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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 7

MusiMars :mission accomplie

Par Isabelle Picard / 26 avril 2004


Présenté dans les pages du numéro de février 2004 de La Scena Musicale, le festival de musique contemporaine MusiMars s'est tenu à Montréal du 1er au 6 mars dernier. Deux compositeurs invités, une table ronde, deux cours de maître, quatre conférences, mais surtout de la musique ! Quatre concerts ont présenté 19 œuvres, dont 12 en première montréalaise, faisant rimer la semaine de lecture de plusieurs universitaires avec semaine de découvertes. Bilan de l'événement.

L'intérêt d'un festival réside dans sa concentration. En plus d'offrir l'occasion d'entendre des œuvres significatives, cette concentration permet de soigner un aspect négligé des saisons régulières des divers organismes de concert : les mises en relation. Par un choix judicieux de programmation, c'est ce que nous a proposé le coordonnateur artistique de MusiMars 2004, Denys Bouliane, avec, pour noyau central, la musique de Gérard Grisey et « l'attitude » spectrale. De là, on a proposé une sorte de lien généalogique musical avec Olivier Messiaen en amont et Philippe Hurel en aval. Des cousins plus ou moins éloignés gravitaient autour d'eux : Howard Bashaw, Denys Bouliane, Claude Vivier et John Rea. Leurs orbites tantôt s'éloignaient, tantôt se rapprochaient du noyau, permettant de déceler des parentés ou de souligner des différences. Les voisinages réussis, stimulants pour la réflexion, ont donné un éclairage particulier à tout ce qui a été entendu.

Programmation également réussie -- surtout -- pour sa beauté. Nous avons trop peu souvent l'occasion d'entendre la musique de Gérard Grisey à Montréal. Il faut signaler, parmi les moments forts du festival, son magnifique Prologue pour alto et résonateurs électroniques, de même que Modulations pour ensemble de 33 musiciens, deux véritables voyages à l'intérieur du son, rendus avec sensibilité et intensité par l'altiste Pemi Paull dans le premier cas, et par l'ensemble de la SMCQ sous la direction de Walter Boudreau dans le second. Impossible, également, de passer sous silence l'interprétation d'Anubis-Nout par Lori Freedman à la clarinette contrebasse. Voilà une interprète qui s'engage beaucoup, physiquement même, pour communiquer une musique aux frontières de l'audibilité du son.

Philippe Hurel : la grande découverte

Des deux compositeurs invités, Philippe Hurel a été la grande découverte. Son Tombeau in memoriam Gérard Grisey, une grande œuvre, originale, personnelle et touchante, à la fois violente et méditative, nous a donné l'envie d'entendre tout le reste. La symbiose était parfaite entre les interprètes, Brigitte Poulin (piano) et D'Arcy Philip Gray (vibraphone et percussions), mais également entre l'auditoire et la musique. Vivement, que l'on profite du fait qu'Hurel est titulaire du poste de « professeur associé Daniel-Langlois » à la Faculté de musique de l'Université McGill pour nous faire entendre davantage sa musique ! On sait déjà qu'il sera de retour pour Montréal / Nouvelles Musiques en mars 2005 avec l'ensemble Court-circuit, qu'il a fondé. La musique de Howard Bashaw (compositeur canadien invité) semblait malheureusement bien ordinaire à côté de celles de Grisey et d'Hurel. Une impression de déjà entendu... mais en mieux. Son œuvre Double Entente, pourtant jouée par des solistes et un ensemble de grande qualité (Alain Trudel au trombone, Yan Sallafranque au tuba, Louise-Andrée Baril au piano et l'Ensemble de la SMCQ), tombait dans le vide. La symétrie de l'ensemble instrumental et celle des huit mouvements de la pièce ne semblaient pas mener à grand chose. Il faudrait sans doute entendre davantage la musique de Bashaw pour s'en faire une idée juste, mais cette œuvre n'a pas été une révélation.

Des interprétations d'étudiants inspirées

Reste à relever les autres moments forts des quatre concerts : la musique de Claude Vivier. Les Trois airs pour un opéra imaginaire sont poignants. Leur force, leur douleur violente ne laisse personne indifférent. Félicitations à Ingrid Schmithüsen et à l'Ensemble de la SMCQ. Félicitations aussi aux étudiants du McGill Symphony Orchestra et du McGill Contemporary Music Ensemble (CME). Ils ont prouvé dans Leçon de choses (Hurel) et Orion (Vivier), entre autres, qu'ils peuvent se frotter à autre chose qu'au répertoire traditionnel et donner des interprétations véritablement inspirées. Même commentaire pour le McGill Percussion Ensemble : ses membres ont fait preuve d'une impressionnante virtuosité en interprétant avec une grande précision Kits, une œuvre écrite par Hurel pour les Percussions de Strasbourg.

L'organisation de MusiMars a eu une excellente idée d'inclure le travail des étudiants à même la programmation du festival. Il a sans aucun doute été très stimulant pour eux de participer à un vrai festival, devant un public enthousiaste et réellement intéressé. Stimulant aussi, et formateur, de donner les premières montréalaises, et même canadiennes, de certaines œuvres et de pouvoir travailler directement avec les compositeurs. Jumeler le plaisir des étudiants avec celui des mélomanes, en y ajoutant la découverte de part et d'autre, voilà qui est propice à créer des moments de magie.

Un festival contient quelque chose de festif, il ne faut pas l'oublier. C'est une fête, une célébration, un grand repas qu'on partage. Le festival est un lieu de rencontres, d'échanges. Dans le cas de MusiMars, la musique contemporaine a été célébrée, au plaisir de convives nombreux : des professionnels de la musique, des étudiants, des compositeurs, des musiciens et toutes sortes d'amoureux de la musique. Les événements comme MusiMars sont essentiels à la vitalité du milieu musical montréalais, et même québécois. Ils rapprochent les mélomanes d'œuvres moins souvent jouées ; ils permettent aux jeunes et moins jeunes compositeurs d'ici d'entrer en relation avec des maîtres d'ailleurs, par la musique, mais aussi par le contact humain, les conférences, les cours de maître ; ils représentent des occasions uniques pour les interprètes de se rapprocher des compositeurs et de jouer des œuvres nouvelles dans un contexte favorisant la qualité.

En résumé, je crois qu'on peut dire que la fête a été réussie, que le menu était bien pensé et a été bien rendu, et que tous les convives sont sortis rassasiés... et juste ce qu'il faut enivrés ! À dans deux ans !

caption: Howard Bashaw, Denys Bouliane et

Philippe Hurel


(c) La Scena Musicale 2002