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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 7

Techniques d'enregistrement historique

Par Geoff Martin / 1 avril 2002

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De bien des façons, nous sommes retombés dans la même controverse qu'il y a 100 ans.

Comme nous l'avons vu dans les articles précédents, nous ignorons encore quel format d'enregistrement gagnera la faveur (et les oreilles) des consommateurs. L'audio DVD et le SACD cherchent tous les deux à conquérir le marché et il n'apparaît pas clairement lequel l'emportera. Curieusement, de bien des façons, nous sommes retombés dans la même controverse qu'il y a 100 ans.

Au milieu des années 1800, les inventeurs s'en donnaient à coeur joie. L'un d'eux habitait la Nouvelle-Écosse et s'appelait Alexandre Graham Bell. Une des inventions auxquelles il a contribué, en attendant celle du téléphone, était un appareil capable d'enregistrer et de reproduire le son. En 1877, Thomas Edison construisit le premier appareil à pouvoir le faire. À l'origine, il consistait en une languette (feuille) de papier ciré en guise de support d'enregistrement et d'une aiguille fixée à une membrane de téléphone servant à la fois de microphone et de haut-parleur, selon qu'on s'en servait pour enregistrer ou pour écouter. Plus tard cette année-là, l'appareil a été amélioré par le remplacement du papier par un cylindre recouvert de papier d'aluminium. Ainsi naissait le phonographe.

Près de 10 ans plus tard, (et après quelques batailles juridiques épiques pour établir la propriété du brevet du phonographe) un Allemand du nom d'Émile Berliner immigré aux États Unis conçoit un système légèrement différent. Il a l'idée d'utiliser un disque plat et circulaire à la place du cylindre. Cette méthode a l'avantage de permettre la gravure des disques l'un après l'autre par l'utilistion des plaques métalliques pressées dans du caoutchouc durci. C'est ce qui rendit possible une production de masse, impensable pour la machine à cylindre, pourtant de meilleure qualité.

En 1900, Berliner déménage son entreprise de Philadelphie à Montréal. Le caoutchouc contenu dans les disques qu'il pressait est remplacé par de la gomme-laque. Il demeure encore dans la course des formats, face aux cylindres de haute qualité fabriqués aux États-Unis. Le plus gros fabricant de cylindres générait l'essentiel de ses revenus en louant ses appareils à des foires où l'on s'en servait comme boîtes à musique. Le marché de masse est sur le point de naître.

Entretemps, la compagnie Berliner prenait deux bonnes décisions de marketing qui ont changé l'histoire de l'enregistrement musical. Les premiers disques avaient 7 pouces de diamètre et offraient une durée de jeu de 2 minutes -- trop peu pour amener la musique dans les foyers. De plus, ils étaient bruyants et reproduisaient assez mal les hautes et les basses fréquences. Heureusement, ces problèmes pouvaient être compensés par un choix approprié de programmes. Sachant que la voix humaine produit essentiellement des fréquences moyennes et que les chanteurs d'opéra ont l'habitude d'enterrer le bruit (celui de l'auditoire, des orchestres et des autres chanteurs d'opéra), la jeune compagnie de gramophone se tourne du côté de l'Italie pour y trouver des chanteurs d'opéra.

Comme on le mentionne ailleurs dans ce numéro de La Scena (page 18), Fred Gainsberg, un employé de Berliner, recrute un jeune inconnu du nom d'Enrico Caruso pour une session d'enregistrement à Milan. Le répertoire de qualité rend alors le disque de gomme-laque intéressant. Puis, le format des disques passe à 10 pouces, doublant ainsi la durée de jeu à 4 minutes : l'étiquette Victor « Gold Seal » voyait le jour.

