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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 5

Richard Margison - en mouvement

Par Wah Keung Chan / 1 février 2002

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La route qui mène au Metropolitan Opera peut emprunter de nombreux détours, comme le sait le ténor canadien Richard Margison. À l’âge de 47 ans, Margison est maintenant le ténor favori dans le répertoire lirico spinto. Les clés de son succès ont été une évolution prudemment calibrée et une volonté farouche de réussir, motivation essentielle à tout jeune musicien.

Adopté à l’âge d’une semaine par une famille de musiciens (une exigence de sa mère naturelle), Margison attribue à la tradition chorale du Canada son éveil précoce à la musique. Son père a été altiste à la Victoria Symphony et sa mère enseigne le piano. Rebelle dans sa jeunesse, il a chanté du folk et du rock et joué de la guitare pendant une dizaine d’années dans des clubs enfumés. À l’âge de 22 ans, il commence ses études avec Selena James à l’Université de Victoria. Elle lui fait comprendre qu’il doit choisir entre la musique populaire et l’opéra.

Richard Margison « Son premier professeur, madame Kyle, lui avait déjà bien appris les bases de la respiration, dit Selena James. J’ai perçu une brillance dans sa voix qui, cultivée, pouvait produire un chanteur d’opéra. » L’idée ne fit pas l’unanimité au début. Après un an d’études en musique, Margison a passé une audition en vue d’être admis au programme d’interprétation en chant, mais il a été refusé par le jury. « Ce fut certainement une déception, reconnaît Margison, mais cela m’a donné la volonté de faire mes preuves et de me dépasser, de faire carrière. Je faisais de la musique pop, et les gens ne pouvaient entendre le potentiel du chanteur d’opéra. Ils me voyaient comme un chanteur de folk. Heureusement, Selena croyait beaucoup en moi. » Peu après, Selena James devenait professeur au Victoria Conservatory of Music et Margison poursuivit ses études en chant avec elle, à ce conservatoire.

Reconnaître un grand ténor

Qu’est-ce que madame James a vu dans Margison.? « Richard avait le torse large, il avait un bon contrôle de sa langue et il possédait une belle colorature, ce que j’ai encouragé, dit-elle. Il est très poétique, il apprend les langues rapidement et il a un talent naturel pour la comédie. Son oreille est incroyable, il est un imitateur extraordinaire. Un jour, un de mes étudiants japonais m’a appelée. C’est après deux minutes de conversation que j’ai enfin réalisé que j’avais Richard au bout du fil. »

En écoutant Margison lancer des contre-do, on s’étonne d’apprendre qu’il chantait comme baryton avant de travailler avec madame James. « À cette époque, les notes aiguës me faisaient peur, avoue-t-il. Selena avait déjà tout compris, des années avant que je décide de devenir ténor. »

« Nous avons travaillé tous les jours à changer ma technique vocale et à me donner l’énergie nécessaire pour maintenir ma voix durant un opéra de trois ou quatre heures. Je crois que j’en ai appris plus au sujet des fameux contre-do en découvrant le registre grave de ma voix et en créant alors une ligne du plus grave au plus aigu. Très tôt, Selena m’a enseigné à m’appuyer sur le diaphragme, à ne pas pousser le chant, mais à le faire chevaucher sur une colonne d’air tenue par le diaphragme, en utilisant les extrémités. Au lieu de chanter sans épaisseur de la poitrine, j’utilise une plus grande partie du corps — le bas du corps — et nous nous concentrons sur l’extension du dos. Cela aide énormément à chanter les notes plus aiguës. »

Combien de temps lui a-t-il fallu pour maîtriser sa voix? « Ma voix s’est développée sur une période de 8 à 10 ans. C’est un apprentissage continu. On n’obtient jamais la performance parfaite. Tous les chanteurs le savent, il y a un passaggio à négocier. On apprend par tâtonnement. Les professeurs nous donnent des conseils, mais, à la fin, c’est le chanteur qui doit atteindre le résultat — en apprenant de ses erreurs et de ce qui fonctionne le mieux pour lui. »

Après le programme de trois ans du Conservatoire, Margison a fait une tournée dans l’Ouest canadien avec le Canada Opera Piccola, la compagnie de chambre de Léopold Simoneau et de Pierrette Alarie. Il a chanté dans le chœur et il a tenu des rôles secondaires à l’Edmonton Opera. Sur une période de trois ans et demi, Margison estime avoir donné plus de 2000 spectacles dans les écoles!

