que renversant (son solo sur Song of Praise est tout aussi captivant et autrement plus écorché que la version studio publiée à l'époque). Par moments, des petites chutes de son sont perceptibles (dans la pièce titre), mais cela n'amoindrit en rien l'impact. Cette musique a de quoi réveiller les vivants, ce qui est d'autant plus remarquable pour quelqu'un qui est passé de l'autre bord depuis 38 ans déjà ! Choc de la musique, disque d'émoi et tout ce que vous voudrez, quel mémorable témoignage d'outre-tombe ! MC

Art Ensemble of Chicago: Certain Blacks

America Records # 1

067 848-2

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The French label America Records captured some of the most exciting and innovative music being made in the '60s and '70s. As the original discs are long out of print, this is a reissue series well worth discovering. The first disc is a strange yet perfect thing. Recorded on February 10, 1970, in Paris, while America was a seething mass of unrest and significant social change, this disc is a vital account of the spirit of the times. Based on a recurring chant ("Certain Blacks do what they wanna / Certain Blacks go wild yeah / Certain blacks groove on love / Certain blacks dig their freedom"), this is the Art Ensemble's "A Love Supreme," a collective-leaning and societally-conscious counterpart to Coltrane's mystic song of praise. The three-note germ of the chant grows into a 23-minute collective improvisation the likesof which have not been surpassed. Soulful, expressive, lyrical, crazy, wild, unfettered, and revolutionary are all words that apply to the music making here. The main opus is followed by two equally engaging tracks that show the creative variety the Ensemble was capable of. PS

Roswell Rudd

America Records # 10

067 868-2

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Recorded five years before the disc reviewed above, this 10th in the inspired series of reissues happened while Elvis and the Beatles ruled the airwaves. Despite its age, the music is still fresh, an evergreen model of inspired improvisation. Rudd's trombone reflects the sounds of the emerging free jazz and the arcane experiments in serious music circles (Rudd studied at Yale). Teaming up with Europeans John Tchicai on alto, Finn Von Eyben on double bass and Louis Moholo on drums in a 1965 date in Holland, Rudd and company improvise fearlessly on originals and render an idiosyncratic reading of Monk's "Pannonica." The exploration of sound and textures that is still the poetic behind most creative music today is here presented in very inspired bloom, the more impressive because of the pioneering nature of the language, which will surely surprise listeners despite the rather sub-standard recording quality. PS

Erroll Garner: Plays Misty

Naxos Jazz Legends 8.120771

****Parmi les 14 plages de cette réédition, provenant de séances réalisées en 1953 et 1954, on compte plusieurs belles réussites, dont la version originale de Misty, la pièce la plus célèbre du pianiste Erroll Garner. Peu importe si ces enregistrements en trio ont été gravés avant l'introduction de la haute-fidélité, Garner est tout simplement éblouissant. Peu de pianistes dans les annales du jazz avaient le don de surprendre l'auditeur et de communiquer avec le grand public autant que lui et il est facile de comprendre pourquoi la revue Down Beat l'a couronné meilleur pianiste entre 1948 et 1957. Cette compilation s'ouvre avec Stompin' At The Savoy, évoquant l'exubérance de Fats Waller et donne un aperçu du style garnérien. On a beaucoup parlé de ce style unique, aussi charmant que fougueux, et relancé sans cesse par des idées neuves. Sa prodigieuse main gauche, expression même du « swing », donnait aussi une couleur harmonique apparentée à Liszt ou Debussy, notamment dans les ballades. Ce disque est une bonne écoute car on entend du très bon Garner ; en fait, sa version de Lullaby of Birdland mériterait à elle seule six étoiles. CC

Miles Davis: Boplicity

Naxos Jazz Legends 8.120772

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If you've been thinking of replacing your original vinyl copy of "Birth of the Cool" with a CD, this budget compilation of material from that period in Miles Davis's output might interest you. Subtitled "Original Recordings 1949-1953" this is Volume 2 of Miles Davis on Naxos. Featuring eight of the tracks from that seminal recording along with ten others, the material heard here covers stints with Capitol, Blue Note and Prestige. Although it was recorded on the eve of and during the trumpeter's lapse into the shadows of heroin addiction, the only tunes that show any signs of lazy or uninspired playing are the four from Prestige sessions with Al Cohn and Zoot Sims sharing the front line. Nonetheless, even these are recordings with historical interest, showing Davis in a setting with West Coast musicians with whom he shared aesthetic sensibilities for a time, before the protean leader would form his first famous quintet with John Coltrane. Now that this Davis material has fallen into the public domain, we can expect some creative repackaging of the great artist's output, of which this disc is an example. An added bonus is the thorough liner notes written by Scott Yanow. PS

