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LSM Online Reviews / Critiques


Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]


Thérèse Raquin : voyage au bout du remords

Par Frédéric Cardin / le 15 mai 2002

Création à Montréal de la version française de l'opéra Thérèse Raquin
de Tobias Picker, d'après le roman d'Émile Zola, sur un livret de Gene Scheer traduit par Normand Chaurette, et dans une mise enscène de Francesca Zambello.

Thérèse Raquin de Tobias Picker est un opéra basé sur le roman éponyme d'Émile Zola. Dans cette histoire de meurtre, de mensonges et d'autodestruction où les effluves nauséabondes de la mort et de la culpabilité suintent de chaque geste, chaque parole, Thérèse est mariée à Camille, son cousin maladif empêtré dans les jupes de sa mère, madame Raquin, tante de Thérèse. Thérèse n'aime pas Camille, mais elle l'a épousé par reconnaissance pour sa tante qui l'a recueillie après la mort de sa mère. Thérèse n'a d'yeux que pour Laurent, ami de Camille et artiste. C'est ce triangle amoureux qui sera le sujet de cette histoire et la cause de tous les malheurs. Lors d'une promenade en bateau, Laurent assassine Camille en le noyant, sous les yeux de Thérèse. Ce qui suit est le récit de la lente déchéance morale des 2 meurtriers, de la désintégration de leur amour sous l'effet des remords et, finalement, de leur double suicide sous les yeux de Madame Raquin, finalement vengée.

L'appréciation de la musique de Tobias Picker doit se faire sur deux niveaux : instrumental et vocal. La partie instrumentale est la plus réussie. Son écriture est astucieuse, créant de subtils coloris aux moyens de combinaisons instrumentales diverses et originales. Picker joue efficacement à la fois sur le front mélodique et sur l'atonal. Il en résulte une partition dynamique, expressive et continuellement inventive.
Par contre, son écriture vocale est moins intéressante. L'impression qu'il nous reste est que les voix semblent se contenter de «surfer» sur le lit orchestral sans s'en détacher suffisamment pour développer sa propre personnalité et, surtout, l'imposer à l'orchestre. On aimerait entendre une suite orchestrale de l'opéra, mais on imagine mal une réduction pour voix et piano qui serait vraiment intéressante. Mais c'est là une première impression. D'autres écoutes modifieront peut-être cette opinion.

La mise en scène est dynamique, parfois astucieuse. La direction des chanteurs est vivante. Ceux-ci bougent beaucoup, ce qui évite un statisme alourdissant.

Pour la traduction du livret original (en anglais), Normand Chaurette a manifestement accompli de l'excellent travail dans l'une tâche les plus difficile qui soit : la traduction d'un livret d'opéra. En effet, quoi de plus ardu et ingrat que de remplacer des phrases conçues pour cohabiter en étroite symbiose avec une musique, des mots écrits par quelqu'un d'autre, et, qui plus est, dans une autre langue? Rarement, dans l'opéra, a-t-on pu ressentir un léger déséquilibre, ou encore une dissension entre un mot et la musique sous-jacente. Et encore, il s'agissait à chaque fois de ce qu'on pourrait appeler un tout petit «désaccord» d'ordre rythmique, c'est à dire que le mot en question ne semblait pas être naturellement à sa place. Mais il faut répéter que ce fût très rare, et que, dans sa totalité, la traduction de Chaurette est un bel accomplissement, et une marque de respect profonde autant envers l'opéra de Picker que l'¦uvre de Zola et son esprit dramatique si riche.

On reconnaîtra d'emblée la qualité du jeu scénique des chanteurs. Les regards discrets, mais intenses, entre Laurent et Thérèse dès le début. Leurs remords, qui les conduisent jusqu'à l'autodestruction, sont efficacement transposés dans leurs visages et leurs gestes. On pourra déplorer, cependant, le manque de clarté dans les tous derniers moments. Laurent voulait-il vraiment empoisonner Thérèse, avant de prendre lui-même la gorgée fatale? Mais ce n'est peut-être pas la faute des interprètes car ceci, Gene Scheer, dans son livret, ne semble pas le dire. Et puis, Thérèse, qui s'avance vers Laurent avec un couteau, voulait-elle depuis le début se suicider ou a-t-elle subitement changé d'idée? Il semble plutôt certain que c'est cette dernière qui soit la bonne réponse, mais, ici, Jessie Raven aurait pu nous convaincre plus habilement que Thérèse, au prix d'une abominable lutte morale, décida finalement de s'enlever la vie plutôt que celle de son amant. Pourrait-on finalement suggérer à Laurent (Nathan Wentworth) de prendre un peu plus son temps pour mourir après avoir bu le poison? On éviterait ainsi de baisser le rideau sur quelques pouffées de rire ici et là dans la salle.

