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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 4

Créer la magie des fêtes

Par Holly Higgins Jonas / 1 décembre 2001

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Exaltez chaque voix et chantez », écrivait le poète américain James Weldon Johnson. À l’approche de la saison des fêtes, des milliers de choeurs se préparent, dans tout le pays, à présenter leur concert annuel de Noël. Les directeurs et les choristes travaillent plus résolument que jamais pour offrir une musique glorieuse qui célèbre cette saison festive.

Dans la plupart des villes, les auditoires auront le choix entre quelques présentations du Messie de Haendel, de tous temps le favori. Curieuse de savoir ce qui motive les directeurs de chorale dans tout le pays à présenter ce chef-d’oeuvre, j’ai posé deux questions à dix d’entre eux parmi les plus renommés. Ma première question était : « Lorsque vous dirigez une représentation du Messie, y a-t-il des sections en particulier qui sont plus près de votre coeur ou qui vous excitent ? » Les réponses ont été étonnamment diverses.

« Jon Washburn, de Vancouver, répond : « J’ai toujours préféré le choeur “Car un enfant nous est né” dans le Messie, à cause de ses rythmes de danse entraînants et des merveilleuses exclamations joyeuses : “Admirable ! Conseiller !” Cependant, ce choix n’est pas seulement musical. Ma fille est née en décembre 1964, alors que j’étais étudiant et que je j’enseignais près de Chicago. Après cette nuit à marquer d’une pierre blanche, j’ai dirigé une partie du concert de Noël à l’école, y compris ce choeur. Le mot enfant revêt un double sens pour moi depuis cet événement. »

Diane Loomer, également de Vancouver, aime la beauté, l’équilibre et l’élégance de l’ouverture « Sinfonia », suivie du magnifique solo « Consolez, consolez mon peuple ». Elle pense que cette musique stimule l’espoir en un avenir meilleur et donne l’assurance qu’une fois de plus, tout ira bien dans le monde. Elle aime aussi les images musicales pleines d’imagination que Haendel transmet par la partition orchestrale. « Chaque fois que l’on étudie cette oeuvre, dit Loomer, on fait de nouvelles découvertes. »

Le concert de choeurs à la CBC présente Howard Dyck, qui dirige le Philharmonic Choir de Kitchener-Waterloo dans le Messie. Ce directeur apprécie l’intégrité et c’est pourquoi il n’isole jamais un mouvement. « Les choeurs exubérants sont excitants, bien entendu, affirme Dyck, mais ce qui me réjouit le plus est la sérénité de “Je sais que mon Rédempteur est vivant” qui suit le choeur “Alléluia”. À la fin, je suis toujours remué par la danse baroque chorale “Mais grâce à Dieu”. »

L’Agneau… digne de recevoir la puissance

David Ferguson, de Calgary, présente une approche plus indirecte : « Bien qu’il soit facile d’être charmé par “Un enfant nous est né” et emporté par la majesté du choeur “Alléluia”, je suis toujours impressionné musicalement et ému par les choeurs finals “L’Agneau… digne de recevoir la puissance”, “Louange, honneur” et “Amen”. En plus de présenter un magnifique ensemble d’inspiration et de savoir-faire, ils constituent un testament monumental de la foi de Haendel. »

Brock McElheran, né à Winnipeg et vivant maintenant à Postdam (New York), est d’accord avec Ferguson, tout comme le directeur montréalais Patrick Wedd.

