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Riccardo se travestit en Gustave III

Par Stéphane Villemin / le 13 février 2003


COC’s production of Verdi’s Un Ballo in maschera, 2003.
Photo : Michael Cooper, Canadian Opera Company

Mardi 28 janvier 2003- Hummingbird Center, Toronto

Un Ballo in maschera de Giuseppe Verdi
Gustave III : Mikhail Agafonov
Amelia: Zvetelina Vassileva
Anckarstroem: Timothy Noble
Oscar: Shannon Mercer
Comte Horn: Alain Coulombe
Comte Ribbing: Robert Pomakov
Ulrica: Fiona Kimm
Silvano: Olivier Laquerre
Orchestre de la Compagnie de l'Opéra du Canada, dirigé par Nicola Luisotti
Mise en scène : Michael Hampe
Coproduction avec les opéras de Dallas et Cologne.

Le bon roi Gustave III de Suède a pris le pas sur Riccardo. Authenticité oblige, diront les traqueurs de mythes ; « historically informed » répondront les anglo-saxons pragmatiques. Nihil novis sub sole en réalité puisque la mise en scène du Festival d'Edimbourg de 1959 montait déjà Le Bal masqué à la cour du roi Gustave III, avec en outre le parti-pris de ne pas travestir l'homosexualité notoire du souverain. Son assassinat lors d'un bal costumé à l'Opéra de Stockholm en 1792 fut largement commenté en Europe au point d'inspirer trois maîtres de l'art lyrique, Auber, Mercadante et bien sûr Verdi. Le dessein originel de ce dernier consistait bien sûr à faire chanter Gustave III, Anckarstoem, Horn et Ribbing et non Riccardo, Renato, Tom et Sam, issus d'une version « abracadabrantesque » située à Boston pour satisfaire la censure papale. D'où le dédoublement des personnages qui jouent les Suédois tout en s'interpellant par leurs prénoms italiens. Ce consensus tourne finalement en faveur du chant puisque les encarts vocaux de Renato projettent à une infinité d'Angströms alors que le seul nom d'Anckarstroem disparaît au moment même où on le prononce. L'italien est bien la langue du chant, jusque dans les prénoms ; cela ne s'invente pas.

Michael Hampe, acolyte de Karajan au Festival de Salzbourg pendant une décennie, a une conception fort respectable de la mise en scène. Préserver l'esprit et la lettre offre assez de latitude, selon lui, pour rendre à un opéra toute son actualité. « Qu'une production soit traditionnelle, moderne ou d'avant-garde n'est pas décidé sur scène, mais par le public » a-t-il déclaré dans le programme du spectacle. Vision diamétralement opposée à celle d'un Calixto Bieito dont le Ballo in maschera à la sexualité chic et décapante choqua le Liceu de Barcelone, il y a quelques mois. Au-delà de cette querelle des anciens et des modernes, il ne faut pas perdre de vue la musique et les chanteurs. Sur ce point, Hampe fait preuve d'un professionnalisme avéré (Karajan aurait-il toléré le contraire ?). Sa mise en scène, au service du drammatico d'agilità, place chaque voix sur un podium, pour le meilleur et pour le pire.

Zvetilina Vassileva campe le personnage d'Amelia sans révéler toute la richesse de son expression dramatique, quoiqu'elle possède la tessiture, un timbre de spinto d'extraction verdienne et assez de projection pour mettre en valeur sa voix. Son vibrato, lorsqu'il est contrôlé, enrichit élégamment ses phrasés, mais peut s'emballer pour devenir trop envahissant (« Ma dall'arido stelo divulsa » dans l'acte II). Timothy Noble donne l'impression d'économiser sa voix pour ne pas compromettre son « Eri tu » du troisième acte. Même s'il réussit mieux cet air que le reste de ses interventions, cela reste convenu et sans saveur. Mikhail Agafonov en Gustave III présente une voix de lirico spinto de bon aloi : longue, puissante avec une bonne projection, mais dont la ligne manque parfois d'unité, ce qui ne lui permet pas de prétendre à l'emblématique aggraziato que l'on est en droit d'attendre. Dans les seconds rôles, on oubliera Ulrica, sans voix, pour préférer le Silvano relevé d'Olivier Laquerre et surtout l'Oscar de Shannon Mercer, littéralement montée sur ressort. La justesse et la cohérence des choeurs sont également remarquables.

Cette mise en scène suédoise ne décerne pas de prix Nobel. Hampe ne l'a pas prévu. Une telle récompense aurait très certainement échu à Nicola Luisotti, chef d'orchestre talentueux qui dirige la fosse et la scène avec une passion communicative. Il possède la foi, propulse le rythme, respecte les chanteurs ; mieux, il les inspire. Si l'impression positive l'emporte sur les faiblesses vocales de cette distribution, c'est bien à Luisotti que le mérite en revient.


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