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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 2

I Musici de Montréal a 20 ans

Par Guy Marceau / 10 octobre 2003


Un anniversaire dans la famille

L'an dernier, le violoncelliste et chef d'orchestre Yuli Turovsky fêtait ses 25 ans de vie artistique. Cette année c'est au tour de son bébé, l'ensemble I Musici de Montréal, de célébrer ses 20 ans. Cet ensemble a marqué l'histoire musicale montréalaise et a rayonné par son dynamisme au-delà de nos frontières. Si le temps a passé, Yuli Turovsky et ses « musici » sont restés fidèles au leitmotiv qui les a animés depuis le début : l'amour de la musique, toutes époques confondues, pour toucher un public des plus vastes. Et si la grande cohésion de l'ensemble est audible en concert ou sur disque, c'est dû en grande partie à la direction musclée et flexible de son chef et au caractère familial et convivial qu'il a su installer au sein de son ensemble.

Pour peu qu'on connaisse l'histoire de Yuli Turovsky, on peut mieux comprendre sa vision musicale et sa façon de transmettre à ses musiciens son art d'interprétation. Maître du violoncelle, il s'illustre dans sa Russie natale et, dans un contexte communiste rigoureux où les moyens financiers, tout comme l'espace vital, sont pour le moins limités, il doit composer avec toutes ces contraintes et tout de même parvenir à transcender la technique de son instrument. Son école : le travail. Le mot d'ordre : la persévérance. Sa passion : la musique. Même s'il réussit le tour de force de se démarquer de ses pairs, tel le virtuose que l'on sait, jamais il ne s'assiéra sur les lauriers de la gloire, qu'il ne cultive d'ailleurs pas. Il poursuivra toujours le but d'explorer le répertoire et de transmettre sa grande passion de la musique, par l'enseignement d'abord, puis en fondant en 1983 I Musici, cet orchestre à cordes, une phalange de 15 musiciens parmi les plus doués, issus des universités et conservatoires du Québec.

I Musici de l'intérieur

Parmi ces 15 musiciens, une petite poignée seulement figure au générique du tout début. Hormis le maestro, sa femme Eleonora, premier violon, et sa fille Natalya, violoniste, il y a le violoncelliste Alain Aubut, le contrebassiste d'origine italienne Costantino Greco et la violoniste Françoise Morin. « Nous étions tous très jeunes, autour de 25 ans, dans un esprit d'apprentissage très stimulant, mais pas encore des professionnels aguerris », note Françoise Morin, qui ne tarit pas d'éloges envers le maestro. « Je me souviens du premier été où tous les musiciens étaient invités pour une semaine au chalet des Turovsky à Saint-Donat. On ne faisait que nager, se baigner et pratiquer le répertoire. N'est-ce pas original comme contexte de répétitions ? Il y avait déjà au départ cette atmosphère familiale et conviviale. Pour moi, c'était un rêve et un honneur de travailler avec M. Turovsky, qui m'avait d'abord enseigné la musique de chambre à Vancouver en 1977. »

Pour sa part, Costantino Greco avait entendu Yuli Turovsky en concert en 1981 et avait été estomaqué par le jeu virtuose du violoncelliste. « Je l'avais contacté pour qu'il m'enseigne en privé, en oubliant de lui spécifier toutefois que je jouais de la contrebasse et non du violoncelle... C'est en octobre 1983 dans le Studio 13 de Radio-Canada, lors de l'enregistrement des Concerti grossi de Handel (réalisés par Pierre Rainville), qu'il m'a demandé de me joindre à son nouvel ensemble. Depuis ce jour-là, je fais partie de son orchestre, où j'ai édifié et pratiqué toute ma profession. Je suis prêt pour 20 autres années ! »

Un profil unique

Étrangement, c'est bien par un enregistrement et non par un concert que la carrière d'I Musici de Montréal a débuté. « On a travaillé très fort en prévision d'enregistrer des disques pour la compagnie Chandos, poursuit Françoise. Ça représentait des heures et des heures de pratique sans relâche, et on n'était pas payé alors pour les répétitions. Mais on avait déjà cette volonté de bien faire, de produire une bonne et belle musique, de faire quelque chose de nouveau. Donc, il y avait ce nouvel orchestre à cordes qui enregistrait trois disques pour Chandos, distribués à l'échelle internationale, avant même de se produire pour la première fois en concert ! Je crois que toute la communauté musicale classique a été surprise. Ce n'est pas comme ça qu'on procède habituellement ! »

