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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 8

Les dompteurs de pianos

Par Propos recueillis par Jean-Sébastien Gascon / 10 mai 2004

English Version...


La Scena Musicale a demandé à quelques-uns des plus grands pianistes de nous parler du son, du caractère des pianos, et de leur relation avec cet instrument. Les propos recueillis ressemblent étrangement à une discussion sur les chevaux purs-sangs : ils ont chacun leur caractère et si on sait les maîtriser, on n'en sortira pas qu'un son, mais de l'émotion à l'état pur. Parfois l'instrument se laissera dompter, d'autres fois il faudra plus d'attention. Un manque de maîtrise, et celui-ci peut décider de ne laisser sortir que des notes sans vie !

Marc-André Hamelin

J'ai bien peur de décevoir l'auteur de cet article, car pour moi le son d'un piano est beaucoup, beaucoup moins important que son caractère. Même si le piano sur lequel je joue pendant un concert ne possède pas le son le plus merveilleux au monde, il est quand même très possible d'y obtenir un résultat des plus satisfaisants. (Il ne faut pas oublier que Callas a réussi à charmer une grande partie de la population mélomane malgré son timbre de voix comparable à un loup hurlant à la lune.) De plus, j'ai entendu tellement de 78 tours égratignés pendant toute ma vie que j'ai l'habitude d'écouter « à travers » les obstacles sonores. Je connais certaines gens qui ne peuvent pas jouir d'une expérience musicale s'ils ne bénéficient pas de la plus haute fidélité, et je les plains amèrement...



Marc Durand

Très souvent, les jeunes pianistes ne savent pas comment produire leur son au piano. En général, ils se fient seulement sur l'instrument pour faire le son à leur place. Créer son son au piano est essentiel. C'est ce qui permet de caractériser le jeu et aussi de distinguer un pianiste d'un autre. Tout est relié à l'écoute (avant et après la production du son) et à l'imagination sonore du musicien. On pourrait aussi dire que c'est le potentiel artistique du pianiste mis à l'épreuve. Le pianiste se doit donc de concevoir et de savoir techniquement comment produire une palette sonore très étendue ainsi que d'avoir la possibilité de créer avec les sons une très grande variété de textures sonores correspondant aux expressions et aux atmosphères voulues. Dépendant du piano et de l'acoustique de la salle, le pianiste doit aussi constamment s'adapter et projeter le son de manière à pouvoir communiquer ses idées musicales.

Le Fazioli est un instrument extrêmement sophistiqué. Son son est très pur et transparent et évidemment peut convenir mieux à certains styles de répertoire ainsi qu'à certains types de jeu pianistique. En général, les Fazioli ont de très bonnes basses et les divers registres sont plutôt bien égalisés. C'est un instrument qui peut projeter très bien et qui, techniquement parlant, réagit cependant mieux à la vitesse d'attaque qu'au poids. Ceci peut dérouter plusieurs pianistes qui ne connaissent pas ce type d'instrument et souvent, ils ont de la difficulté à y adapter leur technique.

Le Bösendorfer est très semblable au Fazioli. Cet instrument exige aussi que le pianiste fasse son son.

Évidemment, avec chaque instrument, le pianiste devrait faire son son mais il est certain que s'il ne le fait pas, un piano Yamaha va compenser et en donner un correct, standard. Sauf pour d'excellents pianos Yamaha que j'ai pu jouer lors de tournées au Japon, les Yamaha que nous connaissons ici sont très bien mais tendent cependant à limiter l'aspect créatif du pianiste et à neutraliser les effets sonores et les couleurs permises. Ils sont cependant très robustes et fiables. Pour certains pianistes, ces pianos peuvent être grandement avantageux.

Jean Saulnier

Mes commentaires sur le Fazioli de la Chapelle historique du Bon-Pasteur? Ce piano sort de l'ordinaire. Il demande à être apprivoisé. Il faut être concis et précis dans la touche. Il nous permet une grande définition et une grande clarté : on entend toutes les notes. Le son est puissant. Il se prête bien à Beethoven et au répertoire classique. Il faut être détendu pour en jouer. En début de concert, on doit prendre le temps de bien le maîtriser. [Commentaire capturé lors du concert 15e anniversaire de la Chapelle historique du Bon-Pasteur donné par Jean Saulnier et le violoncelliste Yegor Dyachkov.]

