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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 3

Louise Forand-Samson Le Club Musical de Québec

Par Wah Keung Chan / 1 novembre 2001

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Le trajet de Québec à Montréal est de deux heures et demie, mais, pour les Montréalais, la distance pour Québec semble de cinq heures.»Louise Forand-Samson aime bien faire cette remarque. Depuis 30 ans, elle est directrice artistique du Club musical de Québec, un organisme sans but lucratif de 110 ans voué à la musique et qui fonctionne grâce au bénévolat. Madame Forand-Samson produit, chaque année, six concerts qui font l’envie des directeurs artistiques partout ailleurs. Les Montréalais qui ne se sont jamais rendus à Québec pour assister à l’un de ces concerts ne savent pas ce qu’ils manquent. Le Club s’enorgueillit de ses 1600 abonnés et la liste des artistes qui s’y sont produits se lit comme le Who’s Who du monde musical: cette année, nous y entendrons Ben Heppner, Arcadi Volodos, Radu Lupu et, par le passé, on a accueilli Fleming, Terfel, David Daniels, Arguerich (à cinq reprises) et Rostropovich.

Quel est le secret de l’habileté de Louise Forand-Samson à retenir des musiciens de prestige, dont plusieurs ne se sont jamais produits à Montréal? Une équipe de bénévoles de longue date est à l’origine de ce succès. Jusqu’à l’an dernier, le Club musical n’avait jamais payé d’employés.»Les abonnés au Club ont un sentiment d’appartenance, c’est presque un culte», dit en riant l’exubérante Louise Forand-Samson, indéniablement le coeur de cet organisme. Grâce à elle, à son flair aiguisé pour détecter le talent, à son aptitude certaine pour approcher les agents (ils la prennent au sérieux) et à sa gentillesse envers les musiciens, la ville de Québec est devenue une des premières étapes lors des tournées. Lorsque le baryton gallois Bryn Terfel fit une tournée de récitals, il y a quelques années, le Club musical fut le troisième arrêt, après New York et Chicago.

Ce qui incite les musiciens à revenir au Club musical est l’habileté de madame Forand-Samson à rendre les artistes à l’aise, comme s’ils étaient dans leur milieu habituel.»Un artiste heureux donnera toujours une meilleure prestation que s’il se sent inconfortable. Je mets tous mes efforts à assurer aux artistes les meilleures conditions possibles. Le piano doit être réchauffé et la scène, confortable. Dans sa loge, l’artiste trouve des serviettes propres, du savon et un verre enveloppés, un cadeau, un panier de fruits, de l’eau et l’histoire du Club musical. Je veux qu’en entrant, il se sente attendu. Nous l’accueillons à l’aéroport et nous l’accompagnons à l’hôtel. Je l’invite à “luncher”. S’il a besoin de compagnie, je suis présente pour qu’il se sente apprécié. Les musiciens sont généralement des gens solitaires, parce que les autres personnes ne les traitent pas comme des êtres humains. Je suis aidée par mon expérience de musicienne de formation, qui a fait des tournées pendant 12 ans, qui a écouté beaucoup de musique et assisté à de nombreux récitals: je parle la langue de la musique, c’est un atout.»

Originaire de Montréal, Louise Forand-Samson est issue d’une famille de musiciens -- sa mère, avant sa naissance, était harpiste soliste à la New York Philharmonic et à l’Orchestre symphonique de Montréal et son père»avait une voix glorieuse»à la maison -- et, à partir de l’âge de trois ans, elle a voulu faire de la musique. Elle étudia le piano avec Yvonne Hubert, à l’école Vincent-d’Indy, avec Vlado Perlemuter, à Paris, et avec Nadia Reisenberg, à New York. À son retour à Montréal, elle s’installa rue Girouard et le lieu devint presque»l’auberge Girouard», parce que tous y étaient accueillis. Tous les vendredis et durant les fins de semaine, les musiciens locaux et de l’extérieur se regroupaient autour de son Steinway allemand. On y retrouvait Alicia de Larrocha, qui devint amie de Louise à New York, Garrick Ohlsson, Irving Heler, André-Sébastien Savoie, Otto et Walter Joachim, Gaston Germain et Gabrielle Lavigne. Lorsque Louise Forand épousa Marc Samson, critique musical à Québec, elle commença à enseigner au Conservatoire de musique de Québec. Elle se joignit bientôt au Club musical de Québec, où elle commença par poser des affiches et vendre des billets, puis elle fut chargée de la négociation des contrats (son bilinguisme fut utile) et devint directrice artistique: tout cela en un an!

