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LSM Online Reviews / Critiques


Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]


Gergiev, l'enchanteur

Par Stéphane Villemin / le 19 décembre 2001

Dimanche 2 décembre, 2001. Roy Thomson Hall, Toronto
Debussy: La mer
Rachmaninov: Concerto pour piano No. 4
Stravinsky: L'oiseau de feu (version 1910)
Wagner: Ouverture de Lohengrin, en bis.
Orchestre du Kirov, Valery Gergiev
Alex Slobodyanik, piano

Valery Gergiev
A l'ère de la mondialisation et du post-modernisme, les artistes d'aujourd'hui tout comme les observateurs passent plus de temps à unifier ce qui est épars qu'à distinguer une identité, un style voire une quelconque singularité au risque que ces contours saillants ne soient taxés pour péché d'iconoclasme. Ciseaux et pot de colle dans une main, rabot et papier de verre dans l'autre, on nous exhibe les plus beaux assemblages inspirés de nos ainés, polis et calibrés comme s'ils obéissaient aux lois des études de marché. Gagner le public d'aujourd'hui vise trop souvent à rassurer un consommateur à la recherche de la sécurité normative des chaînes d'hôtels, et volontairement amnésique au sujet des idéologies qui rongèrent les siècles précédents. "Je prends mon bien où je le trouve" disait certes Molière dans la bouche de Scapin. Mais la transformation du matériau passait au crible d'un esprit visionnaire avide d'indépendance et de libre arbitre artistique. Dans le Landernau de la musique classique, la race des personnalités forgées autant par leur école que par une réelle volonté de s'affirmer fait presque partie d'un passé révolu. La maladie contagieuse du nivellement s'est également propagée aux orchestres qui virent leur carte d'identité sonore s'étioler au fil des ans.

Malgré cette déferlante sournoise du sententia delenda est des uniformistes, il demeure, Dieu merci, quelques exceptions pour reprendre les rennes d'un courant dont l'Orchestre du Kirov est l'auguste défenseur. Héraut du parti pris historico-culturel, Valery Gergiev semble se moquer de l'air du temps. En grand magicien, il fait voguer son navire sur des ondes féériques, réveillant l'enfant qui dort en nous. Ainsi, dans La mer de Debussy interprétée ce soir, il s'appliqua à travailler les éclairages et les sonorités, réclamant ici une retenue de sa main gauche frémissante, là une atmosphère ou la suggestion d'un tableau. De Rachmaninov, il souligna l'ambigüité de son dernier concerto empreint d'un romantisme en déshérence qui se brule les doigts avec la modernité de son époque. L'approche picturaliste de l'orchestre tranchait malheureusement avec l'acidité de l'instrument soliste. Déshumanisé et souffrant de ses accords frappés jusqu'à en saturer le son, le piano apparut comme vidé de sa substance tel un écorché de Fragonard. Réussir le concerto dans ces conditions devenait une gageure. Avec L'oiseau de feu, le navire reprenait fièrement sa course, bravant des eaux plus tourmentées. Contrairement aux lectures analytiques qui mettent le doigt sur la modernité de l'oeuvre, Gergiev s'employa à rendre aux rythmes leur vertu dyonisiaque et la touche colorée aux tableaux qui s'enchaînent. L'orchestre prit alors des allures de bateau ivre sous la houlette de son démoniaque timonier, qui le menait tantôt vers des extrêmités évoquant la démence, tantôt vers un creux d'une détente aussi soignée que lénifiante sous l'effet du contraste. Cette capacité de travailler dans les lames de fond est bien une caractéristique de l'Orchestre du Kirov. Il tire ses particularités de son histoire mais aussi de son chef et des visions qui l'animent. L'un et l'autre convergent pour imprimer le travail des pupitres et non l'inverse. Les cordes, par exemple, tiennent leur couleur d'un équilibre entre liberté et contrôle, issu d'une conviction partagée entre chaque musicien et leur chef. C'est pour cette raison que l'Orchestre du Kirov sait encore raconter en musique des histoires qui font frémir. Gergiev est là pour tirer la musique des images de la vie et les images de la musique à laquelle il donne vie.


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