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LSM Online Reviews / Critiques


Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]


L'Italienne à Alger, pas vraiment belcantiste

Par Stéphane Villemin / le 1 mai 2003


Vendredi 4 avril 2003- Hummingbird Center, Toronto
L'Italienne à Alger de Rossini
Isabella : Carmen Oprisanu
Lindoro : Michael Colvin
Mustafa : Gustav Belacek
Taddeo : Patrick Carfizzi
Elvira : Shannon Mercer
Zulma : Colleen Skull
Haly : Olivier Laquerre

Orchestre de la Compagnie de l'Opéra du Canada, dirigé par Julian Reynolds
Metteur en scène : Edward Nastings
Coproduction avec l'Opéra de Santa Fe

Apprécier un opéra bouffe aujourd'hui dépend entièrement de l'angle sous lequel on appréhende cette pièce de musée. Scruter les parallèles historiques s'avère un écueil insurmontable. Les turqueries de Molière à Rossini n'ont pas plus de rapport avec les Orientales de Delacroix qu'avec l'image du monde arabe qui crève l'écran d'une actualité cinglante et sans détour. Isabella, Italienne échouée sur les côtes algériennes (la mise en scène de Nastings se permet l'anachronisme d'une panne d'avion) pourrait être l'archétype de la femme moderne, hyperactive et engagée politiquement (« Pensa alla patria »), mais le livret d'Angello Anelli ne cherche pas à s'ériger en fable moralisatrice ou en conte sociologique. Libre au spectateur d'extrapoler avec Aragon que « la femme est l'avenir de l'homme ». Quant à la musique, elle se complait dans l'évidence, prompte à rassurer l'oreille des ultra-royalistes salonards dépeints dans Le Rouge et le Noir.

Le grand oeuvre des opéras bouffes rossiniens souffre mal l'analyse qui vise à passer au crible de l'esthétique moderne chacun des éléments qui le compose. Son art réside en l'agencement méticuleux d'une multitude d'artifices qui par leur synergie, contribuent à transcender leur trivialité initiale. L'élaboration de l'ensemble est régie par des règles de théâtre, de musique et de chant dont la sophistication et le raffinement n'ont pas d'équivalent dans les arts de la scène.

Sous cet angle, il est aisé de comprendre que l'Italienne à Alger représente un modèle de « perfection dans l'opera buffa » aux yeux de Stendhal. Premier biographe de Rossini, il décrit mieux que quiconque le langage vernaculaire de cet art typiquement italien, « exemple suprême de la grâce », et existant dans le seul but de satisfaire « les plaisirs frivoles des gens sophistiqués. » Les personnages de l'Italienne à Alger sont à l'opposé des schémas et des épures avec lesquels le metteur en scène a l'habitude de jongler en usant à sa guise de la couleur et de l'éclairage. Ici, il s'agit avant tout de ne pas nuire et de ne pas déconstruire.

Edward Hastings, qui fut le fondateur de l'American Conservatory Theater de San Francisco, s'acquitte bien de cette tâche. Il campe son décor à Alger, narguilé, chèches et chéchias de rigueur, et utilise un livre en trois dimensions pour faire apparaître le palais du bey. C'est l'ancien drapeau italien avec son blason savoyard qu'Isabella brandit lorsque, Garibaldi en jupon, elle harangue les esclaves italiens de Mustafa, lequel sera finalement intronisé Pappatacci au rythme du folklore des Abruzzes. Mais déployer ces emblèmes colorés n'est rien en regard du jeu de scène des chanteurs. Hastings sait composer des tableaux vivant au rythme des entrelacs vocaux et animer les personnages avec l'effervescence propre à la commedia dell'arte.

Carmen Oprisanu dans le rôle d'Isabelle révèle une voix de mezzo-soprano délicate mais à la projection plutôt restreinte. Elle soigne les attaques autant que les roulades, maîtrise les passaggi et leurs ornementations, et fait preuve de clarté lors de ses syllabations. Mais elle parvient surtout à asseoir la crédibilité de son personnage par l'entremise de son jeu d'acteur dont l'aplomb compense la faiblesse de ses émissions. Dans la même tessiture, les témoignages du mezzo-soprano colorature de Giullietta Simionato sont là pour rappeler un certain idéal belcantiste, que la chanteuse roumaine n'incarne pas tout à fait.

Le Mustafa de Gustav Belacek est totalement hors de propos. Un vrai basso buffo répond à certaines règles et doit les maîtriser au point de feindre l'improvisation. Mais avec un registre peu homogène, qui décroche souvent dans le bas medium en réalisant moult émissions poitrinaires, il s'avère présomptueux d'aborder ce type de répertoire. Quant à ses sillabati, ils s'apparentent à une logorrhée inintelligible.

Le Canadien Michael Colvin prête sa voix au personnage de Lindoro avec une assise remarquable, tenant plus du spinto que du leggero. Projection généreuse, émission ductile, il se montre également capable de legato sans rupture de timbres. Le cuivré de sa voix semble parfois manquer de reflets au point de pâlir face au superbe solo de cor qui accompagne sa cavatine dans le premier acte. Olivier Laquerre fait preuve d'une diction exemplaire en interprétant l'air d'Haly avec force conviction. Les autres chanteurs consolident l'équipe honorablement, lorsque ce n'est pas avec brio quand il s'agit du choeur.

Le chef Julian Reynolds s'efforce de suivre les chanteurs et l'orchestre. Peu importe : les musiciens de l'Orchestre de la Compagnie de l'Opéra du Canada connaissent leur métier. Rarement, ils auront joué d'aussi beaux pianissimos, rarement on aura entendu aussi bien les chanteurs.

A son époque, Stendhal eût écrit un épigramme sur ce spectacle qui n'a pas su entièrement maîtriser la rhétorique belcantiste. Aujourd'hui, les aficionados se font rares au point que même les recensions se satisfont avec complaisance de ce genre de dérive.


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