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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 5

Lang Lang - En plein envol

Par Joseph So / 9 février 2004

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En cet âge de l'hyperbole, l'expression « enfant prodige » est lancée assez lestement. On ne peut toutefois nier que le monde de la musique soit plein de Wunderkinder -- et que si quelqu'un mérite de figurer dans ce groupe d'élite, c'est bien le pianiste Lang Lang. Né en 1982 à Shenyang, en Chine, Lang Lang étudiait déjà sérieusement le piano à l'âge de trois ans. Il remportait le premier prix d'un concours local et faisait ses débuts « professionnels » à l'âge de cinq ans. Quatre ans plus tard, il entrait au prestigieux Conservatoire central de musique de Beijing. À l'âge de 15 ans, il sortait gagnant de concours pour jeunes pianistes en Allemagne et au Japon. Il a étudié avec Gary Graffman au Curtis Institute de Philadelphie.

Sa percée date de 1999, alors qu'il a remplacé André Watts au Festival de Ravinia. Les critiques et le public se sont trouvés à court de mots pour exprimer leur admiration : « stupéfiant », « éblouissant », « un talent inouï ». Depuis, la trajectoire de sa carrière a été tout bonnement météorique. Le premier enregistrement des concertos pour piano de Tchaïkovski et de Mendelssohn de monsieur Lang, maintenant sous contrat exclusif avec la compagnie Deutsche Grammophon, a beaucoup attiré l'attention des médias. L'enregistrement du récital de novembre dernier de ses débuts à Carnegie Hall paraîtra en mars. Le concert lui-même lui a valu des avis partagés : certains ont trouvé le pianiste exagérément flamboyant et excentrique, d'autres -- sans doute la majorité -- ont été éblouis et en redemandaient. Une chose est certaine : Lang Lang possède un talent prodigieux.

Derrière une charmante candeur et cette proverbiale politesse orientale se cache un jeune homme d'une ambition à toute épreuve, à la formidable détermination et capable d'une autodiscipline de fer. Il possède également une forte personnalité et une passion pour l'excellence qu'on ne retrouve que chez les plus grands. On a abondamment rapporté les sacrifices que ses parents, Guo-ren Lang et Xiulan Zhou, ont fait pour nourrir le développement artistique de leur seul enfant, né sous la « politique de l'enfant unique » alors en vigueur en Chine. Dès avant le deuxième anniversaire de Lang Lang, ses parents avaient consacré la moitié de leur revenu annuel -- 300 $ US -- à l'achat d'un piano. Selon la pratique dans les familles chinoises, une forte discipline fait partie de l'éducation des enfants. Lang Lang a raconté ailleurs qu'il vient d'une famille type, composée d'un père sévère et d'une mère au coeur tendre. Guo-ren Lang a quitté son emploi et s'est établie avec son fils à Beijing, située à 12 heures de route de Shenyang. Ses parents ont ainsi vécu séparés pour qu'il puisse étudier au Conservatoire de Beijing. La famille n'a été de nouveau réunie que lorsque Lang Lang a acheté une maison au centre-ville de Philadelphie, après être devenu une star.

Âgé de seulement 21 ans, Lang Lang est déjà une célébrité. Il jouit d'une attention des médias rarement accordée à un artiste de musique classique. Il a fait des apparitions à Good Morning America et au Tonight Show avec Jay Leno. Il y a deux ans, le magazine People l'incluait dans la liste des « 20 jeunes qui vont changer le monde ». Son horaire de concerts n'est pas pour les coeurs faibles : en 2003 seulement, il a parcouru trois continents et donné 150 concerts. LSM l'a attrapé au vol le jour de l'Halloween l'an dernier, alors qu'il passait, exceptionnellement, deux jours chez lui avant son concert à la Salle Pollack de Montréal. Ce jeune homme charmant, plein d'énergie et d'enthousiasme s'exprime agréablement, dans un anglais marqué d'un léger accent et parsemé d'expressions propres à la jeunesse.

LSM : Quels pianistes admirez-vous ?
LL : Vladimir Horowitz et Arthur Rubinstein. Ce sont deux artistes totalement différents, mais également géniaux.

