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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 8

Eve Queler - Suivre la musique

Par Joseph So / 14 mai 2005

English Version...


Synonyme de la scène new yorkaise, le nom d’Eve Queler est bien connu des amateurs d’opéra. En tant que directrice musicale de Opera Orchestra of New York (OONY) ces dernières trente-quatre saisons, Queler a dirigé plus de quatre-vingt-dix opéras à Carnegie Hall, dans un vaste répertoire. Celui-ci inclut souvent des oeuvres rares que Queler présente au public avant les grandes compagnies d’opéra. Queler a aussi travaillé avec de très grands artistes tels Placido Domingo, Nicolai Gedda, Richard Tucker, Carlo Bergonzi, Beverly Sills, Montserrat Caballe, et Joan Sutherland. Avec ses oreilles sensibles au talent, Queler a pris soin des jeunes Renée Fleming, Aprile Millo, et Deborah Voigt, alors qu’elles faisaient leurs débuts avec OONY. La directrice originaire de New York s’est toujours tenue occupée autant en Amérique du Nord qu’à l’étranger en tant que chef invitée par les orchestres de Cleveland et de Philadelphie, et les maisons d’opéras de Hambourg, Francfort, Barcelone, Sydney, Kirov et Bonn, entre autres. Deux doctorats honorifiques et de nombreux prix font d’elle une des femmes les plus décorées dans le monde de la musique classique. En 2003, Queler a été nommée Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres par le ministre français de la Culture pour son engagement envers l’opéra français.

LSM a tout récemment rejoint Madame Queler à New York. Ayant tout juste terminé de diriger Le Nozze di Figaro à Oberlin College, la maestra s’affaire déjà aux répétitions de Mignon avec la mezzo Stephanie Blythe. Son prochain engagement majeur : Les Contes d’Hoffmann avec l’Opéra de Québec en mai. Il s’agira de sa quatrième production de Hoffmann. La plus récente de celles-ci a connu six représentations à Pretoria, en Afrique du Sud, avec le ténor Keith Ikaia-Purdy. Queler connaît bien le Canada, ayant dirigé les orchestres symphoniques de Montréal et d’Edmonton. Elle a aussi déjà dirigé Il barbiere di Seviglia avec Opera Hamilton dans les années 90.

LSM: Qu’est-ce qui vous a attirée à la musique française et à l’opéra français ?

EQ : Les opéras français ont tant de contenu intéressant, quoique obscur, qui n’a jamais été entendu, ou pas depuis une cinquantaine d’années. J’ai également eu la chance, dans les années 70, de travailler avec Nicolai Gedda, dont le répertoire d’opéras français et russes était incroyable. J’ai fait avec lui Les pêcheurs de perles, Oberon, Lakmé et Benvenuto Cellini.

LSM: Vous réussisez à engager de grands noms aussi bien que des chanteurs qui n’en sont qu’à leurs débuts. Quel est votre secret pour convaincre ces artistes de chanter pour vous ?

EQ: Et bien, j’ai été accompagnatrice et répétitrice pendant 15 ans. J’ai joué La juive pour Tucker et Werther pour Gedda, et j’ai appris à les connaître. Dans certains cas, j’ai offert aux chanteurs les rôles qu’ils voulaient chanter, tel Le Cid comme le désirait Placido Domingo. Caballe m’a demandé Herodiade, mais ensuite elle est tombée malade! Mais c’est avant tout parce que je m’intéresse au chant et au phrasé legato et bel canto. Je respire avec les chanteurs; j’ai le sentiment de rendre le plus grand service au compositeur quand je contribue à faire bien chanter les artistes.

LSM: Comment arrivez-vous à injecter l’aspect dramatique lors de performances en version concert?

EQ: Nous avons fait des performances partiellement mises en scène, comme La Dame Blanche (avec Renée Fleming). Avec Benvenuto Cellini, par exemple, il faut faire au moins un peu de mise en scène. Il est écrit dans notre contrat que les chanteurs ne doivent pas utiliser de partition; ils sont supposés tout apprendre par cœur. Certains le font, tandis que d’autres ne le font pas. Certains chanteurs sont habitués à avoir un souffleur, comme Nicolai Gedda. Je me souviens aussi d’Eva Marton, qui devait suivre la partition dans Fedora.

LSM: Vous êtes une vraie pionnière – vous dirigiez déjà alors qu’il n’y avait que très peu de femmes chef d’orchestre. Qu’est-ce qui vous a amenée à la direction ?

EQ: Tout simplement l’aptitude (elle rit). Lorsque j’étais répétitrice, je me suis lentement rendue compte que ce serait la meilleure chose pour moi.

LSM: Il n’y avait pas de femmes chef d’orchestre quand vous avez commencé, à part Sarah Caldwell.

