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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 7

Kent Nagano - Un vent d'air frais sur Montréal

Par Wah Keung Chan / 26 avril 2004

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Le 2 mars 2004, l'Orchestre symphonique de Montréal rendait enfin public le nom de celui qui occupera à compter de la saison 2006–2007 le poste laissé vacant suite au départ de son précédent directeur artistique, Charles Dutoit. Il s'agit du chef américain d'origine japonaise Kent Nagano. Maestro Nagano est actuellement toujours directeur artistique et chef principal du Deutsches Symphonie Orchester de Berlin et directeur musical de l'Opéra de Los Angeles. Il agira pour les deux prochaines saisons comme conseiller à la programmation de l'OSM jusqu'à sa complète entrée en fonction en 2006. Il deviendra au même moment chef principal de l'Opéra d'État de Bavière.

Le président du conseil de l'orchestre, M. Jacques Laurent, rendait publiques récemment les conditions d'embauche du nouveau directeur dans une entrevue au journaliste Daniel Poulin du journal Les Affaires. Selon ce dernier, le salaire de maestro Nagano serait de 50 000 $ par semaine à Montréal, où il sera présent de 16 à 18 semaines par année, comme son prédécesseur. On annonce déjà du côté de l'OSM une prochaine visite officielle à Montréal pour le nouveau directeur, qui devrait assister à l'ouverture de la 71e saison de l'Orchestre le 21 septembre par un concert-bénéfice auquel prendront part la soprano Kiri Te Kanawa et un ancien directeur artistique de l'OSM: Rafael Frühbeck de Burgos.

Kent Nagano succède à Wilfrid Pelletier (1935–1941), Désiré Defauw (1941–1953), Igor Markevitch (1957–1961), Zubin Mehta (1961–1967), Franz-Paul Decker (1967–1975), Rafael Frühbeck de Burgos (1975–1976) et Charles Dutoit (1977–2002). Le choix de ce chef mondialement reconnu permettra à l'OSM de maintenir sa stature internationale. La Scena Musicale a rencontré le maestro, un homme fort modeste.

LSM : Vous pouvez nous parler de votre expérience comme Asiatique dans le monde de la musique classique ?

Kent Nagano en compagnie
de Jacques Lacombe
Kent Nagano :
Personnellement, j'ai été très chanceux puisque je suis né dans une famille de musiciens. Ma mère, qui était pianiste et violoncelliste, suivait de près les tendances en musique et nous avions de la musique à la maison. Ma sœur et moi avons tous deux choisi de faire carrière en musique. Mon professeur quand j'étais jeune venait de Munich et l'instruction que j'ai reçue dans ces premières années était fortement teintée des traditions européennes.

Souvent, les gens trouvent curieux de voir un Californien d'origine japonaise aux cheveux longs venir diriger un répertoire européen, surtout cette année où j'ai eu l'honneur d'ouvrir les Mozart Wochen à Salzbourg avec la Philharmonie de Vienne.

Pour moi, ce qui est plus intéressant est la façon dont mes rapports avec le Japon et l'Asie se sont développés. J'ai grandi à Berkeley en Californie et je n'ai eu aucun contact direct avec le Japon avant l'âge adulte. La plupart de mes voyages, je les avais faits sur la côte Est ou en Europe. Lorsque je suis retourné au Japon au début de la trentaine, comme assistant du maestro Osawa et de l'Orchestre symphonique de Boston, j'ai vécu un moment marquant dans ma vie. Tout à coup, toutes sortes de questions sur mon passé culturel, ma personnalité et mon identité ont fait surface. Le lien non verbal à la culture a été très étonnant. Ma femme est japonaise et la langue maternelle de notre enfant est également le japonais.

LSM : Comment votre héritage asiatique a-t-il marqué votre pensée artistique ?

KN : Indirectement, il a exercé une énorme influence. La nature est l'une des plus importantes sources d'inspiration des compositeurs traditionnels de notre grand répertoire. Les cultures japonaise et asiatique ont une vue très différente des rapports entre la nature et l'homme. Il n'existe pas là-bas une séparation aussi prononcée que dans la littérature et les philosophies de l'Occident. Mes rapports avec la nature d'un point de vue à la fois occidental et oriental sont un exemple de l'influence indirecte sur ma façon de faire de la musique.

Comme ma femme vient d'une famille japonaise très attachée aux traditions, l'idée d'un héritage et de la transmission de cette tradition est au cœur de l'éducation de notre enfant. Cela m'a fait beaucoup réfléchir et a suscité en moi une préoccupation concernant l'éducation musicale et aussi un désir de faire en sorte que nos institutions culturelles soient protégées pour nos enfants qui seront le public et les musiciens de demain.

LSM : Voyez-vous beaucoup plus de musiciens asiatiques aujourd'hui ?

KN : Partout en Asie sont apparues des écoles fabuleuses d'instrumentistes et maintenant de traditions vocales. Les Coréens, les Japonais, les Chinois, il y a maintenant beaucoup plus de chanteurs d'opéra qu'il y a trente ans; aujourd'hui, il est beaucoup plus accepté d'avoir des chanteurs asiatiques.

LSM : À votre avis, pourquoi la musique classique est-elle si populaire en Asie ?

KN : Cela a en partie à voir avec l'éducation. Au Japon, les arts sont fortement présents et valorisés dans l'éducation des jeunes enfants. On considère également que les visites à l'orchestre symphonique sont très importantes pour qu'une éducation soit complète, l'éducation tant culturelle que scolaire. Je crois que, à mesure que le monde bénéficie des progrès de la technologie et des communications, cela permet à plus de personnes en Asie de découvrir les merveilles et les richesses des traditions européennes et nord-américaines. L'enthousiasme qui accompagne toute découverte est toujours très spécial.

LSM : Comment répondez-vous à ceux qui disent que les Asiatiques sont d'excellents techniciens, mais non d'aussi bons musiciens ?

KN : C'est un risque dans notre monde si axé sur la technique. Ce serait une erreur de croire que quelqu'un peut être parfait. Nous sommes des êtres humains, non ? La maîtrise technique n'est pas la musique. La musique est une expression humaine profondément spirituelle et affective. Une partie du talent peut être naturel, mais l'essentiel est appris en respectant et fouillant nos grandes traditions du répertoire. Cela prend du temps et l'investissement d'une énorme quantité d'énergie pour bien étudier et continuer à étudier. Si l'on ne fait pas une priorité du respect de la tradition et du style, on s'expose aux accusations d'être simplement un « technicien accompli ». Et cela ne vaut pas que pour les Asiatiques, c'est une critique que nous voyons partout.


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(c) La Scena Musicale 2002