« C’était essoufflant, admet-il, mais en même temps, cela m’a permis de faire le pont entre l’institution d’enseignement et la scène professionnelle. Les gens hésitent à vous accorder une certaine crédibilité et à vous engager si vous n’avez pas d’expérience. Ce fut une période de découverte où j’ai appris à établir mon rythme. Il n’y a rien de mal à chanter tous les jours, à condition de faire attention. Grâce à une expérience pareille, on en apprend long sur sa technique, parce qu’il faut constamment se remémorer ce que le professeur a dit. Puis, soudain, on comprend quelque chose qu’on ne comprenait pas en studio. »

Chanter au Met

« J’ai toujours rêvé de chanter au Met, mais c’est en 1985, alors que je tenais mon premier rôle professionnel, Lenski dans Eugène Onéguine à Vancouver, que j’ai compris que je pouvais chanter des rôles majeurs au Canada. Le passage au lirico spinto fut une autre étape importante. Beaucoup de gens vous casent dans du Mozart à l’opéra, et ce n’est pas nécessairement ce qui peut arriver de mieux. Il faut une voix particulière pour chanter Mozart. Pour de nombreux jeunes chanteurs qui ont une voix plus forte au départ, il est difficile de chanter certains de ces rôles et ce n’est pas avant d’avoir progressé jusqu’à certaines choses plus exigeantes que l’on peut savoir où sa voix est le plus à l’aise. »

La véritable percée de Margison vint lorsqu’il passa avec succès l’audition de l’English National Opera en 1988. « Je détestais les auditions, mais après les éloges de la magnifique production londonienne du Ballo in Maschera de Verdi en 1989, j’ai commencé à recevoir des offres d’un peu partout dans le monde pour chanter le répertoire italien et jamais je n’ai dû en passer une autre. » Depuis, Margison a chanté la plupart des rôles de Verdi et certains de Puccini dans des grandes maisons d’opéra à New York, de San Francisco et de Vienne. Il est actuellement en négociations avec La Scala. « Otello est l’un de mes derniers rôles de Verdi, et je le ferai pour la première fois en Australie en 2003. »

Depuis trois ou quatre ans, Margison songe à aborder le répertoire allemand. Il a déjà chanté Bacchus dans l’Ariadne auf Naxos de Richard Strauss et Florestan dans le Fidelio de Beethoven. « James Levine pense que je devrais travailler davantage le répertoire allemand. C’est une évolution naturelle. Certains rôles du répertoire wagnérien sont semblables, je crois, au Verdi que je chante. Meistersinger et Lohengrin seraient l’idéal, sans doute. La musique est splendide, et il serait certainement merveilleux de m’y essayer. Il vient un temps où l’on peut faire cette évolution sans pour autant abandonner ce que l’on fait dans le répertoire italien. J’adopterais un style vocal proche de Verdi. Lorsque Wagner a entendu les Italiens à Bologne, il a dit que c’était ce qu’il voulait pour sa musique. Trop souvent, les chanteurs ont tendance à crier le Wagner. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. »

Ses modèles

Peu de ténors ont réussi ce passage, et Margison a trouvé son modèle dans la carrière de Placido Domingo. Jussi Bjoerling, qui s’est éteint à l’âge de 50 ans, avant de pouvoir chanter un Lohengrin en préparation, est son ténor préféré. D’autres chanteurs favoris sont Di Stefano, Gigli, Caruso et Lanza. En fait, il y a deux ans, Margison a enregistré la bande sonore d’un film sur Mario Lanza — qui n’a pas encore été tourné. Le disque a été lancé uniquement en Australie. Parmi ses modèles canadiens, Margison cite Jon Vickers, Edward Johnson et Louis Quilico. En outre, il est bien conscient du fait que, comme l’un des trois ténors canadiens de l’heure (les autres étant Ben Heppner et Michael Schade), il sert lui-même de modèle. Fier d’être Canadien et attaché à sa famille, Margison vit à Toronto avec sa femme, Valerie Kuinka, directrice artistique à l’opéra, et Lauren, sa fille de neuf ans. Margison appuie aussi activement le projet d’une nouvelle salle pour la Canadian Opera Company, ce qui permettrait aux artistes canadiens de chanter chez eux.