EQ: Elle et Antonia Brico étaient les seules. Les écoles n’acceptaient pas les femmes. J’ai étudié avec Bamberger à Mannes, mais pas dans le programme de direction. Je ne pouvais pas entrer au programme à Manhattan ou Juilliard – ils ne considéraient tout simplement pas ma candidature.

LSM: Vous avez aussi étudié la direction avec Joseph Rosenstock.

EQ: Exact, et un peu aussi avec Igor Markevitch. J’ai aussi suivi un mois de cours intensifs avec Walter Susskind du St. Louis Symphony. Avec Rosenstock, c’était un cours privé, et pas dans une école. Il m’a parlé au téléphone et m’a dit : « Je vous enseignerai la symphonie, parce que vous n’avez aucune chance avec l’opéra. Mais peut-être qu’un petit orchestre quelque part vous embauchera. Apportez-moi la Première symphonie de Beethoven pour votre première leçon. » Je lui ai donné la partition, il a joué le piano et j’ai dirigé. Il m’a dit : « Je vous enseignerai l’opéra parce qu’en fait, vous avez une chance. » Ça a été une vraie volte-face pour lui. Initialement, il n’avait pas pensé me prendre au sérieux. C’était vers 1970. À ce moment-là, il dirigeait Figaro et Rosenkavalier au Met.

LSM: Il y avait si peu de femmes directrices à cette époque. Aviez-vous un modèle ?

EQ: Non, j’ai pu créer mon propre modèle. J’avais un mari et des enfants. Je devais poursuivre ma carrière autrement que ces autres femmes célibataires. Simone (Young) a des enfants, mais je ne crois pas que les autres en ont. On est beaucoup plus libre quand on n’en a pas. On m’a offert des postes à Seattle et Edmonton, mais je ne me sentais pas en mesure de les prendre. Ensuite, j’ai reçu cette offre de Fort Wayne et mon mari m’a dit que je devais y aller. J’ai brisé mon contrat avec New York City Opera. J’ai dit à Julius Rudel que s’il m’offrait un concert, je resterais. Il ne se sentait pas capable de me l’accorder. Plusieurs années plus tard, il l’a fait. Mais à ce moment-là, il croyait qu’il y aurait une rébellion de la part de l’orchestre.

LSM: Avec tant d’étudiantes en direction ces jours-ci, pourquoi croyez-vous qu’il y a toujours aussi peu de femmes directrices?

EQ: Peut-être que c’est la gérance, je ne sais pas. Je crois aussi que c’est pour des raisons financières. Les femmes ont plusieurs emplois de niveau moyen et les emplois en région ne sont pas très bien rémunérés. Il y a peut-être un plafond de verre. Je n’ai jamais eu l’appui d’un chef important. Rosenstock était mon professeur mais il ne m’a jamais poussée. Marin Alsop a eu l’aide de Leonard Bernstein, et Daniel Barenboim a encouragé Simone Young. Il lui a donné un certain statut en l’embauchant à Bayreuth. J’ai dirigé à Hambourg, Francfort, Bonn, et ils m’ont redemandée. Je me sens appréciée. J’ai un rapport fantastique avec mon public à l’OONY. Je n’ai jamais senti que le public ne voulait pas de moi parce que je suis une femme.

LSM: Quels conseils donneriez-vous à des étudiantes aspirant à la direction d’orchestre?

EQ: Quelle question difficile! Mes oreilles sont une partie très importante de mon talent, et en tant que pianiste, je ne m’en suis pas toujours servie. Quelqu’un m’a demandé dernièrement de l’aider avec son premier Tosca. Il ne savait pas comment l’organiser; je lui ai donc montré comment j’organise ma partition, comment je l’analyse, comment je la décompose, comment je la mémorise. J’ai un sixième sens. Je suis connectée à mes oreilles. Si vous me voyez diriger, il est clair que je suis une directrice de chanteurs. Je dirige un solo de clarinette de la même façon que je dirige un opéra. Que dit Casal – une phrase est une phrase? Une phrase de Bach n’est pas différente d’une phrase de Rachmaninov. Je n’avais pas de plan pour la carrière que j’ai. Je suivais tout simplement la musique – vous voyez ce que je veux dire?

[Traduction : Danielle Dubois]

 

Les 14, 17, 19 et 21 mai 2005

L’Opéra de Québec présente : Les Contes d’Hoffmann, de Jacques Offenbach
Direction : Eve Queler
Mise en scène : Alejandro Chacon
Marc Hervieux (Hoffmann), John Fanning (Les quatre vilains), Mélanie Boisvert (Olympia), Agathe Martel (Antonia), Louise Guyot (Giulietta), Julie Boulianne (Nicklause), Hugues Saint-Gelais (Les quatre serviteurs)
Le Choeur de l’Opéra de Québec
L’Orchestre symphonique de Québec
Au Grand Théâtre de Québec, (418) 529-0688


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