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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 7

La palette sonore du Quatuor Molinari

Par Lucie Renaud / 1 avril 2001

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Quand on met les pieds pour la première fois dans l’atelier du peintre montréalais avant-gardiste Guido Molinari, lieu de répétition du Quatuor, on se retrouve aussitôt assailli par la puissance des couleurs et la précision méticuleuse des traits. À bien des égards, l’osmose entre le peintre et « son » quatuor — formé des violonistes Olga Razenhofer et Johannes Jansonius, de l’altiste David Quinn et de la violoncelliste Julie Trudeau — semble si complète que des parallèles étonnants surgissent entre les toiles du peintre et le jeu des membres du Quatuor: couleurs d’une richesse presque inépuisable, respect, compréhension et maîtrise des formes même les plus complexes, justesse du geste, que ce soit dans les longs passages à l’unisson des Quatuors de Schafer ou dans la multitude de losanges d’une toile, mais surtout un enthousiasme communicatif pour les autres médiums artistiques.

Fondé en 1997 par Olga Ranzenhofer avec la complicité de Guido Molinari, le Quatuor se consacre au répertoire des xxe et xxie siècles, même si on l’associe plus volontiers aux créations et à l’intégrale de Schafer. La violoniste explique: « La musique contemporaine n’est qu’une partie de notre mandat, beaucoup plus large. Le répertoire pour quatuor est tellement immense, inépuisable en chefs-d’oeuvre, que nous avons simplement décidé de prendre un point de départ. Au début du xxe siècle, on a assisté à une éclosion des écoles nationales. Pour une date donnée de l’histoire musicale du siècle, on peut retrouver un éventail extraordinaire d’oeuvres de différents styles, couleurs, esthétiques. Si on compare la musique de Webern de 1910 à ce qui se faisait ailleurs, on pourrait penser que 50 ans les séparent. »

L’ensemble compte ainsi une quarantaine d’oeuvres à son actif (10 oeuvres nouvelles par saison), ce qui lui permet de bâtir des programmes de concerts adaptés aux lieux ou aux organismes qui les accueillent. Une place privilégiée reste réservée aux Quatuors de Murray Schafer. L’intégrale en concert de décembre 1999 (également reprise sur disque) avait su faire vibrer le coeur de bien des amateurs de musique contemporaine. Dès les débuts du Quatuor, la fondatrice avait d’ailleurs annoncé le projet fou de l’intégrale. « Tout le monde peut éprouver un plaisir en écoutant les oeuvres de Schafer, soutient Mme Ranzenhofer, parce que c’est une musique humaine, qui sait toucher le coeur, qui ne laisse personne indifférent. On y retrouve des choses d’un modernisme extraordinaire, mais aussi d’autres beaucoup plus accessibles. Ses mélodies presque infinies, qui planent, côtoient des sections rythmiques d’une intensité incroyable. » Schafer travaille présentement à la complétion de son Huitième Quatuor, dont la création aura lieu au festival de musique de Stratford (qui renaîtra de ses cendres) cet été. La première québécoise sera donnée quelques jours plus tard au Centre d’Arts Orford.

Grâce à sa programmation peu traditionnelle, le Quatuor Molinari vise l’élargissement du public. Dans cette optique, il a su développer avec Molinari la formule très appréciée des Dialogues (déplacés cette année à la Chapelle historique du Bon-Pasteur pour rejoindre plus d’amateurs) qui vise à faire disparaître la frontière entre ceux qui fréquentent les expositions et ceux que la musique contemporaine passionne. Grâce aux liens réalisés entre les oeuvres musicales et picturales, des dialogues enfiévrés jaillissent spontanément entre les participants et le public. Les musiciens tentent également de diriger l’écoute des auditeurs en les ouvrant à une autre dimension de compréhension. Le mélomane se trouve souvent dérouté face au foisonnement d’idées qui caractérise la musique contemporaine. Comme un enfant qui ne comprend pas du premier coup, il se rebiffe de ne pas trouver un thème identifiable et abdique souvent, déclarant ne pas aimer ce genre de musique. Pour Olga Ranzenhofer, il importe de briser le carcan des idées préconçues: « Il faut plutôt chercher à libérer l’imagination, sentir l’atmosphère, la couleur. »

