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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 8

Haendel et l'opéra italien

Par Pierre Grondines / 10 mai 2004

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La carrière anglaise de Haendel est très étroitement liée au domaine de l'opéra italien. Non seulement la majorité des opéras de Haendel (37 sur 40) furent destinés à des scènes anglaises, mais encore, le musicien fut le premier à composer un opéra italien expressément pour Londres (Rinaldo, 1711). Durant l'hiver 1718–1719, le compositeur ainsi qu'un groupe d'amis de la noblesse fondèrent une compagnie vouée à la présentation d'opéras italiens, compagnie qui reçut grâce à l'aval du roi le nom flatteur de Royal Academy of Music. La compagnie inaugura ses activités au printemps 1720 et présenta durant huit ans divers ouvrages italiens dont pas moins de la moitié étaient de Haendel. Celui-ci, tout Allemand fut-il, concurrençait sur leur propre terrain les autres compositeurs italiens attachés à la Royal Academy parmi lesquels Giovanni Porta, Attilio Ariosti et Giovanni Bononcini.

Aussi prospère fut-elle, l'Academy dut être dissoute en 1728. Elle avait grandement souffert, entre autres, de la concurrence du fameux Beggar's Opera (L'Opéra des gueux), sorte d'opéra comique fait de ballades populaires en langue anglaise dont le propos satirique tournait en dérision l'opéra italien. Contre toute attente, Haendel, toujours très sûr de ses moyens, relança une nouvelle Académie en 1729 et y participa non plus seulement à titre de compositeur, mais également en tant qu'entrepreneur. Le changement dans le goût du public londonien depuis l'avènement des ballad operas en langue anglaise promettait certes de rendre l'entreprise de Haendel risquée, mais le musicien, combatif par nature, fonça tête baissée.

La nouvelle Academy qui accumulait à parts égales succès (Poro, Orlando) et déconfitures (Lotario, Ezio) fut soumise à très rude concurrence lorsqu'en 1733 entra en scène une nouvelle compagnie d'opéra italien, The Opera of the Nobility. Dans la lutte opposant les deux maisons, le recrutement de chanteurs vedettes constituait une arme décisive et la nouvelle troupe porta un coup très dur à Haendel, tantôt en maraudant parmi les chanteurs de sa troupe, tantôt en engageant l'illustre Farinelli (de son vrai nom, Carlo Broschi), comme ce fut le cas pour la saison 1734–1735.

À cette époque de dure rivalité, le compositeur ne sembla pas comprendre encore que sa fortune aurait été assurée s'il s'orientait du coté de l'oratorio en langue anglaise, lui qui avait pourtant connu le succès dans ce domaine avec Athalia (1733), ouvrage où abonde l'écriture chorale dont sont si friands les Anglais. Haendel s'obstina plutôt, tint à en découdre avec ses rivaux de l'Opéra de la Noblesse et à affirmer sa supériorité dans le domaine lyrique. Ce climat d'âpre concurrence obligea le compositeur à redoubler d'imagination pour donner à ses productions plus d'éclat et ainsi gagner les faveurs du public. Ultimement, comme on le sait, les deux compagnies fermeront leurs portes en 1737, suite à des difficultés financières insurmontables. Mince consolation pour Haendel, c'est sa compagnie qui sera dissoute la dernière. C'est dans ce contexte de folle rivalité que fut présenté, en avril 1735, Alcina.

Alcina est ce que l'on appelle un opéra magique, sorte d'ouvrage dont l'action se déroule dans un lieu enchanté et fait intervenir au moins un protagoniste doté de pouvoirs surnaturels. Fort populaires à l'ère baroque, les opéras magiques nécessitaient des machines pouvant opérer de rapides et sensationnelles transformations de décor au vu des spectateurs, équivalent des effets spéciaux de notre cinéma, si l'on veut. C'est ainsi que dans Alcina, par exemple, les indications scéniques du livret précisent qu'à la scène 2 du premier acte, « sous la foudre et les coups de tonnerre, la montagne s'écroule [puis] fait place au délicieux palais d'Alcina ». Le Covent Garden, où fut présenté Alcina, était justement doté de machines très efficaces pouvant créer de tels effets scéniques et la publicité entourant cet opéra dans les journaux ne manqua pas de signaler la chose à l'attention du public.

Le livret de l'opéra est directement tiré des chants 6 et 7 de l'Orlando furioso (Roland furieux, 1532), célèbre poème de la Renaissance italienne dû à la plume de Ludovico Ariosto (1474-1533) et relatant l'épopée des chevaliers chrétiens du Moyen Âge à la manière des auteurs de l'Antiquité. Le sujet d'Alcina actualise un thème fort ancien que l'on retrouvait déjà dans l'Odyssée, où Homère raconte comment le rusé Ulysse, retenu captif sur l'île de la magicienne Circé et devenu son amant, déjoua les maléfices de l'enchanteresse et l'obligea à rendre à ses compagnons, transformés en pourceaux, leur forme humaine.

La valeur d'Alcina, l'un des opéras les mieux réussis de Haendel tient à la manière avec laquelle le compositeur répartit et dose les affects (sentiments) dans le cours de l'oeuvre. Le musicien, qui jouait habilement du grand rythme que forme la succession des airs à l'échelle de l'opéra entier, savait parfaitement mettre en relief le moment culminant d'un drame. Par exemple, Haendel prépare de façon fort efficace l'instant où la magicienne Alcina découvre, désespérée, que le charme qu'elle exerçait par sa magie sur Ruggiero, prisonnier de son île, n'opère plus. Dans son « Ah, Ruggiero crudel » (acte ii, scène xiii), l'expression de l'enchanteresse est d'autant plus puissante que Haendel prend soin de faire précéder ce numéro par le « Verdi prati » (Verts prés), chanté par Ruggiero, qui est l'un des airs les plus paisibles de l'opéra. D'abord bercé par cet air, le spectateur n'éprouve ensuite que plus vivement le désespoir et la colère de la magicienne.

Ce n'est qu'une semaine avant la première représentation de l'oeuvre, qui eut lieu à Covent Garden, le 16 avril 1735, que Haendel mit la touche finale à son opéra Alcina. Le nouvel ouvrage tint l'affiche durant 18 représentations ce qui à l'époque ne représentait qu'un succès relatif et l'air « Verdi prati » sera bissé à chacune des représentations. L'ouvrage sera repris cinq fois durant la saison 1736–37 à Covent Garden, présenté à Brunswick en 1738, puis tombera dans l'oubli jusqu'au xxe siècle. En 1928, Alcina est produit à Leipzig et connaît sa véritable renaissance lorsqu'on le monte à Londres en 1957 avec Joan Sutherland dans le rôle de l'enchanteresse.

Saturday Afternoon at the Opera de CBC Radio Two et Les Violons du Roy ont l'honneur de présenter une version concert de Alcina. Bernard Labadie est à la tête des Violons du Roy et d'une distribution comprenant la soprano Karina Gauvin, la mezzo-soprano Kristina Szabó, la soprano Christine Brandes, la contralto Marie-Nicole Lemieux, le ténor Benjamin Butterfield, la soprano Shannon Mercer et le baryton-basse Nathaniel Watson.

Mercredi 5 et vendredi 7 mai à 19 h 30 * May 5 and 7 at 7:30 PM
Salle Pollack, Université McGill, Montréal
Billetterie/Tickets : 514-987-6919
Dimanche 9 mai 2004 à 19 h 30 * May 9 at 7:30 PM
Salle Louis-Fréchette, Grand Théâtre de Québec / Quebec City
Billetterie/Tickets : 418-643-8131


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