Vienna Art Orchestra: Swing & Affairs

Universal 02498 74469

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Peu d'ensembles inscrits dans l'univers contemporain du jazz peuvent être considérés comme de véritables institutions. Le Vienna Art Orchestra en est un. Dirigé depuis sa création en 1977 par le compositeur et arrangeur helvète Matthias Rüegg, le VAO a d'abord fait sa marque comme orchestre de création pour en devenir un de répertoire au fil des ans. Dans ce nouvel enregistrement, l'ensemble revisite son passé avec des réarrangements de sélections antérieures. Des quinze pièces, cinq sont des relectures de pièces originales, les autres provenant de plumes aussi diverses que Satie, Strauss, Schubert, Mozart, Mingus, Dolphy, Strayhorn, Monk, Santamaria, Landesmann. À elle seule, cette liste révèle l'éclectisme du groupe, mais il faut aussi savoir qu'il s'agit d'un véritable catalogue de tous les poncifs du jazz big band à l'américaine, l'influence de Duke Ellington traversant le tout. Malgré une précision exemplaire, cette machine (trop ?) bien huilée semble embrayée sur le pilote automatique. The thrill is gone. MC

Marty Ehrlich : News on the Trail

Palmetto Records PM2113

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Dans la foulée de son précédent enregistrement édité chez nous chez Justin Time, Marty Ehrlich poursuit son travail de compositeur et d'arrangeur, quoiqu'en formation réduite (un sextette plutôt que la douzaine de musiciens qui l'entourait dans son précédant opus) et dans un registre musical plus proche du jazz mainstream que de celui de la Third Stream. Les références stylistiques abondent, évoquant l'univers d'Ellington ou de Strayhorn (« Light in the Morning » et « Keeper of the Flame »), un style syncopé un peu funky (« Here you Say ») ou le son Blue Note années 60 (l'ouverture « Enough Enough »). Cela dit, il ne tombe pas complètement dans le piège du pastiche, puisque tout le monde y met du sien dans ses solos, le leader au sax alto et à la clarinette, le multi-instrumentiste Howard Johnson (au tuba et à la clarinette basse), le trompettiste James Zollar et un trio de solides rythmiciens. En 53 minutes, l'ensemble négocie les huit originaux du leader avec conviction. Comme le système de cotes de cette publication n'admet pas les demi-étoiles, nous en donnerons quatre, même s'il en mérite trois et demie au plus. MC

Dave Douglas: Keystone

Greenleaf Music GR-03

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À l'instar de Bill Frisell et Go West (de Buster Keaton), voici maintenant au tour du trompettiste Dave Douglas de composer une trame sonore d'un film muet, en l'occurrence Fatty & Mabel Adrift de Roscoe « Fatty » Arbuckle. Cette comédie saugrenue de 1915 sert donc de prétexte pour une musique qui, malheureusement, ne colle pas à l'histoire. On voit mal le rapport entre ce film et l'espèce de jazz fusionnant avec orgue Wurlitzer et basse électrique. Pour cette troisième réalisation sur son étiquette, Douglas offre un disque audio et un DVD où un remix de la musique accompagne le film de 34 minutes seulement. Le tout est arrondi par un bref extrait de 4 minutes d'un autre film dudit M. Arbuckle. Les notes de Douglas (en ca-ractères minuscules et difficiles à lire) font allusion aux déboires du réalisateur, apparemment évincé d'Hollywood suite à quelques procès (sans nous en dire plus, ce qui est plutôt frustrant pour les non-cinéphiles). Bien qu'on l'eut applaudi pour ses deux disques antérieurs, Douglas a glissé ici sur une pelure de banane. Meilleure chance la prochaine fois, Dave. MC

The New Talent Jazz Orchestra :
The Sounds of the New York Underground

Fresh Sound FSNT 200

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D'après le titre de ce double coffret, on penserait qu'il s'agit d'une musique marginale, ou même ésotérique; toutefois, il s'agit d'un jazz contemporain joué selon les règles de l'art. Lancé par le producteur de cette étiquette sise à Barcelone, ce projet rassemble près de 50 musiciens (pas tous en même temps) qui exécutent huit originaux par autant de compositeurs du collectif et huit arrangements (par les mêmes). Outre le guitariste Ben Monder, peu de musiciens sont connus ici, à moins que soyez un assidu de cette maison de disques. Ce qui plane au-dessus de ces séances, c'est l'approche du jazz préconisée par la Berklee School of Music, une musique bien ficelée et polie (dans tous les sens du terme). Et comme une bonne partie des participants ont justement fait leur classe dans cette institution, nul ne saurait être surpris par la musique produite. Tout compte fait, il est beaucoup plus facile de sortir le musicien de l'école que le contraire. Ainsi, à jouer sans péril, on triomphe sans gloire. MC


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