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Jules César de Händel: les lauriers vont aux chanteurs

Par Stéphane Villemin / le 17 avril 2002

Isabel Bayrakdarian en Cleopatra
Isabel Bayrakdarian avec
Ewa Podles (Cesare)
Samedi 6 avril 2002, Hummingbird Centre, Toronto
Giulio Cesare de Händel
Giulio Cesare: Ewa Podles
Cleopatra: Isabel Bayrakdarian
Tolomeo: Daniel Taylor
Sesto: Brian Asawa
Cornelia: Marie-Nicole Lemieux
Nireno: Audrea Ludwig
Curio: Bruce Schaef
Achilla: Olivier Laquerre
Orchestre de la Compagnie de l'Opéra du Canada, dirigé par Kenneth Montgomery
Mise en scène: Tom Diamond

La popularité de Giulio Cesare n'enlève rien au charme intemporel de cet opéra, surtout depuis que des musiciens tels que René Jacobs et son Concerto Köln s'appliquent à lui rendre son vernis originel. Avec un livret de légende qui puise ses sources dans l'opéra de Sartorio*, il empreinte les voix labyrinthiques d'une intrigue aux confins de l'imbroglio inextricable, quoique propice à l'éclosion des idiomes händeliens. Le langage vernaculaire du compositeur adepte des récitatifs accompagnés à l'orchestre, traduit avec Giulio Cesare la plénitude des oeuvres d'art complexes, harmonieusement assemblées. Pour cette raison, monter cet opéra et le réussir impliquent une forte cohérence au sein de la sainte trilogie opératique que constituent le chef, les chanteurs et le metteur en scène, équation en partie résolue avec cette représentation.

Ce sont les chanteurs qui emportèrent la palme (ou les lauriers, c'est selon), distinction allant à une distribution équilibrée dont le savant assemblage ne peut être que le fait d'un connaisseur. Bien qu'Ewa Podles explorait essentiellement le bas de son registre que l'on sait étendu à trois octaves, elle campait le rôle titre avec une haute crédibilité vocale et théâtrale, dans la tradition vénitienne des rôles travestis. La largeur de sa voix et sa résonnance cuivrée corroboraient un style idoine et visiblement éprouvé aux exigences du baroque (N'était-elle pas aux côtés de Minkowski lors de l'illustre aventure d'Ariodante?). L'aria avec cor solo Va tacito confirmait une sensibilité de bon goût entre moiré et mordoré alors que l'aria final Qual torrente irradiait par l'éclat son auguste générosité.

Isabel Bayrakdarian, en Cléopatre, n'était pas non plus sans aménité avec un rôle qu'elle tutoya scéniquement et vocalement. Richard Burton lui aurait volontiers donné la réplique en un autre temps, dans un autre lieu. La jeunesse qu'elle incarnait n'avait d'égal que son raffinement musical sans apprêt, tour à tour expressif et brillant. Dans ce rôle Bayrakdarian ne chantait pas sa voix, elle était sa voix.

Marie-Nicole Lemieux (Cornelia) &
Brian Asawa (Sesto)
Du côté des contre-ténors, la distribution prêtait à la comparaison en nous offrant généreusement Brian Asawa (Sesto) et Daniel Taylor (Ptolémée). La voix du premier s'épanouissait sur une assise plus solide et plus immédiatement accessible que celle de son homologue canadien. Taylor (Daniel, pas Elisabeth), malgré ses affinités avérées avec l'art baroque, laissait poindre ponctuellement quelques faiblesses vocales, sans doute bousculé par le bouillonnement de l'adolescent attardé et irrévérencieux qu'il incarnait.

Plus qu'aucun autre chanteur, Marie-Nicole Lemieux sembla faire les frais d'une mise en scène superficielle et éculée. Engoncée voire engluée dans une gestuelle conventionnelle et puritaine, en parfaite harmonie avec les oripeaux victoriens qui l'habillaient, la soprano québécoise révèlait autant de justesse vocale que de manque d'expression. Comment parvint-elle à retenir ses sentiments, face à la tête ensanglantée de feu son mari, décapité par Ptolémée. Même Hérode s'en serait ému, non?

Une réserve s'imposait également au niveau de l'orchestre. Bien qu'il ne ménagea pas ses efforts, ô combien louables, pour ne pas couvrir les chanteurs, Montgomery livra une interprétation à la frontière de la complaisance, à force de trop flatter le legato et d'arrondir impérieusement la ligne mélodique. L'orchestre, métissé pour l'occasion avec un théorbe et un clavecin, rendait docilement la pareille avec un sabir musical qui ne saurait porter l'épithète d'authentique. A défaut de l'être, l'entreprise du chef anglais invité, présentait cet avantage de ne pas desservir la voix, assez bonne raison pour ne pas être vouée aux gémonies.

Face au lieu commun des décors et de la mise en scène, demeuraient un orchestre ayant fait du Primum non nocere sa devise et une distribution crédible et convaincante. D'où ce constat manifeste: une version de concert eût été suffisante.

Photos: Michael Cooper (Canadian Opera Company)


*Cet opéra a été représenté par la COC en décembre dernier.


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