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La Scena Musicale - Vol. 8, No. 3

Parcours choral

Par Wah Keung Chan / 2 novembre 2002

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Choeur Saint-Laurent, photo : Russell Proulx

Tout autour du monde, les choristes ont l'instinct et le besoin de chanter. Partager ce désir avec d'autres qui ressentent la même chose est une des sensations les plus gratifiantes qui soit. J'ai eu la chance de chanter la Neuvième de Beethoven au sein du Chœur de l'Orchestre symphonique de Montréal lors du concert du dimanche 22 septembre. Emporté par la finale extatique, j'ai retrouvé ainsi mes racines musicales. Voici mon histoire.

D'amateur enthousiaste à aspirant soliste

Ma carrière en tant que choriste a débuté alors que j'avais 19 ans, lors de ma deuxième année à la Faculté d'ingénierie de l'Université McGill. L'excellent slogan d'une affiche manuscrite du club de la chorale de McGill a attiré mon attention : « Chantez-vous sous la douche ? » Tout le monde peut chanter et il n'était que naturel pour moi de chercher à m'exprimer en chantant. Étant donné que je n'avais jamais chanté dans une chorale auparavant, le fait de pouvoir participer sans avoir à passer d'audition était le commencement parfait. La directrice, Mary-Jane Puiu, en qui s'alliaient voix autoritaire et personnalité chaleureuse, a fait de mes mercredis soir une digression fort amusante de mes études. Parallèlement, le club de la chorale de McGill est devenu le plus gros club de l'université, avec quelque 200 étudiants qui ont vécu l'alliance des expériences artistique, physique et sociale du chant en chœur.

Pendant les 10 années suivantes, j'ai chanté dans plusieurs chorales. J'ai eu la chance d'interpréter la majeure partie du répertoire de base – pendant les huit premières années en tant que baryton et, par la suite, en tant que ténor. Tout au long de ce périple, j'ai eu le plaisir de chanter pour Charles Dutoit, Kurt Masur, Neemi Jarvi et Robert Shaw. Parmi les grands moments de la chorale, on peut noter l'interprétation des Troyens (récompensé d'un Grammy) lors d'un concert de l'OSM, le Messie, le Requiem de Mozart, le Jeanne d'Arc au bûcher d'Honegger (qui aurait dû être enregistré) et Nänie de Brahms.

En 1990, j'ai d'ailleurs chanté cette dernière œuvre avec le Chœur de l'Université du Michigan (qui est principalement composé d'excellents chanteurs. C'était, jusqu'à ce moment, la meilleure chorale avec laquelle j'aie chanté). Le chef de chœur Jerry Blackstone a fait preuve de beaucoup d'enthousiasme pour le texte et l'expérience a été mémorable. Lorsque j'ai arrêté de chanter dans des chorales, je me suis promis d'y retourner la prochaine fois que Nänie serait chanté.

Au milieu des années 1990, donc, j'ai délaissé le chant choral pour me consacrer à ma formation d'aspirant chanteur d'opéra. Bien évidemment, la technique de chant d'un chanteur soliste est différente de celle d'un choriste. Dans une chorale, il faut tendre vers l'homogénéité parfaite de l'ensemble, de manière à ce qu'aucune voix ne ressorte. Au contraire, le soliste doit être entendu au-dessus du chœur et de l'orchestre. La plupart des chanteurs solistes ont développé leurs formants propres, qui sont de hautes fréquences renforcées par un résonateur (le chanteur en l'occurrence) et qui se situent entre 2 kHz et 4 kHz; cet aspect de la voix d'un choriste amateur n'est habituellement pas développé.

Le retour au travail de groupe

À l'annonce de l'OSM d'inclure dans premier concert de la saison la Neuvième de Beethoven et Nänie de Brahms, j'ai arrangé mon retour afin de participer au concert. Iwan Edwards, le chef de chœur de l'OSM, m'a accordé la permission de chanter pour le concert au sein du Chœur St-Laurent (CSL), le chœur amateur attaché à celui de l'OSM, un ensemble de 92 voix, fort prisé par la critique. Celui de l'OSM est composé de 50 chanteurs professionnels (tous membres de l'Union des Artistes).

On s'attend à ce que les choristes de l'OSM qui se présentent aux répétitions aient déjà préparé le répertoire. Edwards a insisté là-dessus à la première rencontre avec eux. Comme les membres du CSL proviennent de tous les milieux (étudiants et avocats se côtoient sur la scène), Edwards planifie des répétitions supplémentaires pour mieux préparer ces amateurs. À ce niveau d'interprétation, les membres du CSL doivent essayer d'apprendre le répertoire par eux-mêmes. Malgré le fait que je n'avais pas chanté dans une chorale depuis sept ans, j'ai pu me rattraper assez aisément.

