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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 10

Fernand Lindsay - L'assurance tranquille d'un bâtisseur de cathédrales

Par Anaïk Bernèche / 1 juillet 2002

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Fernand Lindsay est né en 1928 à Trois-Pistoles, un village situé à l'est de Rivière-du-Loup. La musique occupait une place de choix dans la famille Lindsay. Son grand-père jouait du piano et son oncle Georges enseignait la musique à Joliette et a touché l'orgue à la cathédrale Sainte-Marie-Reine-du-Monde à Montréal pendant plus de 25 ans. Lorsque celui-ci allait à Trois-Pistoles, le petit Fernand écoutait avec lui des concerts diffusés sur les ondes de WQXR, en direct de New York. « Cela m'a marqué : c'est à ce moment-là que j'ai découvert la Septième Symphonie de Beethoven. Un été, il l'ont jouée à quelques reprises. C'est la première œuvre importante que j'ai entendue. »

Dès l'âge de cinq ans, il prend des leçons de piano, puis de clarinette et d'orgue. Il entre au Séminaire de Rimouski et, à l'âge de 15 ans, demande à être transféré au Séminaire de Joliette pour se rapprocher des deux passions qui l'animeront toute sa vie : l'enseignement et la musique. Malheureusement, une fois rendu à Joliette, il réalise rapidement que l'orchestre compte déjà plusieurs clarinettistes de talent. Déterminé à faire partie de l'orchestre, le jeune homme demande au chef s'il y a un instrument dont personne ne veut jouer. « J'étais prêt à tout pour faire partie de l'orchestre et ils avaient besoin d'un bassoniste... »

À l'âge de 20 ans, il entre dans l'ordre des Clercs de Saint-Viateur. Quelques années plus tard, il complète une licence en philosophie, ou, plus spécifiquement, en études médiévales, à l'Université de Montréal. Cependant, la musique n'est jamais très loin du centre de ses préoccupations. Très tôt, son engagement dans la communauté musicale est reconnu, comme en témoigne sa nomination en 1957 au poste de directeur des Jeunesses Musicales de Joliette. Quatre ans plus tard, en 1961, il fonde un « festival-concours » de musique (lequel existe toujours) afin de stimuler l'intérêt des jeunes pour la musique. Puis, en 1963, il part en Europe poursuivre ses études en philosophie à la Sorbonne et à l'Institut Catholique de Paris. Il se réservera quelques semaines afin d'assister aux grands festivals de musique classique : Salzbourg, Munich, Aix-en-Provence, Bayreuth. Il assistera à une trentaine de concerts en 25 jours !

Encore aujourd'hui, ses yeux brillent lorsqu'il se rappelle les grands artistes qu'il a entendus lors de ce voyage : Karajan, Fisher-Dieskau, Leontyne Price chantant Verdi, Schwartzkopf, la jeune Christa Ludwig. Une idée commença de germer dans son esprit. Salzbourg n'est pas une grande ville, pas plus que Munich. Ni l'une ni l'autre ne peuvent rivaliser avec Vienne, le centre culturel, la grande ville au grand orchestre, et pourtant... Les gens semblaient heureux de se déplacer l'été pour aller entendre un beau concert dans un cadre champêtre. Peut-être que... mais le temps n'était pas encore venu.

À la suite de ce voyage et de l'étude de son cher Platon, il est plus convaincu que jamais de l'importance primordiale de la musique dans l'éducation des jeunes. De retour au Québec en 1964, il entreprend sa carrière de professeur, enseignant le français, le latin, l'histoire et la philosophie, ce qui ne l'empêchait nullement de consacrer toutes ses heures libres, ses fins de semaines et ses étés à la musique. Peu de temps après, il fonde le Chœur des Chanteurs de la Place Bourget, un chœur qu'il dirige encore. Vient ensuite un cours de littérature musicale. Presque 40 ans plus tard, il donne encore des auditions-conférences à la Maison Lacombe, une maison historique située à Saint-Charles-Borromée.

Dans les années 60, il y avait déjà un concours de musique pour élèves avancés qui offrait des bourses d'études pour le camp musical d'Orford. Cependant, Père Lindsay considérait que l'éloignement n'était pas souhaitable pour les plus jeunes. C'est pour cette raison qu'il a créé, en 1967, un concours s'adressant spécifiquement aux élèves de 9 à 16 ans. Inévitablement, s'ensuivit la fondation du camp musical de Lanaudière, à Saint-Côme, pour donner aux jeunes de la région de Joliette la possibilité de faire de la musique tout au long de l'été. « Le moteur de ma carrière, la musique a été d'une telle importance dans ma vie que j'ai toujours souhaité la transmettre d'abord à ceux qui m'étaient le plus proche : mes étudiants ».