Par contre, Jessie Raven, si elle joue plutôt bien, n'a pas une voix très intéressante. Le caractère est juste pour Thérèse (voix de coffre aux contours sombres, pas trop légère, ce qui ne conviendrait pas à ce personnage troublé), mais la couleur et le timbre ne se démarquent pas. On aimerait une voix qui voyage de façon plus soutenue et intense et qui reste dans notre mémoire. Pas de ça ici malheureusement. Non pas une mauvaise voix, soyons clair, mais plutôt une voix ordinaire, qui manque de personnalité. Si l'on ajoute à cela une diction française défaillante qui empêchait quiconque d'écouter sans avoir constamment (répétons : constamment) recours aux surtitres, on ne peut qu'en arriver à la conclusion que ce fut un mauvais choix pour le rôle principal. Nous aurions tout de même mérité, ici à Montréal, une interprète avec un français impeccable, francophone ou non. Il sera drôlement intéressant de ré-entendre cet opéra avec une telle artiste dans l'avenir. Nathan Wentworth (Laurent) se débrouille beaucoup mieux, même si on n'arrive pas à un degré idéal. Il a de la puissance et du caractère, idéal pour ce personnage fort. Gordon Gietz (Camille) possède manifestement très bien la langue de Molière. Il incarne très bien un petit être maladif, encore sous les jupes de sa mère (souverainement caractérisée par Diana Soviero). Mais il s'agit là probablement du personnage le plus difficile à jouer de tout l'opéra. En effet, si Camille est trop minable, Thérèse et Laurent deviendront plus sympathiques, ce qui discréditera et détruira tout le drame du 2e acte. Par contre, si celui-ci est trop «fort», l'intérêt de la relation entre Thérèse et Laurent sera nul dès le départ. Dans cet opéra, il faut tout d'abord que le spectateur «comprenne» que Thérèse ne puisse pas aimer Camille, et qu'elle doive donc trouver réconfort dans les bras de Laurent. Puis, dans la 2e partie, le même spectateur doit ressentir le remords du meurtre de Camille et vivre un peu de la culpabilité des deux amants. On doit, en fin de compte, bien comprendre que, même si Thérèse avait «raison» de ne pas être amoureuse de Camille, celui-ci ne méritait pas le sort qui lui était réservé, et que ce n'est finalement que justice si les deux amants meurtriers se suicident à la fin. Et c'est Camille qui est la pierre de voûte de cet équilibre délicat. Il serait intéressant de voir ce que ferait un chanteur et interprète de grand renom international avec ce rôle.

Diagnostic final

En fin de compte, on peut affirmer que Thérèse Raquin est un opéra avec un potentiel dramatique certain. Bien sûr , on pourra sûrement en dire plus dans quelques années ou quelques décennies. Il faut du temps pour saisir toutes ces nuances dans une ¦uvre, et surtout bien les exécuter sur scène

Il y a suffisamment de profondeur dans cet opéra pour justifier de nombreuses reprises. Le matériau de base est assez riche pour donner à plusieurs metteurs en scène de quoi s'amuser encore longtemps, et leur futurs spectateurs de quoi apprécier.

Je souhaite que Thérèse Raquin de Tobias Picker ait une vie suffisamment longue pour lui permettre de révéler tout son potentiel. Malgré ses défauts (se situant surtout au niveau de l'écriture vocale, beaucoup moins intéressante que l'écriture orchestrale, ainsi que dans une certaine précipitation et ambiguïté dans la dramatique résolution finale), cet opéra mérite d'être intelligemment traité (ou plutôt re-traité) dans l'avenir. Mais nous n'avons qu'ouvert une porte et mis au monde un enfant viable. À d'autres maintenant de l'amener à pleine maturité.


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