Le 6 septembre, j'ai assisté à ma première répétition en 7 ans avec le CSL. Cette première répétition s'est bien passée. Les choristes ont tous une capacité différente de lecture à vue, soit l'habileté de lire adéquatement la partition et d'ainsi chanter les bonnes notes. Certains chanteurs ont l'oreille absolue, alors que d'autres pourraient développer des aptitudes similaires par la formation auditive et le solfège. Certains passages du Brahms comportaient des modulations difficiles à suivre. Dans ce cas, un crayon bien aiguisé est le meilleur outil pour souligner les passages à pratiquer à la maison. Mon principal atout comme choriste est mon habileté à toujours suivre le chef. Traditionnellement, un chœur est divisé en quatre parties : soprano, alto, ténor, basse (SATB). Les sopranos ont généralement la tâche la plus aisée : chanter la mélodie. Ayant chanté avec les basses, je me suis toujours senti plus à l'aise à chanter cette ligne (sur laquelle s'appuie généralement la tonalité) que celle des ténors. Les voix du milieu, celles de l'alto et du ténor, ont pour importante fonction de remplir l'harmonie. Cependant, la mélodie de ces lignes est souvent moins intéressante et plus difficile à chanter.

Le programme du concert du 22 septembre était composé de la Neuvième de Beethoven, de Nänie et de Gesang der Parzen de Brahms. Je n'avais jamais chanté cette dernière œuvre. Pendant les premières répétitions, Edwards s'est concentré sur les Brahms, étant donné que la majorité des chanteurs avaient déjà chanté la Neuvième à plusieurs occasions. (C'est une œuvre que j'adore écouter, mais pas nécessairement chanter : la partie des ténors est banale et écrite dans le registre supérieur de la tessiture normale.)

Dès la troisième répétition, le charme du second Brahms commençait à produire son effet sur moi. À partir de ce moment-là, les répétitions se sont tenues dans les studios de répétition de la Place des Arts. La première de ces répétitions ne servait qu'à la mise en place du chœur avec les professionnels ; malgré cela, la majorité d'entre eux se sont présentés. La disposition du chœur nous a donc été donnée. À ma droite, il y avait Jean-Guy Comeau, un professsionnel qui enseigne aussi la musique à l'école FACE. À ma gauche, Francesco Campelli, un chanteur à la belle voix solide et qui chante dans des chorales depuis sa jeunesse. Ils ont tous les deux fait preuve de professionnalisme et d'enthousiasme.

« Un des bons moments des répétitions de chœur est la pause, pendant laquelle les chanteurs en profitent pour renouer de vielles amitiés », de dire Russell Proulx, un des basses du CSL. Selon les règles de l'Union, la chorale a droit à une pause de 10 minutes par heure de répétition. Pour une répétition de 3 heures, Edwards a choisi de donner une pause de 15 minutes et de terminer 15 minutes plus tôt.

Le secret d'une bonne chorale

Iwan Edwards en répétition, Photo : Russell Proulx
L'homogénéité de l'ensemble fait une bonne chorale. Selon Edwards, « le secret est de faire en sorte que 142 personnes chantent la même voyelle ». Un des membres de la chorale fait la lecture du texte en allemand pour donner la bonne prononciation. Et les nuances ? Une des règles de base en chant choral est d'être à l'écoute de la personne à côté de soi. S'il est possible de l'entendre, la nuance est bonne. Acoustiquement, on s'entend chanter et parler par la vibration des os du crâne et par le retour des basses fréquences dans l'oreille. Cela veut dire que la perception de sa propre voix est différente de celle qu'en a une autre personne. En conséquence, si on s'entend chanter trop clairement, la voix est sûrement forcée, ce qui diminue la qualité du son.

Ce qui distingue une bonne chorale est l'attention qu'elle porte aux détails et le souci de créer un son homogène. Il faut que les voyelles soient prononcéers uniformément, que les nuances soient respectées, que les attaques soient précises et placées ensemble et que les consonnes soient pronocées clairement et en même temps. Le public entendra les « t » et les « s » finaux. « Les "t" doivent être placés sur le temps qui commence la prochaine note », fut une des directives d'Edwards. Une fois ce travail effectué, Edwards nous a fait travailler les émotions et les couleurs à faire ressortir du texte et de la musique. Le chef de chœur doit faire en sorte que la chorale réponde aux exigences du chef d'orchestre et de l'œuvre.

La qualité du son de la chorale dépend en grande partie de la sélection des membres du chœur au moment de l'audition, et Edwards a réuni un excellent groupe. Être baigné par le son de 142 voix dans un local de répétition est une expérience fort stimulante. Il y avait plusieurs nouveaux visages dans le chœur de l'OSM pour ce concert. J'ai constaté qu'en septembre, il y avait trois différents spectacles avec chœur en préparation. Les choristes professionnels ont dû choisir entre le chœur de L'Opéra de Montréal, qui a produit Madama Butterfly, les Grands Ballets Canadiens et le Studio de musique ancienne pour une production conjointe des Noces, et les trois concerts de l'OSM : le Brahms-Beethoven, Daphnis et Chloé de Ravel et La Damnation de Faust de Berlioz. Ces deux derniers ont par ailleurs été présentés à Carnegie Hall à la fin d'octobre. Pour la plupart des choristes, ça signifie cinq jours de répétitions par semaine.