LSM : J'ai entendu dire que vous avez un Steinway d'Horowitz. C'est vrai ?
LL : Oui, j'ai deux piano de neuf pieds chez moi. L'un est celui d'Horowitz... Il ne vient pas de lui, mais c'était le sien (rire). Il a été construit en 1918. L'autre est tout neuf.

LSM : C'est aussi un Steinway ?
LL : Oui. Je pense que ce sont les meilleurs. On ne peut pas battre un Steinway !

LSM : Qu'attendez-vous du son d'un piano ?
LL : La flexibilité. J'aime produire beaucoup de couleurs au piano. J'aime un gros son puissant, avec un beau legato qui ressemble au chant. Le piano ne doit pas sonner comme un instrument de percussion. Au fond, un bon piano est comme un bon pianiste : il devrait couvrir tout l'éventail, être bon pour les grands morceaux, mais aussi pour les petites pièces plus délicates. Un bon piano peut donner beaucoup de contraste.

LSM : Avez-vous des idoles en musique ?
LL : C'est une question difficile... J'admire certains sportifs. J'aime Michael Jordan et Tiger Woods. J'aime les grandes vedettes sportives, les grands athlètes. Ils sont presque comme des artistes quand ils jouent : ils font de l'art. Le meilleur athlète dans un sport est un artiste.

LSM : Y a-t-il des athlètes chinois que vous admirez ?
LL : Oui, j'aime les joueurs de ping-pong, les médaillés d'or olympiques (rire) ! Ils sont les meilleurs dans leur discipline.

LSM : Et les musiciens chinois ?
LL : J'adore Tan Dun et Yo-Yo Ma. Je joue une pièce solo de Tan Dun en première mondiale.

LSM : Vous donnez-vous pour mission de faire connaître la musique chinoise à l'Ouest ?
LL : Absolument ! Je suis Chinois et j'aime jouer ce rôle. C'est pourquoi je joue la musique de Tan Dun. En 2005, nous ferons une première mondiale de son Concerto pour piano avec le New York Philharmonic, sous la direction de Lorin Maazel.

LSM : Quels sont vos projets d'enregistrement ?
LL : Mon récital à Carnegie Hall du 7 novembre dernier sortira sur CD, sur DVD et sur vidéo. En première moitié, il y a une sonate de Haydn, les Variations Abegg de Schumann, la Wanderer-Fantasie de Schubert – essentiellement un répertoire austro-allemand. Dans la deuxième moitié, je joue en première mondiale les Huit souvenirs en aquarelle de Tan Dun. Je joue aussi un morceau traditionnel chinois, Course de chevaux, avec mon père à l'erhu, et, enfin, un nocturne de Chopin et les transcriptions de Don Giovanni de Liszt, la partition la plus difficile du répertoire pour piano. C'est ce que j'ai fait de plus ambitieux jusqu'ici.

LSM : L'été dernier, je vous ai vu donner un cours de maître à Euromusic, à Toronto. J'ai été stupéfait par vos qualités de pédagogue. Un jeune garçon de 11 ans jouait la Danza de Ginastera. Vous l'avez beaucoup encouragé...
LL : C'est un très bon élève. Quand des élèves ont un talent pareil, il est beaucoup plus facile d'enseigner. Vous recevez aussi quelque chose de l'élève. Chacun est différent et vous ne pouvez pas toujours enseigner de la même façon, ça ne marchera pas. Ça dépend de la personnalité. Certains sont pleins d'entrain, d'autres sont plus réservés. Il est également important pour moi de savoir comment sera la prochaine génération.

LSM : Donnez-vous souvent des cours de maître ?
LL : Je n'appelle pas cela des cours de maître mais plutôt des séances d'échange (chat sessions). Dans un cours de maître, vous vous assoyez, vous jouez et vous parlez de la musique. J'aime discuter, parler de la raison pour laquelle nous faisons ces choses, du plaisir que nous prenons à faire de la musique... J'aime rappeler que la musique peut nous aider à améliorer notre vie. Je crois que cela est plus important que de s'asseoir et de parler des notes. Il faut ouvrir l'esprit des élèves et les amener à faire les liens entre le vrai monde et le monde de la musique classique. Je fais beaucoup de ces séances d'échange maintenant, au moins une fois aux deux semaines. J'y prends beaucoup de plaisir et je crois que les gens en retirent quelque chose.

