Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 7, No. 8

Editorial : L'affaire Dutoit

Par Wah Keung Chan / 1 mai 2002

English Version...


L'ère de Charles Dutoit à la direction artistique de l'Orchestre symphonique de Montréal est donc terminée. La plupart des lecteurs auront entendu que Dutoit s'était comporté en tyran, qu'il avait fait parvenir à deux musiciens des lettres disant qu'il désirait discuter de leur rendement (mi-mars), que tous les musiciens de l'OSM avaient été outrés et avaient voté à une forte majorité pour donner à leur syndicat « toute la latitude nécessaire » pour rectifier la situation (le 27 mars), que la Guilde des musiciens a rendu publiques des accusations de harcèlement et une menace de poursuite (le 8 avril), que Dutoit a soudain remis sa démission (le 10 avril) et enfin que les musiciens se sont abstenus de souhaiter son retour pour sa 25e saison (le 17 avril). Quelque parti que l'on prenne dans cette crise, elle n'aurait pu survenir à pire moment pour l'orchestre. L'OSM venait d'annoncer une 25e saison truffée de vedettes et dirigée par Dutoit (le 26 mars). Le conflit aurait pu être évité si les parties avaient été animées du seul désir de produire de la grande musique. Au lieu de quoi les humeurs ont pris le dessus.

Nous avons pu reconstituer, à partir des nombreux éléments rendus publics et de notre propre enquête, les événements qui ont mené à l'éclatement de l'affaire Dutoit, et il est devenu assez clair que l'une des principales causes est une disposition de la convention collective, signée en 1998. Alan Conter a été le premier à rapporter, dans le Globe and Mail du 13 avril 2002, que la source du problème était l'article 12.05, paragraphe c), lequel stipule que, lorsque le maestro amorce un processus de congédiement, ledit congédiement peut être rejeté seulement par au moins 75 % des membres du comité de révision -- ce qui signifie que seulement 25 % des voix sont nécessaires pour renvoyer un musicien. Le comité de révision est normalement composé du comité des auditions ou de la permanence, sans la participation du maestro. La Scena Musicale a appris que les modalités de l'article 12.05 c) ont existé sous diverses formes depuis 1987 ou avant. D'après nos sources, le maestro avait besoin auparavant d'au moins 50 % des voix pour obtenir gain de cause. À ce moment, l'article devait être modifié de manière à ce que 75 % des voix soient requises pour approuver un renvoi, de manière à accorder une plus grande sécurité d'emploi aux musiciens. Or, une coquille ou une erreur quelconque aurait fait en sorte que cette exigence a été modifiée à 25 %. Personne ne s'étant rendu compte de l'erreur, cette bombe à retardement a été reconduite de convention en convention. En fait, affirme Mme Marie-Josée Desrochers, directrice des communications de l'OSM, dans la présente ronde de négociation, l'article 12.05 c) figurait parmi les conditions que le syndicat désirait voir reconduites sans modification. Selon Laura Brownell, directrice de la division des services symphoniques à la section canadienne de l'American Federation of Musicians, « dans les autres grands orchestres canadiens, il faut au moins une majorité des voix pour congédier un musicien, et les orchestres de Toronto et Vancouver exigent 9 voix sur 13 ».

D'après Mme Desrochers, Dutoit ne faisait que suivre les règles de la convention collective lorsqu'il a convié les deux musiciens à une rencontre pour discuter de leur travail, première étape d'un processus pouvant mener au congédiement. La Scena Musicale a pu savoir que c'était la première fois que Dutoit amorçait une telle procédure depuis qu'un musicien avait été renvoyé vers 1980. N'ayant jamais eu à se référer à l'article 12.05 c) avant le mois dernier, les musiciens de l'OSM en ont appris la teneur avec stupéfaction. Il est donc compréhensible qu'ils aient eu l'impression que Dutoit tentait de les harceler, d'un point de vue personnel et qu'ils aient demandé par conséquent à leur syndicat de sauver les emplois de leurs deux collègues. Le président de la Guilde, Émile Subirana (également président pendant 1982-1991) doit avoir compris que, vu le texte de la convention, il n'aurait pu tenter rien pour sauver les postes des musiciens si Dutoit devait les congédier. Il a donc choisi de jouer la carte du harcèlement en menaçant de recourir aux tribunaux. De toute évidence, la décision de rendre publique la menace d'une poursuite était un stratagème visant à déshonorer Dutoit et à le forcer à présenter sa démission, détournant ainsi l'attention de la Guilde concernant l'article 12.05 c).

Que faire maintenant ?

La direction doit jouer un rôle plus actif pour améliorer le dialogue, de manière à ce que toutes les parties de l'OSM (directeur artistique, musiciens, administrateurs et conseil) travaillent plus harmonieusement ensemble. Pour éviter les conflits potentiels, les points litige devront être résolus. Par exemple :

  • redonner aux musiciens une sécurité face aux procédures de congédiement, comme on en trouve dans les autres grands orchestres du Canada ;
  • faire en sorte que les articles concernant les tournées soient conformes aux normes en vigueur dans d'autres orchestres de calibre international, ce qui signifierait que des répétitions des œuvres pourraient avoir lieu les jours de déplacement.

Dans une entrevue accordée à La Scena Musicale en septembre 2000, Charles Dutoit affirmait : « Pour justifier notre position dans le monde de la musique, nous devons faire la preuve que notre qualité demeure entière. Il est long et ardu de bâtir l'excellence, mais il faut peu de temps pour la détruire. » Qui qu'il soit, le nouveau directeur artistique de l'OSM fera face à d'énormes défis. Souhaitons que tous les éléments de l'orchestre uniront leurs efforts pour maintenir la qualité de la musique.

Visitez <http://dutoit.scena.org>, pour suivre toute l'affaire Dutoit.

[Traduction : Alain Cavenne]


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002