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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 8

Pianistes de la génération montante

Par Lucie Renaud / 1 mai 2001

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Les compétitions semblent un rite de passage obligé pour les jeunes pianistes : certains s’y plient de bonne grâce, d’autres les font par obligation. Une fois le concours terminé, la vie continue, le travail acharné se poursuit, les artistes font le point mais cela ne les empêche pas de rêver au futur, immédiat comme plus éloigné. Cinq pianistes canadiens de la nouvelle génération ont échangé avec La Scena Musicale : Katherine Chi, 1er prix du concours de piano Esther Honens en novembre 2000 ; Mathieu Gaudet, gagnant, entre autres, du Harrison L. Winter Competition et du Concours de concerto du Conservatoire Royal de Musique de Toronto ; David Jalbert, 2e prix du Concours Radio-Canada en 1999, qui s’est classé 4e au Concours International de Dublin l’année dernière ; Stephan Sylvestre, prix d’Europe et Prix spécial du Centre de musique canadienne et Li Wang, gagnant du Canadian Chopin Piano Competition en 1999, et qui se prépare pour le concours de Radio-Canada (ce mois-ci) et le concours Liszt (en septembre).

Quand on les interroge sur la pertinence des concours, tous n’émettent pas le même son de cloche. David Jalbert parle de son expérience à Dublin comme extrêmement positive : « rette fois-ci, contrairement à mon expérience du Concours Radio-Canada (voir l’entrevue qu’il avait accordée pour La Scena Musicale d’avril 2000), je n’ai ressenti aucune pression. À chaque étape franchie, j’éprouvais de la surprise. » Stephan Sylvestre, quant à lui, considère que « hélas! les concours sont essentiels pour réussir à percer dans le métier. C’est une étape de l’apprentissage de tout musicien qui aspire à une carrière internationale, étape qui peut être dangereuse si elle n’est pas bien gérée, dans le temps et dans le choix de ces concours. Gagner un concours n’est surtout pas un gage de réussite d’une carrière à long terme. Nécessaire, mais à quel prix ? » Li Wang soutient que les concours restent la seule façon de pouvoir être remarqué par des organisateurs de concerts. Selon lui, ils mettent par contre en péril l’avenir même de la musique classique. « Pour gagner, il faut être coriace, déplore-t-il. Il faut pouvoir jouer tout le répertoire, du baroque au contemporain. C’est difficile de cerner le caractère de chaque oeuvre. De plus, si vous avez trop de personnalité, la moitié du jury vous détestera ! Il faut être un très bon pianiste mais peut-être pas un très bon musicien. Plus vite, plus fort et sans erreur : tous les jeunes gagnants de concours se ressemblent. Je ne crois pas que Chopin aurait gagné des concours mais sa musique est pourtant si belle. Malheureusement, c’est un cercle vicieux : les gagnants d’aujourd’hui seront les pédagogues de demain. »

Pourtant, tous ces jeunes artistes ne peuvent envisager une autre carrière que celle qu’ils ont embrassée. « Souvent, on fait la carrière non pas pour quoi mais en dépit de quoi, mentionne Mathieu Gaudet. Je continue parce que je ne veux pas arrêter, je ne peux pas imaginer une autre vie. » David Jalbert précise : « C’est un choix de carrière à contre-courant, en réaction contre l’envahissement technologique, une tradition qu’on aime garder, mais la magie du concert est insurpassable. Quand quelqu’un vient me voir après le concert en me disant : “ Vous avez changé ma vie ”, que peut-on ajouter de plus ? » Li Wang abonde dans le même sens : « La musique peut et doit toucher les gens. S’ils aiment ma façon de jouer, leurs visages s’illuminent. Je sens que je les ai touchés, que je les ai rendus plus heureux. Une fois qu’on a ressenti cette émotion, il est impossible d’arrêter, on devient accro. »

Quand on ose demander comment ils auront évolué musicalement dans dix ans, les réponses varient sensiblement. Katherine Chi espère donner des récitals. « Le plus grand défi en tant qu’interprète est de trouver le courage de changer et d’évoluer. Je crois que si j’arrive à la limite de mes facultés d’adaptation, je déciderai d’abandonner la carrière. » Li Wang rêve tout haut : « Je voudrais être partout ! J’enseignerai peut-être, mais je jouerai. Sera-ce assez pour gagner convenablement ma vie ? Je l’espère. » En plus de donner un nombre plus limité de concerts, Mathieu Gaudet consacrera du temps à l’enseignement, pour la stabilité que cela lui apportera (il désire élever une famille) mais également parce que « c’est un potentiel à explorer ».

Ces jeunes pianistes se sentent tributaires de l’enseignement qu’ils ont reçu. « À chaque étape de mon apprentissage, mes professeurs m’ont influencé chacun à leur manière, ce qui fait de moi le pianiste que l’on connaît aujourd’hui. Bien sûr, certains ont eu plus d’influence que d’autres, comme Marc Durand, Leon Fleisher, Monique Deschaussées et John Perry, qui ont d’ailleurs formé plusieurs pianistes de la nouvelle génération. Avec le recul, l’ensemble de ces enseignements me permet de choisir l’approche musicale qui me convient le mieux », résume Stephan Sylvestre. David Jalbert poursuivra ainsi la transmission de l’art pianistique : « J’enseignerai certainement, parce qu’en tant que pianiste, j’ai appris tellement de choses, que ce soit au plan physique, du répertoire, du style, du phrasé, que c’est presque trop dans la même tête. Ce savoir doit être partagé. »

Rêves de jeunesse, voeux pieux ? Perçoit-on une inquiétude face à l’avenir de la musique classique ? Katherine Chi jure que « la musique classique ne pourra jamais mourir ». Stephan Sylvestre la soutient : « À mon avis, les gens sont de plus en plus à l’écoute et sensibilisés à cette musique. » Mathieu Gaudet déplore toutefois la paresse que la surenchère d’enregistrements a engendrée et le faible public en salle. « C’est un métier qui ne rapporte pas. La musique n’aide pas l’économie et ce n’est pas si grave. L’important est qu’elle fait du bien à l’être humain. » La jeunesse changera peut-être le monde…


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