LSM : D'après vous, pourquoi y a-t-il tant de bons musiciens asiatiques ?
LL : D'abord, ils ont du talent ; ensuite, ils travaillent fort et ils sont disciplinés. Ils veulent faire quelque chose de bien. Avant, il n'y avait pas autant d'Asiatiques qui étudiaient la musique classique. Elle est maintenant plus populaire en Asie qu'en Amérique.

LSM : La musique classique est-elle populaire en Chine ?

LL : Très populaire, c'est incroyable ! Partout où je vais, le public est si jeune ! Après mes concerts, aux séances de signature ou quand je marche dans la rue, je suis traité comme une vedette de la chanson ou du cinéma. C'est génial ! Les Asiatiques sont très doués pour la musique. Les Occidentaux pensent que les Asiatiques sont froids, que nous sommes réservés. C'est entièrement faux ! En réalité, nous sommes très émotifs.

LSM : Certains disent que les musiciens asiatiques imitent les autres et qu'ils manquent d'originalité. Qu'en pensez-vous ?
LL : C'est possible. Beaucoup d'Asiatiques commencent par s'exercer sans arrêt. Ils écoutent des enregistrements et essaient de reproduire le son des disques. Ils n'ont aucune personnalité. Voilà pourquoi les critiques disent ces choses. Certains pianistes aiment imiter. À mon avis, c'est une erreur. Je ne copie jamais personne, je crois en moi, point. Imiter quelqu'un, c'est croire que cette personne a raison et que vous êtes dans l'erreur. Or, cette personne peut se tromper. C'est comme si vous faisiez un test et que vous copiiez les mauvaises réponses de l'étudiant d'à côté. En musique, il faut trouver sa propre voie. Quand vous assistez à un grand concert et que vous êtes conquis, cela vous donne de l'énergie. C'est merveilleux ! Mais on ne peut faire exactement comme quelqu'un d'autre. Chacun a sa propre pensée et sa propre compréhension.

LSM : Avez-vous déjà entendu jouer le pianiste Fou T'song ?
LL : Je l'admire beaucoup. Je ne l'ai malheureusement jamais entendu en concert ou même sur disque, mais je l'ai rencontré plusieurs fois.

LSM : Que pensez-vous du jeu de Yundi Li ?
LL : Je ne l'ai jamais entendu en concert, mais je suis très heureux pour lui. Sa carrière commence à peine. J'espère qu'elle sera belle. Nous nous sommes rencontrés une fois en Allemagne. Il était venu à mon récital et nous avons discuté. C'était sympa. Je ne peux pas dire grand-chose de quelqu'un que je n'ai pas entendu en concert. Je crois qu'il est encore très rare de devenir célèbre. Le monde compte tellement de pianistes. Je m'estime très chanceux.

LSM : Quels conseils donneriez-vous à un jeune pianiste ?
LL : Aime simplement ce que tu fais et essaie de jouer autant que possible. Quand on joue du piano, il faut vraiment aimer jouer, pas seulement voir cela comme un travail. Mes conseils : étudier sans arrêt, élargir le répertoire et vraiment aimer la musique. Simplement y prendre plaisir !

LSM : Qu'est-ce que vous faites pour vous détendre?
LL : Je regarde des films et je joue au ping-pong. J'aime regarder la télé et sortir avec mes amis.

LSM : Pendant combien d'heures répétez-vous chaque jour ?
LL : Maintenant, deux heures. Avant, c'était beaucoup plus !

LSM : Vous avez un horaire très chargé...
LL : En effet. C'est assez incroyable ! Quand on a une soirée d'ouverture aux Proms à Ravinia avec le Chicago Symphony et une soirée de clôture avec le Philharmonique de Berlin, ça ne se refuse pas (rire) ! C'est beaucoup, mais tant de pianistes rêvent de connaître une carrière comme ça ! Comme j'ai cette chance, il faut que je fasse de mon mieux. p

[traduction d'Alain Cavenne]


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