«À l’époque, en 1972, le Club s’apprêtait à fermer: les abonnements n’étant plus que de 109», dit madame Forand-Samson. Elle présenta les concerts à la salle Louis-Fréchette, la salle principale du Grand Théâtre de Québec et, progressivement, fit augmenter le nombre d’abonnements en offrant un programme de première qualité.»Si une étoile ne m’émeut pas, je ne suis pas intéressée à la présenter. Je recherche aussi les jeunes interprètes spéciaux et talentueux», affirme Louise Forand-Samson, en égrenant les noms de Midori, Sarah Chang, Yo-Yo Ma lorsqu’il avait 17 ans, la jeune Jessye Norman, Cecilia Bartoli (dont le cachet n’était que de 2000 $), Volodos, Vengorov et Kissin.»Je suis à la chasse depuis 30 ans, maintenant, et je connais des gens dont le jugement musical est solide.»Équilibrer un budget n’est jamais facile.»Je négocie férocement. Les agents savent exactement ce que je puis me permettre. Certains cachets sont négociables, d’autres non. Je puis accorder un gros cachet par année, que j’équilibre avec les autres concerts de la série. Je ne marchande jamais à propos des artistes canadiens.»La formule d’abonnement où tous les billets sont au même prix pour tous les concerts (environ 35 $ par concert) fait des miracles. En 1984, le Club musical est revenu à la salle Louis-Fréchette et, maintenant, 96 % des sièges sont vendus aux abonnés.»Je ne pourrais jamais faire à Montréal ce que je fais à Québec. Il m’en coûterait plus pour produire Volodos à Montréal que pour financer toute une saison ici», confie madame Forand-Samson.

Au fil des années, elle a développé de nombreuses amitiés avec les artistes -- sa maison, son piano et sa cuisine sont toujours disponibles à la place d’un hôtel --, mais elle n’a jamais profité de ces amitiés pour marchander.»Je fais toujours affaire avec l’agent.»Elle a demandé à Krystian Zimerman d’aller à Hambourg choisir, pour le Grand Théâtre, le Steinway actuel. Piano Six fit ses débuts à Québec dans un concert qui recueillit 37000 $ pour le piano.

Il y a deux ans, madame Forand-Samson subit une intervention chirurgicale gastro-intestinale.»L’obésité est une maladie génétique qui crée des problèmes de santé et sociaux», dit-elle franchement. La chirurgie innovatrice perfectionnée à l’Université Laval lui a sauvé la vie et Louise Forand-Samson a créé un groupe de soutien et une fondation pour l’hôpital. Puisqu’elle est une amie des vedettes, elle aura de l’aide dans cette cause. Le 10 novembre 2002, Maxim Vengerov donnera un concert pour la fondation.»Max est très généreux et, lorsqu’il apprit que j’avais mis sur pied une fondation, a demandé à son gérant de m’appeler.»

Il y a un an, madame Forand-Samson termina son mandat de dix ans comme codirectrice artistique du Festival international de musique de Lanaudière:»une grande expérience où j’ai beaucoup appris». Elle devint, par la suite, consultante pour les tournées des Violons du Roy. L’an dernier, la tournée de David Daniels fut la première et le concert donné à Québec fut possible grâce à la collaboration entre Les Violons du Roy, le Club musical et le Grand Théâtre, chacun se partageant les diverses responsabilités. D’autres projets se forment.»C’est une nouvelle expérience pour moi. Dans le passé, je travaillais avec des gestionnaires, maintenant, je travaille avec des présentateurs.»Les projets ne manquent pas...

[Traduction de Michelle Bachand]


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