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Oedipus Rex et le génie de Girard

Par Stéphane Villemin / le 20 octobre 2002


Ewa Podles, Jocasta et Michael Schade, Oedipus à Edinburgh International Festival, Playhouse Theatre (Scotland), 2002. Photo: Douglas Robertson

Vendredi 7 septembre 2002, Hummingbird Centre, Toronto
Stravinsky: la Symphonie des Psaumes suivi d'Oedipus Rex.
Oedipus: Michael Schade
Jocasta: Ewa Podles
Créon: Peteris Eglitis
Tirésias: Robert Pomakov
Messager: Olivier Laquerre
Berger: Michael Colvin
Récitant: Don MacKellar
Choeurs et orchestre de la Compagnie de l'Opéra du Canada, dirigés par Bernhard Kontarsky
Mise en scène: François Girard. Décors et costumes: Michael Levine


Comment réussir une soirée autour de deux oeuvres phares de Stravinsky? Revoir l'enchaînement de la Symphonie des Psaumes et d'Oedipus Rex, conçu en 1997 par François Girard pour la Compagnie de l'Opéra du Canada, permet de mesurer le génie d'une telle production. Cette représentation semble venir de l'Empyrée tant elle marie une distribution de haut niveau avec des choeurs remarquables, enveloppés par une direction musicale intelligente et cimentés par une mise en scène audacieusement réussie. Le pari de cette dernière n'était pourtant pas gagné, ne serait-ce que par l'association des deux oeuvres, à laquelle Stravinsky lui-même n'avait pas pensé. En réalité, chacune se révèle sous la forme d'un rituel, également imprégné de sentiments religieux. Le compositeur ne s'en était d'ailleurs pas caché lorsqu'il écrivait à son secrétaire, Robert Craft, qu'Oedipus Rex avait été écrit pendant une période où la religion orthodoxe exerçait sur lui une véritable fascination.

Mettre en scène la Symphonie des Psaumes s'apparente à une autre gageure. Mais Girard parvient à tisser des liens forts entre les deux oeuvres: la peste de Thèbes devient le sida de notre monde, le narrateur d'Oedipus évolue en lecteur péripatéticien dans la Symphonie, et le choeur représente le peuple implorant Dieu et le roi ("Caedit nos pestis"). Au delà de ces quelques astuces, cette relecture semble répudier la tyrannie de la chose sur la pensée par l'entremise d'une double transfiguration.

Face au mémorial sur lequel s'inscrit le nom de centaines de quidams frappés par le sida, s'élève le trône d'Oedipe, véritable tour de Babel sujette à un destin tout aussi fracassant. Symphonie, messe, opéra ou oratorio, les formes paraissent transcendées par une vision commune, accouchant d'une oeuvre d'art contemporaine sans pour autant nier les vertus cardinales de ses origines. Stravinsky a toujours défendu l'esprit "austère et solennel" de son opéra-oratorio tel qu'il le nommait lors de sa création. Mais cette pièce "purement auditive" ne fut bien accueillie qu'après la représentation de Berlin, avec une mise en scène assez élaborée pour que dans ses mémoires (Chroniques de ma vie, Ed. Denoël) il qualifie Oedipus Rex d'opéra.

Manifeste du néoclassicisme, conte tragique intemporel, ou nature morte de l'opéra seria, Oedipus Rex s'inscrit en réalité dans le destin torontois. En dirigeant l'oeuvre au Massey Hall en 1967, Stravinsky apparaissait sur scène pour la dernière fois en tant que chef. "Lux facta est". Comment ne pas prendre la mesure d'un tel destin?


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