En 1977, Charles Dutoit et l'Orchestre symphonique de Montréal donnent un concert à la cathédrale de Joliette. Le concert a beaucoup de succès, ce qui incite Père Lindsay à présenter, l'année suivante, une série de huit concerts consacrés à Schubert, son compositeur préféré. Ces concerts furent, eux aussi, très bien accueillis. Forts de ce succès, Père Lindsay, ses amis Marcel Masse, René Charrette et quelques autres, décidèrent que le moment était venu de tenter d'implanter à Joliette le genre de festival dont Père Lindsay avait rêvé depuis son voyage en Europe, quelques 13 ans plus tôt. Le Festival international de Lanaudière était enfin né.

Jusqu'en 1988, les concerts avaient lieu soit dans la salle du séminaire, la salle Rolland-Brunelle, la cathédrale de Joliette ou dans les églises de la région. Cependant, Père Lindsay voyait encore plus grand : il souhaitait la construction d'un amphithéâtre en plein air, comme ceux qu'il avait vus en Europe. Après de longues recherches, le site actuel fut sélectionné, en grande partie à cause de sa pente naturelle. Un soir de juin 1989, Père Lindsay se posta à l'arrière de la section couverte et admira le résultat: un toit unique au pays pouvant accueillir 2 000 personnes et une pelouse aménagée pour accueillir 8 000 autres spectateurs. Le lendemain, les journaux louangeaient l'acoustique miraculeuse de l'amphithéâtre conçue par l'architecte Michel Galliène.

Au fil des ans, père Lindsay a eu l'occasion d'entendre et de découvrir un large éventail d'œuvres, en passant du chant grégorien à la musique contemporaine. Néanmoins, il a quelques difficultés à choisir un compositeur ou une œuvre favorite : « pendant qu'on en choisit un, on pense à un autre ! » Parmi ses œuvres préférées, notons : les quintettes et les opéras de Mozart, « pour l'invention constante », les opéras Salomé et Le Chevalier à la Rose de Strauss, Tristan de Wagner, la Septième Symphonie et les quatuors de Beethoven, la Deuxième Symphonie ainsi que toute la musique de chambre de Brahms, les Gurrelieder de Schoenberg, sans oublier « la mine d'or » des lieder de Schubert, de Strauss et de Mahler, ou encore, des œuvres inconnues comme l'opéra espagnol intitulé Merlin, d'Albéniz. « Quand j'écoute la musique pour mon plaisir, j'essaie d'écouter de la musique que je ne connais pas. Quand je découvre des choses nouvelles, je suis tellement content, tellement heureux. »

Malgré que Joliette soit une petite ville de 30 000 habitants, le Festival de Lanaudière est devenu le festival de musique classique le plus important au Canada, attirant jusqu'à 50 000 visiteurs chaque année. Il est également le plus ancien festival culturel au Québec. Plusieurs artistes de renommée internationale sont allés à Joliette, dont Sir Neville Marriner et The Academy of St-Martin-in-the-Fields, Maxime Vengerov, Itzhak Perlman, Mstislav Rostropovich, François-René Duchâble, Marc-André Hamelin, Alicia de Larrocha, Anton Kuerti, Luc Beauséjour, le Trio Hochelaga, Marylin Horne, Ewa Podlès, Frederica von Stade, Cecilia Bartoli, Dmitri Hvorostovsky, Deborah Voight, Ben Heppner et bien d'autres. Aussi, il y a eu des événements uniques, comme les Planètes de Gustav Holst avec l'astronaute Marc Garneau comme récitant. Ou encore, une version concert de Faust de Gounod avec... Père Lindsay à l'orgue durant la scène de l'église.

Pour Père Lindsay, le bonheur se partage avec les amis. « C'est aussi quand je vois les milliers de gens qui ont assisté au concert, souriants et contents de leur soirée. Ils se parlent entre eux du concert, se disent combien ils l'ont aimé. Parfois, ils me le disent. Ça, vraiment, ça me satisfait. De voir les gens heureux. » Un homme comblé qui n'a qu'un seul regret dans la vie : de ne pas avoir entendu la Septième Symphonie de Beethoven assez souvent.


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(c) La Scena Musicale 2002