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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 3

Percussions extrêmes

Par Réjean Beaucage / 5 novembre 2003


Quelques oeuvres se sont fait une place dans l'Histoire à coups de baguettes et de maillets !

Les précurseurs

Les grands émancipateurs de la percussion à l'orchestre sont Stravinski (le Sacre du Printemps [1913], L'Histoire du soldat [1918] ou Les Noces [1923]) et, bien sûr, Edgar Varèse. Avec Ionisation, composée de 1929 à 1931 et créée à New York le 6 mars 1933 sous la direction de Nicolas Slonimski, Varèse offre au monde la première oeuvre occidentale écrite exclusivement pour des percussions. Il existe des dizaines d'enregistrements de chacune de ces oeuvres. Pour le Sacre, j'avoue une préférence sentimentale pour la version de Charles Dutoit avec l'OSM, que Decca vient tout juste de rééditer dans la collection Éloquence (4751372). Pour L'Histoire du soldat, c'est encore Dutoit qui remporte la palme, avec un disque Erato (3984-24246-2, en vinyle à l'époque, mais « compacté » depuis) sur lequel il donne la version avec narrateur (Gérard Carrat, excellent) et le violoniste Nicolas Chumachenco, parfait. En ce qui concerne Les Noces, mon choix s'arrête sur la version du Pokrovsky Ensemble, paru en 1994 chez Nonesuch (7559793352). C'est chanté en russe (la création avait été en français), comme Stravinski l'avait conçu, et les quatre pianos sont synchronisés par ordinateur, ce qui ne plaît pas à tout le monde. Pour Varèse, l'enregistrement de Boulez avec le Chicago Symphony Orchestra (Deutsche Grammophon, 471 137-2) vaut certes le détour, et il contient aussi Amériques, Arcana et Déserts (cette dernière, sans la bande prévue par le compositeur). Ce sont là des incontournables, certes, mais par lesquels l'émancipation de la percussion ne faisait que s'amorcer. Permettez-moi de vous suggérer quelques autres compositeurs et enregistrements qui vous permettront d'approfondir l'infinie diversité des instruments de percussion.

John Cage

L'inventeur du piano préparé et du silence fertile, entre autres, a fondé à Seattle à la fin des années 30 l'un des premiers ensembles composés uniquement de percussionnistes. Ses First Construction – In Metal (1939), Second Construction (1940) et Third Construction (1941) sont regroupées sur un disque du Donald Knaack Percussion Ensemble paru chez Tomato en 1989 (réédité en 2003, TOM-2020). L'ahurissante prise de son donne à certaines de ces pièces des allures de réalisation électroacoustique. Comme sur le disque « Three2, Twenty-Three, Six, Twenty-Six » de Christina Fong (alto), Karen Krummel (violoncelle) et Glenn Freeman (percussion), paru chez OgreOgress Productions, sauf qu'ici il s'agit vraiment d'électroacoustique. En effet, pour réaliser ces numbered pieces, les musiciens ont dû s'enregistrer en multipistes (le chiffre indique le nombre d'instrumentistes et les pièces Three2 (1991) et Six (1991) sont écrites pour percussion seulement). Contre toute attente, il s'agit de pièces très douces, porteuses d'atmosphères méditatives, où la cymbale frottée à l'archet tient une grande place.

Michael Torke

L'amateur de rythmes davantage appuyés pourra se tourner vers le pétaradant Rapture -- Concerto for Percussion and Orchestra (2001). L'oeuvre en trois mouvements dure près de trente minutes et le percussionniste (Colin Currie ici, avec le Royal Scottish National Orchestra dirigé par Marin Aslop) n'a pratiquement pas le temps de respirer. La musique de Torke a été décrite comme l'une des plus optimiste de ces dernières années, ce que ce disque Naxos (série American Classics, 8.559167) confirme d'éclatante façon.

Jan Järvlepp

Tout aussi excessif, sinon plus, le Garbage Concerto (1996) de Järvlepp, pour « détritus recyclés et orchestre », permet quand même aux six percussionnistes du Kroumata Percussion Ensemble (l'un des plus actifs) de reprendre leur souffle dans son deuxième mouvement. On est quand même loin d'Ionisation : ici, le rythme soutenu est fait de roulements qui se répondent, presque à la manière d'une fanfare de parade. Le Kroumata joue avec le Singapore Symphony Orchestra, dirigé par Lan Shui, et l'oeuvre est couplée avec la « Rock » Symphony d'Imants Kalnins, composition d'une certaine naïveté sans être complètement inintéressante. Disque BIS, CD-1052. Aussi à surveiller : BIS vient de rééditer, parmi les trente disques de sa « 30th Anniversary Edition », les Carmina Burana de Carl Orff, version de chambre pour percussions, pianos, solistes et choeur, avec l'ensemble Kroumata, un enregistrement de 1995 d'une grande qualité. (BIS-CD-300734).

McGill Percussion Ensemble

Un disque pour entendre Pierre Béluse, à qui Aldo Mazza fait beaucoup référence dans le portrait qu'il lui consacre en page 24. C'est le chef que l'on entend ici, et le compositeur dont l'ensemble interprète Complicité (1980), avec des oeuvres de Ginastera, Lanza et Budón. Percussion Music of the Americas, McGill, 7500 52-2.

Les Percussions de Strasbourg

On ne saurait évidemment compléter un tel échantillonnage sans parler de ce sextuor fondé en 1961. Pour donner une idée de leurs compétences, qu'il suffise de dire que les membres de l'ensemble interprétaient en 1967, avec la bénédiction du compositeur, Ionisation de Varèse, une pièce écrite pour... 13 percussionnistes ! Les différentes incarnations de l'ensemble peuvent être entendues sur plusieurs enregistrements, qui ont tous leurs qualités. Soyons un brin chauvin et retenons en deux : Gougeon-Lesage-Perron-Provost, d'abord, un disque UMMUS (UMM109) où l'ensemble, enregistré à Strasbourg, est en compagnie du Nouvel Ensemble Moderne dirigé par Lorraine Vaillancourt dans l'interprétation d'Un train pour l'enfer (1993), de Denis Gougeon. Un train à ne pas rater... Comme cet autre enregistrement, encore avec Lorraine Vaillancourt : Erewhon (1972-1976), pour six percussionnistes et 150 instruments, de Hugues Dufourt, que l'on a eu le privilège de voir interprétée à la Salle Claude-Champagne en 2000. Une véritable symphonie. Disque Accord, 465716-2.

Une curiosité

L'étiquette italienne Azzurra Music lançait en 2001 un disque étonnant du batteur Massimo Aiello : « Tribute to Beethoven – Drum in the Symphony no. 9 » (TBPJAB039). Il s'agit d'une interprétation de la Neuvième par le Camerata Cassovia sous la direction de Walter Attanasi, par-dessus laquelle Aiello a enregistré une partie de batterie ! Avec un solo au beau milieu de l'Ode à la joie ! Cela peut donner une idée des possibilités mélodiques de l'instrument, mais je crois que l'Histoire retiendra surtout la première version !


(c) La Scena Musicale 2002