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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 7

Son et musique

by ALEXANDRE LAZARIDES / April 26, 2004


Les tests comparatifs des appareils de haute-fidélité reposent sur un grand principe de base, celui de la transmission du son, que ce soit en termes de définition, de spatialisation ou d'absence de coloration. Ce principe sous-entend que, quelle que soit la qualité de l'appareil, la musique proprement dite, c'est-à-dire la note, n'en sera pas affectée, la mélodie et le rythme demeurant malgré tout inchangés et reconnaissables. La soirée d'écoute LSM du 23 février à la boutique Audio Club, conduite par Richard Gingras, a démontré que ce n'est pas seulement le son qui est plus ou moins affecté par l'appareil utilisé, mais la musique elle-même, dans des paramètres tenus pourtant pour intangibles par la reproduction sonore, en particulier le rythme. Si le rythme est censé demeurer immuable, c'est parce qu'il relève de l'interprétation, c'est-à-dire de la note, et non du son.

L'auditoire, composé de quatre personnes ce soir-là, a été surpris de constater qu'il n'en est rien et que les paramètres musicaux pouvaient eux aussi être touchés. Le fait a été illustré par les quatre premières mesures de la Sonate op. 5, nº 2 en sol mineur pour violoncelle et piano de Beethoven, dans la célèbre interprétation, enregistrée en 1963, de Rostropovitch avec Richter (Philips Duo). Le pianiste ralentit délicatement la fin de sa gamme descendante sur le dernier demi-temps de la troisième mesure. Or, ce ralentissement, on ne peut mieux trouvé, était nettement rendu par le lecteur a, mais demeurait pour ainsi dire imperceptible avec le lecteur b (les autres composants de la chaîne restaient inchangés). Évidemment, la qualité générale du son s'avérait aussi meilleure avec a. C'était le même enregistrement, non ? Pourtant, la même interprétation devenait soudain plus vivante, plus éloquente, comme réincarnée dans un corps plus beau. Bref, une révélation.

Les conclusions qu'il faut tirer de cette écoute paraissent plutôt inattendues en regard du grand principe audiophile de base. La première, et sans doute la plus bouleversante à cause de toutes les remises en question qu'elle entraîne, est que, à moins d'avoir toujours écouté ses disques sur d'excellents appareils (et encore!), nul ne peut être sûr d'avoir entendu la musique telle qu'elle avait été interprétée dans la réalité, devant les micros. Est-ce cela qui explique la diversité des jugements que les critiques portent sur un même disque, à croire parfois qu'ils ne parlent pas du même enregistrement? Peut-être. Y a-t-il alors des appareils absolument meilleurs ou doit-on plutôt dire qu'il n'y en a que de relativement meilleurs ? Grande question, chacun prêchant ici pour sa paroisse... ou son goût! C'est, en tout cas, une leçon d'humilité pour tous ceux qui ont à parler de la musique enregistrée. C'est aussi un rappel indirect de la nécessité de fréquenter les salles de concert pour rafraîchir ses facultés d'audition, ou bien encore de jouer soi-même d'un instrument pour rester attentif aux différences entraînées par les appareils d'enregistrement ou de transmission du son.

Corollaire oblige, ceux qui estiment que chaque genre de musique -- classique, jazz, rock, etc. -- exige un appareillage différent pourraient changer d'opinion à la lumière de cette expérience. Car, si ce sont les paramètres musicaux eux-mêmes qui sont affectés à travers la transmission sonore, cela signifie qu'un bon appareil sera celui qui peut rendre fidèlement tous les genres de musique, dans la mesure où les paramètres musicaux sont universels. Selon Audio Club, l'élément le plus proche du disque, c'est-à-dire le lecteur, est celui qui doit recevoir le plus d'attention; en d'autres termes, plus terre-à-terre, c'est lui qui mériterait l'investissement le plus élevé. Viennent ensuite, par ordre d'importance décroissante, le préamplificateur, l'amplificateur et les enceintes. C'est que deux lecteurs comparables, admettons dans la même gamme de prix, influenceront relativement plus le résultat sonore final que deux enceintes comparables. Mais sans doute que les avis seraient partagés sur ce point de vue. Par ailleurs, les genres musicaux sont parfois identifiés au volume sonore qui leur est lié par quelque mystérieux consensus. Mais puissance et fidélité ne sont pas synonymes.

Pour répondre à la grande question qu'on ne manque pas de se poser dans tous ces cas, il faut se rendre à cette évidence que le prix des appareils, quoi qu'on en dise, a quelque chose à voir avec leur qualité. Pour éclairer les dessous de cette expérience, précisons maintenant que le lecteur a coûte dix mille dollars (lecteur polyvalent, il est vrai, capable de lire tous les disques de 5 pouces actuels CD, SACD, DVD..., alors que le lecteur strictement réservé au CD traditionnel en coûte la moitié), tandis que le lecteur b n'en coûte que (!) mille. (On taira leurs marques respectives, mais le lecteur pourra toujours téléphoner à la boutique pour s'en informer.)

On peut toutefois croire, pour se consoler, qu'à partir d'un certain point, il faut payer beaucoup plus pour un gain peu considérable, tout étant ici affaire d'appréciation personnelle. Le rallentando de Richter n'a sans doute pas la même importance pour tout le monde; d'aucuns pourront estimer que, l'essentiel de la musique étant assuré par une chaîne haute-fidélité, payer deux ou trois milliers de dollars de plus pour obtenir une nuance infime, c'est trop cher payer. D'autres estimeront qu'une nuance, si infime fût-elle, fait toute la différence et permet de distinguer le grand interprète.

Quoi qu'il en soit, écouter de la musique enregistrée dans des conditions idéales n'est pas à la portée de toutes les bourses. Comme pour les concerts, c'est de plus en plus, hélas!, un plaisir de nantis. Le leurre que cette soirée d'écoute a dévoilé, c'est de prétendre qu'il existe de bons appareils à prix budget. À quoi il faut ajouter que l'hésitation des grandes compagnies à adopter une norme internationale d'enregistrement n'est pas de nature à rassurer ceux qui voudraient renouveler leur chaîne en tout ou en partie pour la rendre encore plus fidèle à leur idéal à la fois sonore et musical. Mélomanes et audiophiles se sentent coincés.

Il faut en conclure aussi, plus joyeusement, que les spécifications techniques des appareils, souvent absconses pour l'amateur moyen, ne présentent qu'un intérêt relatif; seul ce qui est écouté et entendu devrait sanctionner un appareil. Mais comme la jouissance musicale est chose strictement personnelle, en fin de compte, l'auditeur est renvoyé à lui-même. Le choix d'un appareil, pour la plupart d'entre nous, ne pourra jamais être que le résultat d'un équilibre instable entre des contraintes budgétaires et un désir exigeant. Avec cette réserve, cependant, que les oreilles ne se ressemblent pas, et que, par conséquent, tout le monde ne peut ni ne sait écouter ou entendre de la même manière -- tout comme les appareils ! Faut-il ajouter alors que, dans ces circonstances, un conseiller en matière de haute-fidélité ne saurait se contenter d'être versé en électronique, et qu'il devrait posséder aussi rien de moins que des connaissances de musicien ?


(c) La Scena Musicale