Pendant sa collaboration de 17 ans avec Charels Dutoit, Edwards a préparé la chorale de façon à ce qu'elle puisse affronter n'importe quelle situation. Les choristes habitués à une direction claire et précise ont été déroutés par la façon de diriger de Dutoit. Ses temps forts ressemblaient à des temps faibles. C'est peut-être ce qui a fait que l'orchestre jouait si haut. Edwards insistait sur le fait de prendre un tempo rapide pour Gesang der Parzen. « Brahms, bien qu'il n'ait jamais écrit d'opéra, s'en approchait dans sa musique vocale », nous a dit Edwards, dans le but de nous inciter à exprimer davantage d'émotion.

Dans la paume du maître

Cinq jours avant le concert, le maestro Gilbert Levine est arrivé pour la première répétition avec chef d'orchestre et chœur. Edwards y a assisté en observateur. À la pause, les choristes grognaient à cause des tempos lents choisis par Levine, lesquels me semblaient donner un certain sens dramatique à la musique. Par contre, son habitude de garder les yeux rivés sur la partition en a désarçonné plus d'un.

À la répétition suivante, Edwards a travaillé selon les tempos et nuances de Levine. Comme nous avions travaillé à un tempo plus rapide, il nous a été plus facile de travailler à tempo lent que si nous avions eu à faire l'inverse. Malgré cela, certaines longues phrases exigèrent que les choristes se répartissent des moments pour respirer afin de garder un son continu. Edwards croyait que Levine aurait pu insister un plus sur le sens du texte et a expliqué : « Le sujet de Gesang der Parzen est le pouvoir des dieux, tandis que celui de Nänie est le chagrin de ceux-ci. »

(Il est possible qu'Edwards cache un peu de tristesse lui-même. Quelques semaines plus tard, avant que la chorale ne parte pour Carnegie Hall, il annonce sa démission comme chef de chœur de l'OSM à la fin de la saison pour se consacrer à d'autres projets. On ignore encore quel en sera l'effet sur le chœur.)

La première répétition avec orchestre a eu lieu un vendredi soir. C'était merveilleux d'avoir l'orchestre sur la scène. Le son était magnifique, sauf qu'on entendait très peu les solistes, qui faisaient face au public, et on pouvait voir toute l'attitude théâtrale du chef d'orchestre. Il n'est pas surprenant que l'architecte Russell Johnson ait placé des sièges derrière l'orchestre. Levine a commencé par le Brahms et, après la pause, nous avons rencontré les solistes du Beethoven pour la première fois. L'OSM avait assemblé un très bon quatuor de solistes. Pamela Coburn avait une voix puissante que Levine a tenu en laisse lors d'un passage pianissimo dans l'aigu.

La répétition générale a eu lieu le matin du jour du concert. Afin de laisser partir choristes et solistes plus tôt, la finale de la Neuvième a été répétée après les Brahms et avant les parties uniquement instrumentales. Étonnamment, Levine a fait répéter une transition dans la finale avec les premiers violons.

L'art et le moment de vérité

Le premier concert est habituellement présenté à guichet fermé. Russell Proulx s'amuse à regarder le public, surtout lorsque la salle est pleine. Il trouve que certains soirs, il y a beaucoup de sièges libres et qu'on peut même remarquer la différence d'année en année. Évidemment, nous étions nerveux. Les choristes, tout comme les musiciens, sont les premiers à être conscients de ce qu'ils ont fait et à en être critiques. En effet, il est difficile d'atteindre la perfection. Heureusement, un concert ne dépend pas de chaque individu, en autant qu'aucun ne se décide à improviser un solo.

J'aimerais pouvoir dire que le concert a été un succès complètement satisfaisant. Malgré que les pièces de Brahms aient été jouées et chantées rondement, la finale de Der Sangen der Parzen a manqué d'impact à cause d'une indication floue de Levine. Par contre, la Neuvième , avec sa fin exubérante, ne pouvait que plaire au public. Artistiquement, les tempos lents de Levine, principalement dans le troisième mouvement de la Neuvième, faisaient perdre un peu de sens aux lignes. Il est aussi resté complètement rivé à sa partition, au détriment de l'intimité avec les musiciens. Il n'empêche que j'ai quitté le concert satisfait d'avoir donné le meilleur de moi-même, d'avoir appris une nouvelle œuvre et d'avoir rencontré de nouvelles personnes.

Et le public ? A-t-il apprécié ? Après avoir chanté les dernières notes, nous avons attendu, dans un moment de suspens, et les applaudissements ont commencé. Ils se se sont transformés en une véritable ovation qui a rempli la salle au grand complet. Nous tous – le public, le maestro, l'orchestre et le chœur – étions, l'espace d'un instant, unis dans une célébration de la musique, notre hymne dédié à la joie.

[Traduction de Christian Haché]


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(c) La Scena Musicale 2002