Oliver Jones

Ma relation avec mon Yamaha est très intime. Il y a des pianos, comme celui-là, dont on sent qu'on peut embarquer à l'intérieur. Les pianos sont différents et ont chacun leur caractère. Le son qu'il produit changera mon interprétation. Si je vois qu'il ne me donne pas ce que je veux avec certaines notes, j'irai chercher d'autres notes qui livreront un autre message.














Alain Lefèvre

Le son de mon piano? Difficile question, que vous me posez là. Il y aurait tant de choses à dire. Doit-on parler de l'approche technique ou mystique, cette dernière étant véhiculée au travers d'un tissu sonore d'émotions et difficilement descriptible, car appartenant à l'impalpable, d'où l'image d'un « son habité ».

Dans mon travail au quotidien, je tente toujours le dépassement de la mécanique du piano au profit d'une sonorité qui transcende l'action des marteaux frappant sur les cordes. Pour ce faire, il me faut un instrument qui réponde techniquement parfaitement à cette exigence, offrant égalité et constance, tout en me permettant une recherche approfondie des sonorités et de leurs couleurs. Mon instrument de travail, un piano Yamaha CFIIIS minutieusement réglé selon mes spécificités par toute une équipe de cette grande maison, me permet de pousser à l'extrême de ses limites le développement du son dans sa tessiture intégrale. Je possède également de longue date un autre Yamaha G-3, qui me sert à l'occasion, lorsque mon autre piano est en révision.




André Laplante

J'aime surtout les pianos qui ont une résonance brillante et qui tiennent bien le son. Brillant, mais pas un instrument qui nous rappelle la percussion! Un piano qui me permettra de jouer très doux ou très fort, mais qui projettera le son. Je me sens très à l'aise avec ces instruments, il y a moins d'efforts à faire et on peut se concentrer beaucoup plus facilement sur la musique.

Janina Fialkowska

Permettez-moi d'ouvrir cette courte lettre en disant que, contrairement à plusieurs, j'aime beaucoup la grande diversité d'instruments que l'on trouve en tournée. Bien sûr, les notes qui collent ou qui refusent de sonner peuvent être un désagrément, mais en général, je considère le fait de ne pas être obligée de transporter et de jouer toujours sur le même instrument comme à la fois un défi et une bénédiction. Franchement, une telle attitude réduit le stress et procure un certain plaisir dans une profession qui, autrement, est parfois épuisante. Je me rappelle encore, et non sans émotion, un concert en plein air que j'ai donné au Mexique et où j'ai dû passer à travers un concerto de Rachmaninov sans l'aide d'aucune pédale.

Toutefois, mes sympathies tendent naturellement vers un certain type de piano idéal, un instrument assorti à mon propre répertoire et à l'importance que j'accorde à une large palette de couleurs ainsi qu'à la dynamique. Mes préférences vont par nécessité vers un instrument « chantant ». Je suis moins intéressée par les sons durs et percutants, les sons métalliques ou secs, lesquels sont évidemment partie intégrante de certains types de répertoire ou même de certaines façons de voir le répertoire. En outre, un piano vaut ce que valent son technicien et la salle où il se trouve; un bel instrument peut fort bien être détruit par une mauvaise mécanique. L'un de mes Steinway de Hambourg préférés, qui se trouve dans un monastère allemand rénové, a soudain perdu tout son charme lorsque le vieux plancher en planches a été remplacé par un nouveau parquet de bois, ce qui a complètement changé l'acoustique et a rendu le son du piano strident et désagréable. De même, il y avait à la fin des années 1990 au Wigmore Hall de Londres un piano qui était un véritable enchantement. Quelques années plus tard, après l'arrivée d'un nouveau technicien, l'instrument n'était plus qu'une ruine... du moins temporairement.

Mon instrument préféré ? Aucune hésitation à ce sujet. C'est le Steinway de Hambourg de la salle George Weston à North York en Ontario. J'ai joué souvent de cet instrument, j'y ai fait des enregistrements et chaque fois j'ai été ravie. Chopin sonne particulièrement bien sur ce piano, dont les touches offrent une solide résistance et dont la dynamique est exquise. Pour mon type de répertoire, où l'accent est mis sur le lyrisme, c'est le piano parfait.

[Traduction : Alain Cavenne]


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