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The Lebrecht Weekly

 

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Pourquoi Mozart me rend malade

By Norman Lebrecht / le 12 juin 2002


[English Version: Why I'm sick of Mozart]

L'instant critique a frappé lors d'un doux soir de février à Fort Lauderdale. Mes hôtes de Floride avaient, avec une imprudente hospitalité, programmé quatre concertos de Mozart, les uns après les autres. Au cours de cette soirée, mes oreilles ont supplié pour une délivrance et les régions les plus profondes de mon esprit ont souffert comme des molaires sur une pâte d'amande trop sucrée.

Rien de psychosomatique dans une telle douleur. L'exposition à un excès de Mozart est simplement l'une des formes les plus raffinées qui existe de la torture par la goutte d'eau. La victime sait qu'une prochaine goutte est sur le point de tomber sur son crâne, puis une autre, mais se trouve prisonnier du rang H et ne peut bouger avant d'être libéré par l'arrivée des applaudissements.

Une oeuvre de Mozart, décemment jouée, est la limite de l'endurance humaine ; quatre reviennent à baigner dans du Sherry. Les artistes en Floride étaient excellents ; l'un était l'exquis Piotr Andrszewski, qui a depuis gagné le Prix Gilmore. Mais tandis que la Sinfonia Concertante (K364) menait aux numéros Köchel 453, 271 et au rebattu K 467, ruiné à jamais par son rôle de mélasse dans le film suédois Elvira Madigan, mon cervelet entier s'est rebellé.

Plus de Mozart me suis-je juré, plus pendant au moins une année entière, peut-être pour toute mon existence. Il m'a fallu une infusion urgente de Boulez et d'eau minérale pour restaurer mon équilibre moral et mon appétit musical. Je suis toujours en convalescence. Lorsque sonne sur un portable dans le bus le début de la symphonie en sol mineur (K550), je tremble et je dois humer un extrait atonal du jeune Birtwistle. C'est sans surprise que Mozart tient le haut du palmarès des sonneries de mobile. Sa musique était faite pour tinter.

Il est si largement admis que la musique de Mozart est bonne pour vous qu'en Alabama, le Gouverneur a envoyé les plus grands hits de Mozart à toutes les femmes enceinte dans l'espoir de transformer leurs embryons en de futurs Einstein, et en Suède ils jouent le K467 dans les salles d'accouchements pour atténuer les douleurs de l'enfantement. L'Effet Mozart est en train de devenir un principe de l'éducation pédiatrique. Personnellement, je suis davantage concerné par les risques de dégénérescence cérébrale. C'est pourquoi je demande au gouvernement de lancer une alerte sanitaire à propos du cycle Mostly Mozart du mois prochain au Barbican centre, quatre week-ends de concerts boite au chocolat. Ces séries, sponsorisées de manière prévisible par Classic FM, sont une honteuse copie d'un festival qui se déroule au Lincoln center depuis plus de 30 ans, au plus grand désarroi des esthètes musicaux. Des nuits entières de Mozart, bouillons clairs de musique dans la chaleur d'Août, ont poussé les New Yorkais qui en ont les moyens à se payer un billet d'avion pour Salzbourg ou Bayreuth pour goûter un peu de repos musical.

Ce n'étaient pas les premiers à se plaindre.

« Trop de notes, mon cher Mozart », se plaignait Joseph II à une répétition de L'Enlèvement au Sérail. La postérité a fait de cet empereur un pompeux philistin, mais il était plus près de la vérité que bien des critiques musicaux.

Il n'y a jamais eu un esprit mélodique aussi fertile que celui de Mozart. Il était si plein d'airs mémorisables qu'il les versait à la cuillère dans sa musique comme un enfant avec du sucre dans son bol de petit déjeuner, lorsque sa maman a le dos tourné. Aussi génie qu'il était, Mozart manquait du bon sens, ou du bon goût pour mesurer son originalité, manquait de la sagesse de laisser l'esprit s'installer sur un thème alors qu'il s'amplifie et se développe. Comme un papillon insatiable, il butine le prochain bourgeon, puis le suivante, laissant décontenancé le lépidoptériste face à cette inconstante fertilité.