Garder la forme

Dernièrement, Margison a entrepris de perdre du poids. Depuis l’an dernier, il suit un programme de Weight Watchers et il s’entraîne. S’inquiète-t-il des effets d’une perte de poids sur sa voix.? « Cela dépend entièrement de la vitesse à laquelle on le perd, ce poids, répond-il. Bien entendu, si vous perdez 50 livres dans l’espace d’un mois ou deux, vous allez manquer d’énergie. Mais si vous perdez au maximum deux ou trois livres par semaine, la voix ne devrait pas s’en ressentir. À ce rythme, le corps s’adapte graduellement à son nouveau poids. »

Le poids des chanteurs d’opéra attire beaucoup l’attention dernièrement, poursuit Margison. « Personne ne veut être toujours étiqueté comme le gros dans une distribution. Les chanteurs essaient de diminuer leur poids, et pas seulement pour plaire au chef, je pense. » Margison a des idées arrêtées sur la préférence accordée aux chanteurs plus minces. « C’est la tendance, peut-être, mais pas dans les grandes maisons. On observe cela davantage en région. Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’opéra, et que la voix a son importance! La qualité d’une soirée de chant ne devrait pas être sacrifiée à l’apparence des artistes. »

Margison consacre l’essentiel de son temps à l’opéra, mais il a aussi envie de concerts et de récitals. Le récital du 28 février à la Société musicale André Turp avec l’accompagnateur Michael McMahon comprendra des mélodies de Duparc, Strauss et Tosti ainsi qu’une portion généreuse d’airs d’opéra.

« L’opéra a sa place dans les récitals, affirme Margison. Je crois même que cela pourrait aider à faire revivre les séries de récitals. » Il rappelle que Jussi Bjoerling, son idole, présentait de tels programmes dans ses tournées nord-américaines. Pour un chanteur qui semble en constante évolution, le fameux « Nessun dorma » en rappel serait parfaitement approprié.

[Traduction d’Alain Cavenne]

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Margison au Met

Depuis ses débuts au Metropolitan Opera en 1995 comme Pinkerton dans le Madama Butterfly de Puccini, le ténor canadien Richard Margison est presque devenu un membre permanent de la compagnie, présent dans jusqu’à trois productions du Met par année. Ses rôles habituels, outre Pinkerton, comprennent Calaf, Manrico, Radames, Faust et Don José. Cette saison, il y chantera les rôles de Pollione (Norma) et de Don Carlo (Don Carlo). La voix robuste et brillante de Margison remplit facilement la salle de 4.000 places. Son instrument se prête bien aux rôles dramatiques des répertoires italien et français, qu’il affectionne. Il peut tenir une longue ligne mélodique et il déborde d’énergie (il parle en riant de ses « poumons de cuir »). Sa diction et sa projection ne laissent pas à désirer. Bien qu’il soit de forte stature, son jeu est simple et confiant — et il peut manier le fer, talent essentiel pour un ténor verdien.

Margison est apprécié tant par les maisons d’opéra que a le public parce qu’il est un professionnel consommé. Il respecte ses collègues et il ne fait pas de caprices. L’on ne sache pas qu’il se soit déjà désisté. Lorsque son nom figure sur une affiche, l’on sait que Margison sera au rendez-vous et en grande forme. Margison obtient généralement d’excellentes critiques, bien que les journalistes aient plutôt tendance à s’extasier devant le nouveau jeune ténor d’Amérique du Sud ou à s’exciter à l’annonce du plus récent spectacle d’adieu de Pavarotti dans Tosca ou Turandot. C’est le monde du spectacle… Certains sont toutefois sensibles aux vertus plus subtiles de Margison. Parlant de son récent Don Carlo au Met, Martin Bernheimer, critique au Financial Times et à Opera Magazine et récipiendaire d’un prix Pulitzer, a pu écrire que Margison était « étonnamment sous-estimé à New York. »

Margison n’est peut-être pas aussi célèbre que Pavarotti ou Domingo, mais il chante déjà plus régulièrement qu’eux au Met et il les remplace souvent lors d’événements de prestige. Lorsqu’ils prendront leur retraite, il sera encore plus en demande.

Philip Anson


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