« Il y a de multiples merveilles dans le Messie, dit Wedd, mais ce qui m’enchante invariablement est la combinaison de la déclamation “L’Agneau… digne de recevoir la puissance” suivie du “Amen”, dont le contrepoint est bâti d’une façon bien particulière par Haendel. Chaque fois, j’en suis fasciné. Le texte de l’“Amen” est réduit au minimum et permet ainsi à Haendel de se concentrer sur l’expression musicale. »

Pour Douglas Dunsmore, de Saint-Jean (Terre-Neuve) les mesures finales de l’« Amen » méritent une mention spéciale. « Toutes les entrées imitatives ont une seule finale, avec les sopranos et les ténors amenant le la aigu en cascade vers les amen lorsque les voix s’unissent en un seul choeur pour terminer ce fameux choral et l’oeuvre elle-même. Nous vivons un tel sentiment de grandeur, de joie et d’optimisme que j’en suis presque soulevé du podium. » Dunsmore savoure aussi une expérience sublime lorsqu’il dirige la « Symphonie pastorale » du Messie, un bijou instrumental qui offre quelques minutes de méditation après le torrent de prophéties, d’excitation et d’étonnement d’« Un enfant nous est né ».

Le directeur Noël Edison, d’Elora, en Ontario, me racontait que ce qui le touche le plus, dans le Messie, est la séquence prenante, dramatique -- et même d’une facture proche de l’opéra -- des quatre choeurs : « Il s’est chargé véritablement de nos langueurs », « Par Ses blessures », « Nous avons tous été errants » et « Il se repose sur l’Éternel ». Ensemble, ces choeurs constituent, au sein de l’oeuvre, une cellule intensément dramatique où se marient à merveille le texte et la musique.

Tout plutôt que le Messie ?

Écoutons un son de cloche bien différent maintenant ! Voici ce que dit Paul Murray, organiste et directeur de chorale à Halifax : « Ça m’indiffère de ne plus jamais entendre le Messie, à moins de le diriger ou de l’accompagner. Si vous me demandez la partie que je préfère, ce serait la solennelle introduction orchestrale, le fugato énergique et le charmant récitatif qui suitConsolez, consolez mon peuple”. Cela dit, je préférerais penser à des oeuvres chorales autres que le Messie, par exemple le Magnificat de Bach, Rejoice in the Lamb de Benjamin Britten ou St. Nicholas ou encore le Hodie de Vaughan William. Mais mon intérêt s’arrête surtout sur les chants de Noël que l’on trouve dans des recueils variés, comme ceux de Cowley de Cambridge, d’Oxford, ou ceux qui sont assemblés par des gens comme David Willcocks. Chaque année, j’ai besoin d’entendre au moins une fois Hodie Christus Natus de Sweelink et O Magnum Mysterium de Victoria. »

Seconde question…

Paul Murray m’a devancée en répondant, avant même de l’avoir entendue, à ma seconde question posée aux dix directeurs de choeurs : « Selon vous, y a-t-il des oeuvres chorales qui peuvent rivaliser avec le Messie comme concert de la saison des fêtes ? »

La plupart ont choisi l’Oratorio de Noël de Bach comme un remplacement valable du Messie. Cette oeuvre, explique Noël Edison, est une suite de six cantates, allant de Noël à l’Épiphanie, les douze jours de Noël du calendrier liturgique. « C’est une oeuvre magnifique qui vous attire constamment à des niveaux différents, dit-il. On ne l’entend pas souvent au Canada, cependant, parce que les auditoires canadiens s’attachent aux oeuvres chorales en langue anglaise, ce qui fait de A Ceremony of Carols de Benjamin Britten un autre choix très populaire durant la saison des fêtes. »

Bach et Camille Saint-Saëns ont chacun écrit un oratorio de Noël qui seraient les choix de David Ferguson. D’ailleurs, il fait remarquer que la grande popularité du Messie à Noël est ironique parce que la première de cette oeuvre eut lieu à Pâques !

Faire plaisir aux auditeurs canadiens

Robert Solem, de Saskatoon, croit que le facteur de reconnaissance du Messie comme oeuvre qui plaît aux Canadiens réside dans l’anticipation des auditeurs des éléments à venir dans le déroulement et dans l’interrogation quant à savoir si le concert sera aussi réussi qu’ils l’espèrent. Solem croit que l’Oratorio de Noël de Bach possède un contenu intellectuel plus riche, mais que les traductions de l’allemand peuvent poser des problèmes. Il considère le Lauda per la Natività del Signore de Respighi comme une contribution chorale magnifique à la période de Noël et il y admire particulièrement le solo enlevant de la soprano.