Des quatre symphonies de jeunesse écrites à Chelsea alors qu'il avait 8 ans, en 1764 « Rappelle moi de donner quelque chose à jouer aux cors » disait-il à sa soeur – à l'agonie moribonde du Requiem 27 ans plus tard, Mozart a éclaboussé ses inspirations avec un incontinent abandon. Que ce soit par faiblesse mentale ou immaturité émotionnelle, il semblait incapable de saisir le besoin de tenir une audience en haleine : il donnait toujours trop, et souvent de manière inappropriée.

Il y a des profondeurs dans La Flûte Enchantée, mais elles étaient obscurcies par une pléthore de futilités jusqu'à ce qu'Ingmar Bergman rafraîchisse l'opéra dans les années 1970. Les ambiguïtés dans Don Giovanni, suggérant de la sympathie pour le méchant sonnent de façon bancale dans les allusions musicales. Parmi 27 concertos pour piano, seulement deux (K466 et K491) sont dans le mode introverti mineur. Le meilleur thème dans le K491 est rejeté à la fin. Beethoven, en l'écoutant, se serait exclamé auprès d'un collègue : « Cramer, Cramer, nous ne devrions jamais nous permettre de faire une chose pareille ». Heureusement pour le devenir de la musique, il est bien mort. Un thème, comme un portrait, a besoin d'être bien encadré.

Beethoven savait comment créer un contexte là où Mozart versait simplement de nouvelles mélodies. Mozart est la ligne de démarcation – le test décisif si vous préférez – entre les amoureux de la musique et ceux qui apprécient simplement une belle mélodie. Il est un don pour le créateur de jingle, une menace pour le musicien sérieux. Un monde sans Beethoven serait bien plus pauvre qu'un monde dépourvu de Mozart.

Voilà des pensées hérétiques, contredisant en connaissance de cause les écrits d'interprètes érudits tels qu'Artur Schnabel et Alfred Brendel, qui trouvent des qualités dans Mozart qui ne sont pas accessibles à des analystes ne pratiquant pas l'instrument. Cela dit, je ne pense pas que Schnabel ou Brendel aient jamais été exposés une soirée entière à de Nachtmusik assorties, laissées seules pendant un mois de Mostly Mozart. Pour tirer le meilleur de Mozart, il doit être protégé des festivals compendium et de la mentalité catégorielle qui aide l'industrie classique du disque à faire naufrage par le biais d'indiscriminantes compilations. Il constitue, selon mon expérience, un risque bien défini pour la santé. Trop de Mozart ne peut vous rendre qu'irascible.

Les premiers mois de ma vie sans Mozart, après avoir éliminé les bonbons et embrassant de saines fibres ont été d'une béate félicité. J'apprenais à aimer Haydn et à respecter Gluck lorsque, jeudi dernier, au concert anniversaire d'un de mes amis au Wigmore Hall, ils ont glissé le Soave trio de Cosi fan tutte et j'étais fait. J'en voulais davantage ; je désirais le sextuor de Cosi qui est probablement le plus grand aria concertant jamais conçu.

Dinant avec un professeur de mathématiques, nous n'avons pu nous expliquer comment avec de si simples intervalles, Mozart est parvenu à pénétrer la véritable essence de l'âme humaine. Il est « tout court », une force vivante. A prendre tel quel, mais sans toutefois dépasser la dose prescrite.



Traduction effectuée par le DESS Musique Sorbonne (Paris). Vous pouvez accéder au site de l'organisme en cliquant sur le lien suivant http://admuSorbonne.free.fr.

Le DESS d'administration et de gestion de la musique de l'Université Paris IV Sorbonne forme chaque année une vingtaine de responsables qui opéreront dans le domaine de la culture et de la musique classique en particulier, tant dans le domaine privé (orchestres, industries du disque) que dans le domaine public. La promotion actuelle est soutenu par AD'MUSES, association des anciens du DESS Musique Sorbonne.

[English Version: Why I'm sick of Mozart]


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