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LSM Online Reviews / Critiques


Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]


Un salon français

Par Stéphane Villemin / le 20 novembre 2002


Jacques Israelievitch
Samedi 3 novembre 2002, Glenn Gould Studio, Toronto.

Rossini: Ouverture du Barbier de Séville par Inna Perkis et Boris Zarankin au piano à quatre mains

Chausson: Mélodies Op.2 par Frédérique Vézina

Fauré: Poèmes d’un jour, Les berceaux, Pleurs d’or, Mandoline, En sourdine par Olivier Laquerre et Frédérique Vézina

Souvenirs de Bayreuth par Inna Perkis et Boris Zarankin au piano à quatre mains

Ibert: Chansons de Don Quichotte par Olivier Laquerre

Franck: Sonate en la majeur par Jacques Israelievitch (violon) et Boris Zarankin (piano)


Traduire sans trahir. Le cahier des charges du traducteur littéraire s’apparente en bien des points à celui du musicien interprète. La prose de Proust lue en anglais par l’acteur John Van Burek entre les mélodies de Fauré et la Sonate de Franck soulève l’épineux problème de l’art de la traduction. En écho, la majorité des instrumentistes qui recréent ces pièces, comme pour le salon de Madame Verdurin, doivent également combler un éloignement culturel et temporel afin de retrouver le style français de la musique de l’époque. Donner vie, dans la langue de Shakespeare, à une phrase aussi mythique que "Longtemps je me suis couché de bonne heure" s’avère un défi pour un anglo-saxon. La tâche n’est pas moins ardue pour les chanteurs canadiens ou les pianistes russes, Jacques Israelievitch étant finalement le seul à pouvoir établir un lien culturel par le biais de ses études de violon au Conservatoire de Paris. Ayant travaillé notamment avec Gaston Poulet, il n’a pas manqué de rapporter les concerts nocturnes de son maître chez Marcel Proust, souvent à la recherche de musiciens lorsque frappaient ses insomnies.

La tendance des Français a trop longtemps été de conserver jalousement l’héritage, au point de vilipender l’étranger curieux et désireux de partager cette richesse, pour la raison qu’il ne parle pas avec l’accent pointu. Pourtant derrière la lettre, il y a l’esprit français que de nombreux Persans d’aujourd’hui appréhendent, interprètent et traduisent avec une clarté idoine. Pour preuve la brillante prestation du baryton-basse Olivier Laquerre. Au delà de la justesse de sa diction (que ne possédait pas la soprano Frédérique Vézina), il révèle dans les Poèmes d’un jour de Fauré une intensité poignante, pétrie par une sensibilité avérée quoique contenue dans la pudeur. Avec les Chansons de Don Quichotte, Laquerre fait preuve d’une aisance lorsqu’il s’agit de soutenir la mélodie (Habanera de La mort de Don Quichotte), soigner les transitions, comme pour faire éclater la bonne humeur dans la mélodie finale.

En comparaison, la voix généreuse de Frédérique Vézina évoque plutôt des qualités requises pour l’opéra que celles susceptibles de servir les idiomes de la mélodie française. Il faut souligner dans un cas comme dans l’autre l’extrême intelligence des accompagnements de la pianiste Inna Perkis.

Avec son mari Boris Zarankin, ils mènent le jeu avec un sens aigü de l’humour et de la parodie dans Souvenirs de Bayreuth. Ils soulignent également l’importance du théâtre italien de l’époque avec un arrangement pour piano à quatre mains de l’Ouverture du Barbier de Séville, quoique le programme des deux pianistes organisateurs fasse état d’une omission manifeste. Reynaldo Hahn, compositeur et proustien de la première heure, eût été un choix judicieux.

La Sonate de Franck, pierre angulaire de ce salon français, est souvent citée parmi les modèles de la Sonate de Vinteuil dont Proust, sous les traits de Swann, décrit avec une précision d’entomologiste la portée émotionnelle qui émane de ses "petites notes". Après en avoir extrait plusieurs phrases, afin d’illustrer les descriptions du roman à clefs, le duo se lance dans une interprétation passionnée et passionnante. La justesse du style de Jacques Israelievitch est édifiante. Vibratos aussi discrets que délicats, cantabile soutenu, archets incisifs et précis ciselant une sonorité lumineuse, le jeu du violoniste se détache face à un piano virtuose mais souvent embué par un surplus de pédale.

Littérature, musique, mais peinture également. Doctement présentée par Gloria Groom de l’Institute of Art de Chicago, un court exposé rappelle les liens tissés entre les Nabis et des musiciens tels que Chausson et Debussy.

Autant de forces vives et d’enthousiasme autour de la culture française suscitent à la fois respect et admiration. Le centenaire de l’Alliance Française de Toronto fut dignement célébré.


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