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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 4

Le Minuit, Chrétiens au Québec

Par Jean-Yves Bronze / 6 décembre 2003

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Le Minuit, Chrétiens est surement le cantique de Noël le plus évocateur et le plus représentatif de la période des Fêtes. Harmonieusement solennel, cet air a le don d'émouvoir et de transgresser le temps en nous rappelant notre enfance. Accentuant la nostalgie, ce cantique baigne dans l'ambiance du réveillon de Noël et de la distribution des étrennes qui suivent la messe de minuit à laquelle il est destiné.

L'exécution de ce chant était autrefois, au Canada français, un honneur réservé à un notable ou, à défaut, au maître chantre de la paroisse. Qui n'a jamais retourné la tête vers le jubé de l'église à l'instant où se faisait entendre : « Minuit, Chrétiens, c'est l'heure solennelle où l' Homme-Dieu descendit jusqu'à nous » ?

Si connu que soit ce cantique, très rares sont ceux qui en connaisse l'origine et son périple chez nous. Paradoxalement, les deux musiciens qui l'ont fait connaître en France (Adolphe Adam) et au Québec (Ernest Gagnon) sont tous deux tombés dans l'oubli dans leur pays respectif. Voyons comment le Minuit, Chrétiens au Québec




Origine du Minuit, Chrétiens au Québec

Contrairement à la croyance populaire, le Minuit, Chrétiens ne nous vient pas de l'époque de la Nouvelle-France; ce chant est relativement nouveau chez nous. Composé à Paris en 1847 par Adolphe Adam, sous le titre de Cantique de Noël, il provoqua un engouement spectaculaire. Au départ réservé aux sopranos, on le disait imprégné de profondeur et d'un pouvoir dramatique. Après quelques années seulement, on le chantait partout : dans les églises, les salons, les salles de concert, etc.

En septembre 1857, à l'âge de 22 ans, Ernest Gagnon, jeune musicien, obtient une bourse et se rend à Paris. Il est l'un des tout premiers musiciens canadiens à parfaire sa formation en Europe. Il étudie le piano au Conservatoire de Paris avec Henri Herz, l'harmonie avec Alexandre Goria et la composition avec Auguste Durand. Pendant son séjour, il fait la connaissance, entre autres, de Rossini, de Verdi (au cours d'un voyage en Italie) de Niedermeyer.

Rares étaient les Canadiens séjournant en France pendant le Second Empire. Gagnon se lie d'amitié avec Joseph Perrault, de Montréal, un jeune étudiant en agriculture, également bénéficiaire d'une bourse de perfectionnement, futur député à Ottawa. Le soir du 24 décembre 1857, les deux jeunes gens décident d'aller à la messe de minuit à l'église Saint-Roch à Paris, l'église paroissiale de Napoléon III. Presque un demi-siècle plus tard, Gagnon garde encore un souvenir impérissable de ce moment : « En franchissant le seuil de la vaste église de Saint-Roch, j'entendis une délicieuse voix de soprano chanter une mélodie pour moi alors inconnue : c'était le cantique d'Adolphe Adam. L'impression que me fit cette céleste voix d'enfant fut si profonde que, bien qu'atténuée par le temps, elle n'est pas encore effacée. » (Gagnon, 1905, p. 298).

En décembre 1858, de retour au pays, toujours ébloui par le noël d'Adam, Ernest Gagnon entreprend de le faire connaître à la population de Québec. Il est chanté pour la première fois à l'église de Sillery, lors de la messe de minuit, par la fille aînée du juge René-Édouard Caron (plus tard lieutenant-gouverneur de la province). Il est repris à la messe du jour du 25 décembre 1858 par Madeleine Belleau à l'église Saint-Jean-Baptiste, dans la basse-ville de Québec, accompagnée à la harpe par Mme Peter Sheppard et au grand orgue par Gagnon lui-même. À la messe du soir, on répéta le fameux cantique.

Le succès fut triomphant dans tout le Canada français. Néanmoins, en 1859, une polémique eut cours par journaux interposés (L'Ère Nouvelle des Trois-Rivières et Le Journal de Québec) au sujet du Minuit, Chrétiens, entre Ernest Gagnon et Antoine Dessane (1826-1873), un musicien français de renom installé au Canada. Probablement jaloux, Dessane se montra particulièrement agressif. Il était ennuyé et irrité du fait que le noël d'Adam ait été proposé au public canadien par quelqu'un d'autre que lui. À la longue, Dessane perdit la faveur du public au profit d'un Gagnon magnanime.

Au cours des ans, on a reproché au Minuit, Chrétiens et sa musique trop pompeuse et ses paroles, écrites par un franc-maçon, de surcroit alcoolique, Placide Cappeau (1808-1877), maire de Roquemaure, au nord d'Avignon. En 1905, Gagnon alors âgé de 71 ans, se demandait toujours si le Minuit, Chrétiens vivrait encore longtemps. La controverse a aujourd'hui disparu et est enterrée avec ses détracteurs.


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