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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 10

La voix de rêve de Measha

Par Lucie Renaud / 1 juillet 2002

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Photo : Michael Bradford

La soprano canadienne Measha Brueggergosman s'est révélée lors du CIMJM une artiste intense et sensible.

La première édition du Concours International de Montréal des Jeunesses Musicales, consacrée cette année au chant, s'est terminée avec éclat par la remise officielle des prix aux lauréats le 7 juin à la salle Wilfrid-Pelletier et par le couronnement de la lauréate du premier prix, la soprano canadienne Measha Brueggergosman. La chanteuse, originaire de Fredericton, s'est également vu décerner le prix du public (le plus valorisant selon elle), le prix Jean A. Chalmers (remis au meilleur artiste canadien) et le prix d'interprétation de l'œuvre inédite imposée, Alea du compositeur Denis Gougeon, cumulant ainsi des gains de plus de 42 000 dollars !

Measha (prononcez Misha), qui a célébré le 28 juin son vingt-cinquième anniversaire de naissance, a certainement su prendre le public montréalais par les sentiments, causant beaucoup d'émoi en demi-finales avec un programme composé d'œuvres de Wagner (montrant ses capacités phénoménales à soutenir une ligne musicale), de Debussy (mettant en valeur son magnifique sens du dramatique), de Schubert (ses grandes qualités d'expression y ont été particulièrement mises en lumière) et d'Ives (nous faisant découvrir son sens de l'humour très raffiné).

Le public a littéralement été séduit par son superbe cantabile, sa palette de nuances, sa voix somptueuse et son souffle parfaitement maîtrisé. La soprano Grace Bumbry, membre du jury et une des chanteuses à qui elle voue une admiration sans faille, lui a d'ailleurs déclaré n'avoir jamais rencontré une chanteuse si jeune avec une telle maîtrise du soutien vocal. Sa présence sur scène et le grain de sa voix ont tout naturellement convaincu amateurs et critiques, qui n'ont pas hésité à la comparer à la jeune Jessye Norman, une autre de ses idoles.

Les premières notes de Measha ont été poussées au sein de la chorale d'une église paroissiale. Vers l'âge de cinq ou six ans, elle entame des leçons de chant et de piano avec David Steeves, le directeur musical de l'église, sur les recommandations de son professeur d'école primaire qui, déjà, avait perçu l'unicité de sa voix. Huit ans plus tard, elle poursuit ses études avec le professeur de son professeur et continuera ainsi à remonter la filière musicale, de Mabel Doak à Wendy Nielsen, à Mary Morrison, à Edith Wiens, avec laquelle elle travaille maintenant en Allemagne.

Lorsqu'on lui demande ce qui l'interpelle le plus quand elle chante, elle prend le temps de réfléchir : « Je dirais, d'abord et avant tout, le public, mais, en récital tout particulièrement, j'apprécie la relation avec mon pianiste (qui a fait le voyage avec elle, depuis l'Allemagne pour les demi-finales). Ce lien reste unique : un équilibre délicat, mais, quand vous avez trouvé le parfait collaborateur, les mots deviennent superflus, l'expérience, magique. De plus, la musique de chambre et le récital offrent l'occasion unique d'accéder au cœur du public ; vous pouvez lui parler simplement et vous sentez que vous partagez une même expérience. Je considère cela comme un cadeau, un avantage du métier. Le chant doit d'abord être une source de joie. C'est un défi, bien sûr, mais cela ne veut pas dire que l'expérience soit dépourvue de joie. C'est un réel cadeau que de pouvoir faire de la musique. »

Avant de monter sur scène, la chanteuse se crée une bulle qui lui permet de se concentrer totalement sur les œuvres qu'elle devra interpréter. Elle visualise la partition dans sa tête, articulant les mots silencieusement, pendant que son pianiste pianote sur le comptoir. « Être en présence l'un de l'autre aide grandement à solidifier notre unité. Quand vous faites de la musique, vous dépendez des personnes avec lesquelles vous jouez parce que vous partagez quelque chose de très intime, que vous en soyez conscient ou non », explique-t-elle. Elle n'entend rien qui filtre à travers les haut-parleurs et va parfois jusqu'à porter des bouchons d'oreille. « Je deviens très nerveuse parce que je connais le pouvoir que j'ai sur le public en tant que chanteuse, mais je sais que je suis faite pour cette vie. Si vous ne vous sentez pas complètement en contrôle, le public le percevra tout de suite. Je me laisse l'espace nécessaire qui me permettra de devenir ce que le public attend de moi, un guide qui les conduit vers un au-delà, où que ce soit. Vous devez les y mener sans peur, sans hésitation, sans qu'ils ne doutent de vous une seconde. Je crois que je peux m'y rendre seulement en restant "normale". J'adore ce que je fais et respecte énormément le cadeau qu'on m'a confié, mais, une fois le concert terminé, je suis encore une épouse, une fille, une sœur et je trouve que c'est bien plus gratifiant que d'être une chanteuse. »

Measha insiste d'ailleurs sur l'importance de compartimenter vies professionnelle et intime : « Chanter doit rester un moment privilégié, une activité que vous aimez, mais aussi, à la fin de la journée, un travail. » Elle a épousé, il y a trois ans, un Suisse (avec qui elle converse en allemand) qui complète un stage à Berlin en gestion d'entreprises commerciales internationales (il n'a pu l'accompagner à Montréal, mais a gardé l'œil rivé à son écran d'ordinateur lors des étapes du concours, retransmises en direct sur le Web). Quand elle parle de lui, les yeux brillent, la voix flanche : « J'ai besoin de savoir qu'il m'aime pour moi, pas parce que je chante. Dans un sens, ma carrière lui est complètement égale, mais, en même temps, il m'appuie de façon formidable. Il est mon point d'ancrage, mon filet de sécurité. » Elle n'a d'ailleurs pas hésité à intégrer son nom au sien, passant de Gosman à Brueggergosman, sans trait d'union (sa tendre moitié a fait de même et utilise le même patronyme). Sa famille compte également beaucoup pour elle. Sa mère reste son agente pour l'Amérique (son mari couvre l'Europe), son père rayonne de fierté au moindre événement marquant de sa carrière. À la fin de sa prestation en demi-finale, elle leur a d'ailleurs envoyé un touchant message d'amour, silencieux, mais que le public a pu lire sur ses lèvres. Son frère et sa sœur, plus âgés qu'elle, avec qui elle chantait dans la chorale paroissiale, habitent maintenant en Nouvelle-Écosse et ont également suivi le concours sur le Web.

Measha souhaite pouvoir, une fois ses études complétées, rentrer au bercail, sentir les effluves marins et se rapprocher des siens, tout en tâtant peut-être de l'enseignement (elle se voit plutôt comme un maître de chant qu'un professeur à plein temps), continuer à chanter des œuvres qu'elle aime, comme le Requiem de Verdi, mais surtout, profiter de la vie. « J'ai passé des moments merveilleux et j'ai chanté un peu. Voilà comment je voudrais vivre ma vie ! » Dans quelques années, elle osera, qui sait, aborder les rôles de Leonora et les grands rôles wagnériens : « Je pense que les gens les entendent dans ma voix, mais je ne peux pas l'imaginer pour le moment parce que je les ai tellement idéalisés dans mon esprit que je sens que je devrai me sentir plus que prête avant de les chanter ! Je prendrai mon temps et, si je suis chanceuse, je pourrai faire ce métier très longtemps. » Une étoile est née...

Une section spéciale est consacrée au CIMJM sur notre site Web.

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