Le procédé fait aussitôt sensation. Toutefois, il ne convient pas aussi bien à tous les artistes. Les voix de soprano semblent grêles et métalliques lorsque privées de leurs harmoniques. Les basses paraissent faibles et désincarnées sans leurs graves. Les chanteurs dramatiques doivent abandonner leur emploi de la couleur, du registre dynamique, de l'expressivité. Au point culminant d'une ligne mélodique, ils doivent s'éloigner du cornet acoustique pour éviter un « choc », technique que les chanteurs de jazz et de pop utilisent encore aujourd'hui. Les airs d'opéra sont souvent enregistrés à une allure beaucoup plus rapide que sur scène, afin de ne pas dépasser les quatre minutes.

Bien sûr, en 1902, une session d'enregistrement était bien autre chose qu'elle l'est aujourd'hui. Maintenant, un siècle plus tard, les ingénieurs du son prennent un certain temps à disposer microphones et musiciens, dans le but d'assurer une prise de son dont le timbre, la perspective, l'amplitude, la cohérence et la profondeur soient les meilleurs possibles. Les consoles sont disposées dans une pièce connexe afin de limiter à un strict minimum de gens l'accès à la zone des microphones. Tout ceci vise à réduire les sons parasites tout en apportant un certain confort aux personnes impliquées. (Pour vous donner une idée de la sensibilité des équipements d'aujourd'hui, j'ai eu un jour à interrompre une session pour retrouver et éliminer le bruit d'une mouche en train de bourdonner sur le plancher d'une église où l'on enregistrait.)

En 1902, certaines considérations techniques dictaient la configuration de la prise de son. Il faut se rappeler que le son est en fait un très faible mouvement de particules d'air. Dans le cas du phonographe, chaque petit mouvement se traduit par un mouvement plus grand de l'aiguille dans un sillon sur un disque en rotation. Alors qu'aujourd'hui nous utilisons l'électronique pour renforcer le signal qui fait vibrer les membranes du microphone, il y a 100 ans, on utilisait un cornet. Il servait d'entonnoir à l'onde sonore. Même si le mouvement des particules d'air à l'entrée du cornet est faible, les particules sont nombreuses à effectuer le même mouvement. Cette énergie est canalisée vers le fond d'un cornet dont le diamètre décroît jusqu'à se terminer dans une membrane mobile à laquelle est fixée une aiguille. Le faible mouvement d'un grand nombre de particules à l'entrée du cornet se traduit ainsi par un fort mouvement d'un petit nombre de particules (et par conséquent de la membrane) à l'autre bout.

Cet entonnoir, que les techniciens connaissent sous le nom de « dispositif d'adaptation d'impédance » fait correspondre l'impédance acoustique de la membrane avec celle de l'air de la pièce, processus qui rend le transfert de puissance plus efficace. Ce système-là n'était pas très efficace car il fallait enregistrer tous les instruments à forte sonorité et les chanteurs en les plaçant le plus près possible du cornet. Alors qu'aujourd'hui on peut placer les musiciens n'importe où autour des microphones -- et même au bout opposé de la salle de concert pour obtenir certains effets. (Voir la photo d'un arrangement typique, au <www.npr.org/programs/lnfsound/gallery/edison/4.html>)

Le disque a peu à peu fini par l'emporter malgré sa qualité inférieure par rapport au cylindre. Les gens ne voulaient pas avoir deux systèmes chez eux. Les disques étaient plus faciles à ranger, le catalogue, populaire et les appareils, incorporés à de beaux meubles. Le nouveau Victrola était un élément supplémentaire apprécié dans un décor moderne.

Pour en apprendre davantage, visitez le Musée des ondes Émile-Berliner, situé dans l'ancienne fabrique Berline, au 1050, rue Lacasse, local C-220, près du métro Place-Saint-Henri à Montréal. Tél. : (514) 932-9663 Site Internet :

Il y a aussi le site Internet de la BBC « The Story of Vinyl » (L'histoire du vinyle) au <http://www.bbc.co.uk/music/features/vinyl>.

[Traduction d'Alexandre Lebedeff]

 


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(c) La Scena Musicale 2002