Le mot est lâché une fois de plus: couleur. Comme d’autres parlent d’articulation, de phrasé, de précision, d’analyse formelle, de style, Olga Ranzenhofer fait constamment référence à la couleur. Dès sa première rencontre avec Molinari, elle avait d’ailleurs été frappée par cette transitivité de langage qu’elle avait adopté avec le peintre. « Guido s’est mis à parler de ses toiles en termes musicaux », se souvient-elle avec ferveur. « Il parlait de rythme, d’harmonies, de hauteur, de timbre, de contours mélodiques, et moi je me suis fait prendre à parler de musique en termes de couleurs, de textures, d’effets. » Une communion totale s’est depuis instaurée entre les membres du Quatuor et leur « parrain ». Ses peintures servent de toile de fond à leurs concerts, second plan visuel qui soutient la musique, mais sans jamais l’écraser. La musique du Quatuor habite les lieux de travail du peintre, une ancienne banque un peu froide qu’il a su réchauffer par l’ardeur de ses toiles. Dans la mesure du possible, on essaie d’organiser une exposition des oeuvres de Molinari quand le Quatuor est invité dans d’autres villes. (Ce sera le cas cet été aux festivals de Stratford et d’Orford.)

Cette communion se retrouve également entre les membres du Quatuor, qui aimeraient pouvoir devenir un quatuor à plein temps, en résidence dans une université, par exemple, comme le sont souvent les grands quatuors. Pour le moment, le violoniste Johannes Jansonius et l’altiste David Quinn doivent composer avec leur horaire astreignant de membres de l’Orchestre symphonique de Montréal. La violoncelliste Julie Trudeau se produit régulièrement en tant que soliste, entre autres dans des spectacles chorégraphiques. Olga Ranzenhofer doit, quant à elle, jongler avec ses horaires de travail et son poste de violon solo à l’Ensemble de la Société de musique contemporaine du Québec, en plus de veiller à la direction artistique et administrative du Quatuor. Les quatre musiciens se rencontrent pourtant toutes les semaines huit ou neuf heures et, les deux semaines avant les concerts, tous les jours, histoire de peaufiner le détail le plus infime.

Pour Olga Ranzenhofer, le quatuor reste la formation idéale, un instrument avec un registre et des possibilités expressives immenses. Baignée dès sa tendre enfance dans un univers musical, elle se rappelle avec émotion les rencontres hebdomadaires du quatuor amateur dont son père, second violon, faisait partie. Elle se retrouvait assise à ses côtés, investie de la délicate mission de tourner ses pages. Cette intimité est maintenant partagée avec les autres membres du Quatuor Molinari dans ce qu’elle nomme « un mariage musical ». Dès les débuts de l’ensemble, les dialogues ont été balisés. Les commentaires émis par l’un ou l’autre des membres ne doivent jamais être mal interprétés. Une remarque sur la précision du rythme, le dosage des nuances ou, pire, l’intonation (certainement la corde sensible de tout instrumentiste à cordes) reste toujours exprimée avec tact, dans le but d’approfondir l’oeuvre, de faire honneur au compositeur. Après quatre ans de travail commun, l’osmose semble atteinte entre les artistes, qui sont devenus des amis et non plus de simples collègues. En concert, « une expérience esthétique unique, ultime », selon les interprètes, cette unité ouvre la porte à des moments magiques. Un seul regard suffit alors pour orienter l’oeuvre différemment, sans que l’auditeur n’en ait conscience, bien souvent: un retard, un pianissimo ressenti au même moment, une couleur qui saura illuminer l’imaginaire, bien après le dernier son filé.

Ne ratez pas les prochaines prestations du Quatuor Molinari. Ils seront solistes avec l’Orchestre symphonique de Montréal le 19 avril, dans la création du Concerto pour quatuor et orchestre d’Ana Sokolovic.

Leurs prochains Dialogues à la Chapelle auront lieu le samedi 2 juin. Concert le 4 juin à la Salle Redpath dans la série Vingtième et plus. Plusieurs présences aux festivals d’été.


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