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Alicia de Larrocha, troisième degré

Par Stéphane Villemin / le 2 décembre 2001

Vendredi 16 novembre 2001. George Weston Hall, Toronto
Granados: Douze danses espagnoles: No.1 et No.8
Goyescas
El pelele
Alicia de Larrocha, piano Steinway

Alicia de Larrocha
La race des pianistes a toujours constitué un monde à part au sein du Landernau de la musique classique. Solistes obligés, ils ne possèdent guère d'autre choix que celui d'occuper le devant de la scène dans les deux sens du terme, ayant pour effet de dévoiler au public leurs états d'âmes et, plus prosaïquement, leur condition physique. Pour mémoire, il convient de se rappeler Lipatti en lutte avec la leucémie, Haskil et ses problèmes de dos, Béroff, Fleisher et quelques autres ne devant jouer qu'avec cinq doigts, sans parler d'Argerich en proie à une longue maladie et contrainte d'annuler ses concerts jusqu'au printemps 2002. A l'opposé, le monde des pianistes a aussi façonné des interprètes coriaces dont la pratique instrumentale a pu atteindre des records de longévité. Cortot donnait son dernier récital à Prades à l'âge de 81 ans. Quant à Francis Planté, Isidor Philipp et Arthur Rubinstein, ils jouaient encore à l'aube de leur quatre-vingt dixième anniversaire. A 78 ans, Alicia de Larrocha semble apparentée à cette lignée. Fidèle à son public, elle poursuit inlassablement ses tournées annuelles nord-américaines depuis 1965, choisissant de jouer cet automne à New York, San Francisco, Miami, Toronto, Vancouver et Washington.

Autoritaire dans le regard autant que dans sa manière de jouer, cette militante de l'anti-excès fit une fois de plus la démonstration qu'entre deux bornes, demeure un infini de finesse et de rafinement. Contrairement à certains pour lesquels la mesure contre l'extravagance prend des allures de morne plaine, Alicia de Larrocha se présenta, comme à l'accoutumée, en héraut de la défense du style dans l'interprétation pianistique. D'aucuns ergoteront sur les notes manquantes dans Asturiana ou sur les traits manqués de Los requiebros. Ces prérogatives de l'âge sage et d'un génie toujours en alerte s'effacent devant une conviction artistique et une vision du tout stylistique, rompues à l'expérience d'une lecture cent fois remise sur le métier. Pour qui connaît ses différentes versions des Goyescas, celle-ci s'inscrit au troisième degré et paraît franchir le miroir musical de l'oeuvre afin d'en dévoiler ses terra incognita. Dosant les contre-chants et les basses dans le Coloquio, menant le Fandango avec rigueur, elle ménage une multitude d'intentions allant de la quasi improvisation du Quejas aux basses menaçantes de l'Epilogue, sans oublier ce thème de El amor y la muerte sussuré comme une vieille histoire de village que l'on tient à l'abris des jeunes oreilles et des étrangers. L'ensemble de ses intentions convergent en un point non loin du centre émotionnel de l'auditeur, devenu musicien et convié à partager ses confidences. Chaque note contribue à le faire entrer dans sa légende et révèle une mémoire oubliée dont elle seule possède la clef. Un tel magnétisme et les traces qu'il imprime dans nos sensibilités ne sont pas sans conséquence. Ils relèguent de facto la plèbe des techniciens du clavier à leurs numéros de gymnastique digitale.


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