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Boris Godounov, miroir de l'inconscient collectif

Par Stéphane Villemin / le 17 avril 2002

Gidon Saks (Boris) dans la scène de couronnement

Jeudi 11 avril 2002, Hummingbird Centre, Toronto
Boris Godounov de Moussorgski
Gidon Saks_Boris Godounov
Vadim Zaplechny_Prince Shouisky
Jay Hunter Morris_Grégory (Dimitry)
Gustav Belácek_Pimen
Benoit Boutet_L'idiot
Shannon Mercer_Xenia
John Michael Schneider_Feodor
Colleen Skull_Aubergiste
Robert Pomakov_Varlaam
David Pomeroy_Missail
Olivier Laquerre_Tchelkalov
Thomas Goerz_Nikitich
Choeurs et Orchestre de la Compagnie de l'Opéra du Canada, dirigés par Richard Bradshaw.
Production de Francesca Zambello pour l'English National Opera

Ne cherchez pas Marina, la princesse polonaise, dans cette distribution! Fransesca Zambello a pris le parti d'éluder l'acte polonais que Moussorgski avait rajouté pour faire plaisir à la censure. S'agit-il alors de la version originelle de 1869? Pas vraiment, puisque cette représentation se conclut avec la scène de la forêt de Kromy qui fut écrite lors de la version révisée de 1872. En réalité, Boris Godounov n'en est plus à une version près. Deux furent écrites par le compositeur avant d'être réorchestrées deux fois par Rimski-Korsakov ("meyerbeerisées" disait Stravinsky), puis par Chostakovitch, Ippolitov-Ivanov et Rathaus, pour ne citer que les plus connus. Malgré la publication de la partition originelle par David Lloyd-Jones en 1975, les metteurs en scène et les chefs tiennent toujours cet opéra pour leur jeu de lego favori, dont ils aiment assembler les morceaux épars en fonction de leur vision et des effets souhaités. Malgré l'interactivité intempestive dont il fait l'objet, Boris Godounov semble supporter ces avatars avec la dignité d'une vieille légende qui se serait approprié la musique, et non l'inverse.

Premier prix aux Olivier awards de 1998, la production édifiante de Francesca Zambello renforce le jeu des dualités entre Boris et le peuple russe qui devient, au même titre que l'idiot, le miroir d'une conscience torturée. Boris, à l'âme d'un gyrovague, s'oppose également à Grégory, moine régulier qui se métamorphose en une incarnation de la vengeance collective. Tout en soulignant l'irrémédiable progression et son fatal maelström, cette mise en scène alimente la légende en faisant du prince Shouisky l'assassin de Feodor, le jeune héritier de Boris.

(G - D) Shannon Mercer (Xenia),
Gidon Saks (Boris) et
John Michael Schneider (Feodor)
Associés par contiguïté ou opposés de façon manichéenne, les éléments du décor ne contribuent qu'à la cohérence d'un tout stylistique, assez saillant pour se passer des artifices du faux-modernisme, souvent utilisés pour masquer une absence de vision.

Côté chanteurs, les qualités musicales et scéniques se font l'écho d'une production dont le souffle essentialiste ne pourrait souffrir l'impéritie et l'approximation. Pour sonore qu'elle est, la voix de Gidon Saks* ne sombre jamais dans la dureté et s'oriente plutôt vers un équilibre entre un velouté d'harmoniques et une limpidité d'éloquence. D'aucun pourront préférer une basse slave alla Christoff à ce baryton-basse, certes moins typique, mais vétiller à ce niveau n'alimenterait sûrement que des débats d'esthètes. Son Boris s'avère hautement crédible vocalement et doublé d'une implication scénique hors-pair. Gustav Belacek, déjà remarqué en Don Profondo dans le Voyage à Reims, apporte la contribution de sa large voix de basse caractérisée par une forte présence dramatique. Le solo de Jay Hunter Morris, Grégory qui n'était pas encore Dimitry, s'avère aussi juste dans le ton et soucieux du détail que le duo de Varlaam (Robert Pomakov) et Missail (David Pomeroy) en proie à un éthylisme avancé. Quant aux choeurs, ils réussissent un tour de force en démontrant, si besoin était, leur cohésion et leur justesse au service d'une émotion soutenue.

La direction dynamique de Bradshaw concourt à la réussite de l'ensemble malgré des problèmes récurrents de dosages sonores. Le volume des cloches couvre les sublimes harmonies de la scène du couronnement et le jeune John Michael Schneider a bien du mérite pour placer ainsi sa voix face à un orchestre trop présent.

Dans un halo de mystère, les dernières notes du basson concluent tragiquement le mythe que l'on a cru un temps débusquer, alors qu'il s'en est déjà retourné souffler sur ses terres ancestrales. Insaisissable Boris, joyau d'une nation qui fait désormais partie de notre inconscient collectif.

Photos : Michael Cooper (Canadian Opera Company)

* Gidon Saks vient d'enregistrer Hercule avec Marc Minkowski et les Musiciens du
Louvre.


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