Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 6, No. 8

Guide du parfait compétiteur

Par Michel Fournier / 1 mai 2001

English Version...


 

D epuis le milieu du xxe siècle (pour le meilleur ou pour le pire ?), les concours sont devenus un élément quasi incontournable dans le parcours de tout musicien professionnel. Ceci s’explique sans doute par de nombreux facteurs : augmentation du nombre de musiciens professionnels, importance des médias, nécessité de se distinguer dans un marché restreint et hautement concurrentiel… Il est à peu près certain que, dans toute discipline musicale, l’artiste en devenir sera appelé à concourir, que ce soit pour un poste dans un orchestre, un poste d’enseignement, ou encore pour obtenir un contrat, un concert…

Bien comprise et bien vécue, l’expérience d’un concours peut s’avérer un outil précieux dans l’évolution musicale d’un artiste. Voyons comment une approche saine et réaliste peut apporter de nombreux bienfaits. Tout est une question de préparation physique et psychologique, de jugement et d’équilibre.

 

Règle numéro un : c’est un « jeu » dont on accepte
d’avance les règles, les injustices et les résultats

Rien n’est jamais parfait. Il faudra éviter de blâmer les juges, la salle, le piano, l’heure, l’organisation, le banc, l’acoustique, l’éclairage, (et j’en passe !) pour justifier un résultat insatisfaisant… Tous les concurrents sont soumis aux mêmes conditions.

 

Règle numéro deux : relativiser les enjeux d’un concours

Il faut bien comprendre que c’est un événement ponctuel, subjectif et aléatoire. Il faut également savoir que le concours n’est pas le seul chemin possible vers la gloire et la célébrité (pour ceux que ça intéresse !). De plus en plus de jeunes artistes talentueux réussissent à faire carrière sans avoir fait le parcours « autoflagellatoire » des concours. À titre d’exemple, mentionnons la violoniste américaine Hilary Hahn et le pianiste russe Constantin Lifschitz, tous deux âgés d’à peine 20 ans, mais à la personnalité musicale hors du commun. Rare, mais possible.

 

Règle numéro trois : être prêt, prêt, prêt

La préparation est certainement la condition sine qua non d’une participation réussie. C’est pourquoi il faut être prêt plusieurs semaines (ou mois) à l’avance, avoir joué tout le programme en récital, de préférence plusieurs fois ! Un participant bien préparé aura davantage confiance, sera plus solide et aura su créer des conditions propices à un sentiment d’accomplissement. Par contre, un manque de préparation amènera à coup sûr des dérapages, des accrocs et des trous de mémoire, des éléments en général peu compatibles avec une expérience positive et générant plutôt pleurs et grincements de dents.

La préparation psychologique est également primordiale. Une attitude saine envers les concours étant maintenant acquise (grâce à la mise en application rigoureuse des règles 1 et 2 du présent article), il faut maintenant s’assurer de la mise en oeuvre des meilleures conditions de vie avant l’événement : temps de répétition et de sommeil suffisant, vie équilibrée, exercice physique, horaire de travail allégé (sauf à l’instrument !)… De plus, ce n’est peut-être pas le moment indiqué pour des grandes remises en question existentielles ! (Notez que l’après-concours aura cet effet-là de toute façon.)

Et comme il y a toujours des imprévus et des surprises de dernière minute, mieux vaut être prêt à tout !

 

Règle numéro quatre : les juges ne sont pas des ogres

La façon dont le participant perçoit les juges constitue également un élément-clé dans le succès de l’expérience. (Aux professeurs : cela s’enseigne !)

Les résultats ne constituent pas un jugement définitif, et les commentaires des juges doivent servir avant tout à s’améliorer et à travailler ses points faibles.

Il arrive toutefois que certains concurrents reçoivent des commentaires qu’ils jugeront « bêtes et méchants ». Dans de tels cas, il ne faut surtout pas hésiter à rencontrer les juges concernés. Il arrive parfois qu’un juge doive écrire rapidement, et ne puisse exprimer sa pensée aussi complètement (ou diplomatiquement !) qu’il le souhaiterait. Les juges font souvent de longues journées, peuvent être fatigués… et jugent toujours à partir de leurs perceptions, de leurs systèmes de valeurs, de leurs goûts personnels. Leur rôle est très difficile : ils évaluent un « produit » non quantifiable.

Dans le cas de concours destinés aux jeunes, qui ont une mission avant tout formative, les juges devraient toujours avoir la préoccupation de formuler leurs commentaires de façon constructive. Quant aux responsables des concours, ils ont la responsabilité de sélectionner le jury avec soin, de leur préciser les objectifs et la mission du concours et, idéalement, de leur fournir une grille d’évaluation claire et complète. (Oui, c’est possible !)

 

Règle numéro cinq : le professeur est directement
concerné par l’événement

Le rôle du professeur est primordial. Il a le devoir de choisir un répertoire adéquat. Les pièces doivent constituer un défi raisonnable et bien correspondre à la personnalité du participant. Le professeur a aussi la responsabilité ultime de décider de la pertinence de la participation. Il est le premier responsable de son élève. Il vaut mieux annuler une participation que d’avoir à subir une mauvaise expérience. Les miracles n’existent pas ! Si le participant n’est pas prêt, l’expérience risque d’avoir des effets néfastes sur la motivation et l’intérêt futur. Le professeur doit également connaître les niveaux et les particularités des différents concours, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Cela est essentiel pour bien guider les jeunes musiciens dans un dédale où ils risquent de se perdre. Chaque élève est un cas particulier, et le choix des concours doit se faire en tenant compte de sa personnalité, de ses objectifs et de ses capacités.

Il faut se souvenir qu’un concours ne mesure que ce qui est mesurable. On peut mesurer l’habileté technique, le nombre de fausses notes, la résistance au stress, la solidité de la mémoire et des nerfs… On ne peut pas mesurer la musicalité, ni la sensibilité de l’interprète. On ne peut que commenter ce qu’on en perçoit à un moment précis du cheminement artistique.

Mais surtout, il faut savoir rester soi-même ! N’essayez pas de plaire au jury, ne faites aucun compromis musical, imposez vos convictions artistiques… Soyez les artisans d’une nouvelle génération de musiciens qui parlent, qui osent, et qui ne craignent ni l’erreur ni la fausse note…

De la musique avant toute chose !

 

Ouvrages consultés :

Pâris, Alain. Dictionnaire des interprètes et de l’interprétation musicale, Robert Laffont S.A., Paris, 1989.
Bastien, James W.. How to Teach Piano Successfully, third edition, Neil A. Kjos Music Company, San Diego, 1988.


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002