En effet, l'ensemble I Musici de Montréal a démontré au fil des années qu'il n'allait jamais faire comme les autres, en se démarquant à plus d'un titre. D'abord par le vaste répertoire qui va de Bach, Vivaldi et Boccherini à Arvo Pärt ou Corigliano, couvrant toutes les époques de l'histoire de la musique (incluant le rock et le jazz) avec une nette préférence pour le répertoire russe, qu'il honore d'ailleurs. Et c'est sans compter les nombreuses créations d'oeuvres canadiennes ou étrangères. « L'éclectisme musical est la préoccupation principale de Yuli Turovsky, en plus de toujours chercher à traduire l'émotion contenue dans la musique, explique Françoise. Pour lui, la gloire est agréable mais secondaire. »

En plus de donner plus de 100 concerts par année, l'ensemble I Musici s'est aussi illustré en enregistrant en moyenne deux disques par année depuis ses débuts. En septembre dernier, les musiciens gravaient leur 43e disque sur étiquette Chandos avec la Symphonie nº 2 et la Chaconne pour violon et orchestre, tirée de la musique du film Le Violon rouge de John Corigliano, enregistrées en présence du compositeur. Par son dynamisme, I Musici a aussi récolté, au fil des ans, sa part de prix et de récompenses pour ses disques comme pour ses concerts. Ils se comptent par dizaines, dont un prix Félix en 1988 (formation classique de l'année), le prix Juno du « meilleur album classique » en 1997 (Ginastera, Villa-Lobos, Evangelista), ainsi que trois prestigieux prix Opus. I Musici de Montréal s'est aussi fait entendre lors de tournées au Canada, aux États-Unis et à deux reprises en Asie, où il fut le premier orchestre canadien à se produire en Chine, et à Hanoï, au Vietnam. Par ailleurs, I Musici a même gravé deux cédéroms ludo-éducatifs pour initier le jeune public à la musique classique. Avec autant de faits d'armes en 20 ans, il y aurait de quoi pavoiser mais, de l'avis des musiciens, une chose demeure : rien de tout cela ne serait possible sans le travail acharné, la grande passion commune pour la musique et cet esprit de famille qui soude tous ses membres.

D'ailleurs, depuis 1997, l'effectif d'I Musici était resté inchangé, mais en 2002, l'ensemble a accueilli une nouvelle recrue : la violoniste Gisèle Böll, diplômée de McGill. « J'ai toujours voulu faire partie d'un orchestre de chambre, plutôt que d'un orchestre symphonique, pour son caractère intimiste, mais aussi parce que le rôle de chacun est beaucoup plus significatif et intense. On se sent vraiment une partie importante d'un tout. I Musici est comme une grande famille où tous les membres sont là depuis assez longtemps. Leur identité sonore est bien établie, et tous les jours, c'est un défi pour moi de m'adapter à cette identité, d'amalgamer mon jeu et mon son au leur, et en cela, c'est très formateur ! »

Un fait touchant mérite d'être mentionné. Françoise Morin m'apprend qu'I Musici a une tradition nommée I Bambini ! « Chaque fois qu'il y a une nouvelle naissance au sein des membres de l'ensemble, explique-t-elle, on lui offre un cheval de bois à bascule, fait par un artisan, et tous les membres de l'orchestre signent en lettres d'or. Pour le dernier venu, Julien, le fils de Gisèle, on s'est aperçu que l'artisan ne les faisait plus. Alors Costantino Greco, qui est aussi un menuisier très habile, a construit lui-même le cheval à bascule. On le lui a offert avec ces mots : « Maintenant, Gisèle, tu fais partie de la famille. » Spécifions, avec autant de coeur, une « grande » famille.

Après le concert « tout Mozart » du 21 octobre au profit des oeuvres du Cardinal Léger à la PdA, I Musici donnera, le 23 octobre à 20 h, à la Salle Pollack de l'Université McGill, un concert anniversaire pour souligner ses 20 ans dans un programme entièrement consacré à Dimitri Chostakovitch : la Symphonie de chambre en do mineur, opus 110a (arr. R. Barshai), la Symphonie de chambre opus 49a, (arr. Y. Turovsky), des extraits des Préludes, opus 34 (arr. M. Messier) et le célèbre Premier concerto pour violoncelle et orchestre en mi bémol majeur, opus 107, interprété par Yuli Turovsky. Info : (514) 982-6038.

Célébrez avec nous les 20 ans de l'ensemble I Musici !

La Chaîne culturelle de Radio-Canada est heureuse de souligner le 20e anniversaire de l'ensemble I Musici de Montréal en présentant, en direct de la salle Pollack de l'Université McGill le 23 octobre prochain à 20 heures, l'ensemble I Musici sous la direction de Yuli Turovsky. Un concert composé uniquement de pièces de Chostakovitch, dont le Premier Concerto pour violoncelle en mi bémol majeur, avec M. Turovsky en tant que soliste.

Animation : Françoise Davoine

Réalisation : Richard Lavallée et Odile Magnan


(c) La Scena Musicale 2002