Diane Loomer est du même avis. « Cette oeuvre est rarement présentée, même si l’écriture pour l’orchestre et les voix en est magnifique : ça déborde de beaux airs illustrant la promesse de Noël. C’est tellement italien, rempli de verve et de vitalité, tout en étant si tendre par moments, que ça vous fait mal. C’est mon oeuvre de circonstance favorite : la parfaite illustration de Noël. »

Patrick Wedd retient également le Lauda de Respighi, de même que le charmant L’Enfance du Christ de Berlioz. Mais, tout comme Dunsmore, Washburn et Dyck, il croit que l’Oratorio de Noël de Bach rivalise étroitement avec le Messie : « Dans cette oeuvre, Bach s’est laissé aller à composer de façon plus descriptive que dans ses autres cantates. Nous y trouvons de la musique des anges et des bergers qui fait beaucoup de place aux émotions du compositeur. »

Dans l’Oratorio de Noël, Douglas Dunsmore souligne la merveilleuse et captivante partie chorale. Il annonce que, pour Noël 2002, l’Orchestre symphonique de Terre-Neuve et le Choeur philharmonique offriront des extraits de l’Oratorio de Noël et du Messie. « De cette façon, nous espérons avoir le meilleur des deux mondes. »

Pour Jon Washburn, du Vancouver Chamber Choir, la présentation de l’Oratorio de Noël fait partie d’un cycle récurrent, tout comme le Messie. Il voit l’oeuvre comme faisant diversion à l’omniprésence des chansons populaires du temps des fêtes, parce qu’elle « raconte l’histoire de Noël dans une alternance de sensibilité et de célébration ».

L’oeuvre de Noël qu’Howard Dick chérit autant que le Messie est aussi l’Oratorio de Noël de Bach. « cette musique est absolument sublime, de la première à la dernière note, mais Bach y révèle une compréhension théologique profonde qui lui fait percevoir la joie de Noël d’un point de vue pondéré par la vision du Golgotha. Cette compréhension dont Bach fait la démonstration nous change des réponses faciles et superficielles offertes trop souvent par le christianisme contemporain. »

La bonne sonorité des choeurs dans le Messie

Le dernier mot revient à Brock McElheran, interviewé durant une récente visite à Montréal. De façon succincte, comme toujours, il confie : « On peut difficilement faire compétition au choeur “Alléluia”. Lorsque deux ou trois personnes sont réunies dans la période de Noël, elles le chantent. Lorsque vous dirigez un choeur complet qui le chante de toutes ses forces, soyez assuré que vous enchantez plus d’auditeurs qu’avec toute autre pièce que vous pourriez leur présenter. En chantant “L’Agneau qui a été immolé” jusqu’à la fin de l’“Amen”, les choeurs ont une bien meilleure sonorité que s’ils interprétaient n’importe quel autre chant. Le “A” persistant du “Amen” ressemble à une longue leçon sur la voix ! Il y a une incroyable pénurie de grande musique de Noël, ajoute McElheran. Les deux grands rivaux du Messie sont certainement l’Oratorio de Noël de Bach et Hodie Christus Natus Est de Vaughan Williams. Au-delà des qualités musicales et spirituelles du Messie , la production de cette oeuvre a permis à des générations de sociétés chorales d’équilibrer leur budget. Un choeur est toujours assuré de jouer à guichet fermé avec cette oeuvre. »

Participants : Douglas Dunsmore, Howard Dyck, Noël Edison, David Ferguson, Diane Loomer, Brock McElheran, Paul Murray, Robert Solem, Jon Washburn et Patrick Wedd.

L’auteure a publié In Their Own Words : Canadian Choral Conductors, aux éditions The Dundurn Group, 2001.

[Traduction de Michelle Bachand]


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(c) La Scena Musicale 2002