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Les Wagner et le rabbin

By Norman Lebrecht / le 3 avril 2002


[English Version: The Wagners and the rabbi]

L’antisémitisme est sans doute la première chose que chacun connaît de Wagner. La Knesset israélienne lève le point chaque fois qu’un chef invité commence le Prélude de Tristan, et les défenseurs comme le philosophe Brian Magee (*NDT auteur en 2001 d’un controversé Wagner and Philosophy, Penguin edition) s’embrouillent dans leurs explications pour essayer de montrer que Wagner ne souhaitait pas réellement l’élimination des juifs… mais juste écarter de sa « meilleure » conception des choses, des géants tel Heine et Mendelssohn.

Les preuves de son racisme sont nombreuses. Wagner, en 1850, est l’auteur d’un essai anonyme, Das Judentum in der Musik, où il affirme que les juifs sont inaptes à l’exercice des arts, ouvrage qui reparaîtra plus tard sous son propre nom. Wagner fustigeait régulièrement les juifs à en croire le journal de Cosima, sa seconde femme, et a échafaudé au moins en partie les caractères aliénés de Mime et  de Beckmesser à partir de la caricature des juifs qu’il appréciait le moins.

Les mythes nordiques des opéras de Wagner ont aidé Hitler à installer son univers. Magee, et Thomas Mann avant lui ont essayé d’avancer que Wagner a été la première victime de Hitler, sa musique ayant été détournée par une idéologie du mal. Aucune étude du nazisme ne peut cependant occulter l’influence de Wagner. Il a fourni, involontairement, la légitimation culturelle du génocide.

Cet atavisme wagnérien a transpiré dans une seconde génération. Le fils de Wagner, Siegfried, et sa femme anglaise Winifred furent parmi les premiers partisans d’Hitler. Le couple l’invite à Bayreuth en Octobre 1923 et dans les mois qui suivent l’échec du putsch de Munich, l’assiste en prison en lui apportant un confort mobilier et, dit-on, le papier sur lequel s’écrit Mein Kampf. Bayreuth sous le troisième Reich était devenu un lieu de pèlerinage national et la famille continue de nos jours de refuser de livrer toute information sur cette période.

Les preuves qu’ils cachent, néanmoins, sont peut-être moins compromettantes qu’ils ne le croient. Prenez Siegfried, le fils et héritier. Il aurait été une déception, pour son solide vieux père, qui mourut alors qu’il n’avait que 13 ans. Siegfried écrivit de tendres et conventionnels opéras romantiques, montrait peu d’intérêt en matière de domination du monde et fit un adorable enfant à la femme du pasteur local. L’enfant fut employé plus tard à Bayreuth comme régisseur de scène. C’était une erreur de jeunesse. Le Siegfried adulte était quasiment gay, et ce de manière visiblement active. Le trésorier de Bayreuth garde la trace du silence acheté de possibles maîtres chanteurs.

Enflammé par la personnalité fervente d’Hitler, Siegfried désigne le Ring de 1924 comme « un festival germanique de la rédemption » et le décore de gages nationalistes. Mais plus sa femme se pâme devant le führer, plus Siegfried prend ses distances. Après sa mort en 1930, les nazis s’emparent de ses papiers auprès de Winifred (contrairement aux rumeurs, elle ne séduisit jamais Hitler, son amant était le metteur en scène collaborateur Heinz Tietjen).

Les papiers de Siegfried partent pour Berlin, où ils sont capturés par les russes en 1945. Ils furent retrouvés à Moscou à la fin de l’année dernière par un universitaire du Musée de Washington pour l’Holocauste, qui a copié quelques 100 000 pages d’archives et mis quelques uns des meilleurs passages en ligne. Les observations personnelles de Siegfried s’apparentent à une renonciation tacite du racisme wagnérien, un point qui se révèle plus nettement dans de passionnés échanges avec un certain docteur Salomon, rabbin de Bayreuth.

Le rabbin écrit d’abord à Siegfried en juin 1924, se plaignant de la montée des « influences antisémites » dans la maison Wagner. Siegfried répond : « Nous sommes contre l’esprit marxiste, [mais] nous n’avons aucun ressentiment contre les juifs patriotes… Bien que j’ai trouvé des choses regrettables dans les manuscrits de mon père, je n’éprouve aucun sentiment hostile envers les juifs – cela doit être bien compris. Certains m’ont été d’un grand secours dans mon travail ».

Siegfried maintient que la rhétorique affichée par son père lui paraît avoir été en réalité impétueuse et insincère. Au regard de toute la condamnation de la judaïté qu’il fait dans l’art, Wagner choisit spécifiquement une trinité d’artistes juifs pour présenter son opéra quasi religieux Parsifal. Josef Rubinstein a préparé la partition de piano, Heinrich Porges a dirigé le chœur et Hermann Levi, un fils de rabbin, a dirigé la première. Wagner, argumentait Siegfried, n’était pas raciste au sens où l’entendait Hitler. Le rabbin en réponse, demanda à Siegfried de se situer clairement par rapport au nazisme. Siegfried répondit avec équivoque, « Les arts nous touchent jusqu’au cœur… et Dieu a doté d’un cœur tous les êtres humains ». Un an plus tard, il est plus direct, assurant le rabbin que contrairement à ce qui s’écrit dans les journaux, il n’a pas abandonné un chanteur juif, Friedrich Schnorr, sous prétexte qu’Hitler se trouvait dans l’assistance. Aucun juif ne serait exclu de Bayreuth. « Quiconque le désire peut assister au Festival, que ce soit Hitler ou [le pacifiste] Harden », écrit-il et dans une lettre suivante, il fait parvenir au rabbin une paire de tickets.

Siegfried apparaît comme un nationaliste bénin de la vieille école, plus partisan de l’unité germanique que de l’épuration raciale. Il affirme que son père était comme lui. Sa vision de Wagner a constitué une hérésie pour les nazis qui ont confisqué ses archives, et pour sa veuve, qui détruisit ses œuvres. Son opéra, Bruder Lustig, est sur le point d’être enregistré pour la première fois.

Ainsi, si les Wagner, père et fils, était à la base des gens plutôt fréquentables, d’où donc a bien pu surgir la xénophobie ? Le doigt de la suspicion pointe vers les veuves, dont aucune n’était allemande. Cosima, à moitié française fille du hongrois Franz Liszt, a dominé Bayreuth jusqu’à sa mort en 1930.

Winifred, né à Hastings, est morte en nazie non repentie en 1980. L’image de Wagner fut biaisée par ces femmes jusque près d’un siècle après sa mort. La trouvaille des lettres de Siegfried est la première brèche dans les contes de ces vielles veuves, la première chance de mettre leur version de l’histoire en perspective -  et probablement au vide ordure.



Traduction effectuée par le DESS Musique Sorbonne (Paris). Vous pouvez accéder au site de l'organisme en cliquant sur le lien suivant http://admuSorbonne.free.fr.

Le DESS d'administration et de gestion de la musique de l'Université Paris IV Sorbonne forme chaque année une vingtaine de responsables qui opéreront dans le domaine de la culture et de la musique classique en particulier, tant dans le domaine privé (orchestres, industries du disque) que dans le domaine public. La promotion actuelle est soutenu par AD'MUSES, association des anciens du DESS Musique Sorbonne.

[English Version: The Wagners and the rabbi]


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