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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 5

Yegor Dyachkov: La passion du jeu

Par Lucie Renaud / 1 février 2001

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Né à Moscou d’une mère pianiste et d’un père altiste, le jeune Yegor ne pouvait échapper à l’emprise de la musique. Après des essais peu convaincants au piano et au violon, il se retrouve à l’âge de huit ans sans moyen d’expression viable. Le métier qui le faisait alors rêver étant celui d’employé de zoo, sa mère utilise un subterfuge, l’assurant qu’il devrait essayer de jouer du violoncelle, incontestablement l’instrument préféré des animaux. L’enfant découvre enfin le confident qui lui permettra d’épancher sa très grande sensibilité.

Étudiant au Conservatoire de Moscou, la discipline s’avère extrême et la compétition féroce. Les souvenirs que Yegor Dyachkov garde de cette époque restent mitigés. « L’environnement était finalement assez malsain. Je ne suis pas certain que si j’étais resté deux ans de plus à l’école centrale que le système ne m’aurait pas écrasé en tant qu’individu créateur.», confie-t-il. Après quelques mois de transit, sa famille émigrera finalement à Montréal en 1988. Il poursuit alors ses études avec Yuli Turovsky. Il complétera en 1998 à Cologne un autre diplôme avec Boris Pergamenschikow, originaire de Saint-Pétersbourg. « Il m’a enseigné énormément de choses indispensables qui ont rehaussé mon niveau de jeu.», affirme-t-il. Quand on mentionne que tous ses professeurs semblent tributaires de l’école russe, le violoncelliste nuance.: « Je dirais plutôt que je suis le produit d’une école russe transposée. Pergamenschikow était plutôt d’influence européenne, d’une pensée presque allemande. »

Il a également eu l’occasion de travailler plusieurs fois avec Rostropovitch, artiste, vulgarisateur et communicateur qu’il admire énormément. « On sent une énergie palpable sur tous ses enregistrements. Pourtant parfois je trouve qu’il y a trop de Rostropovitch et pas assez de musique ». Aucun violoncelliste selon lui ne devrait être mis sur un piédestal..: « Le violoncelliste idéal est un composite de tous les grands violoncellistes. On ne veut jamais copier quelqu’un mais l’imitation n’est pas nécessairement mauvaise. On ne peut pas ne pas interpréter, c’est ce qui nous définit en temps qu’artiste. » Il affirme que tous ses partenaires de musique de chambre devraient également être considérés ses professeurs.: « Je continue d’apprendre auprès d’eux tous les jours. Des artistes que je n’ai jamais rencontrés m’ont également permis d’évoluer musicalement, grâce à un enregistrement ou un concert. À une période de ma vie, j’ai écouté énormément de bons chanteurs qui m’ont beaucoup enseigné. »

y´ette sonorité chantante reste d’ailleurs associée au jeu de Yegor. La virtuosité chez lui demeure toujours au service d’une expressivité intense. Interrogé sur son répertoire de prédilection, il avoue apprécier les compositeurs de toutes les époques, même si récemment il a été associé à la création d’œuvres nouvelles, entre autres Menuhin..: Présence, un concerto composé pour lui par André Prévost. « C’est un plaisir pour moi de combiner Bach, une création contemporaine, Beethoven et Brahms lors d’un même récital. Le défi pour changer de cap reste grand mais le plaisir d’explorer ces musiques avec le public demeure insurpassable. »

Yegor Dyachkov savoure la relation qu’il entretient avec le public lors des concerts. « Un triangle s’établit, soutient-il, entre le public, l’interprète et la musique, que je place toujours au-dessus. En récital, l’interprète a la liberté de s’exprimer. On travaille autant avec les acquis, avec la recherche qu’on a fait sur une œuvre donnée qu’avec la spontanéité du moment présent, l’inspiration, les partenaires avec lesquels on joue. C’est un processus irremplaçable..: c’est là qu’on apprend à jouer, pas en faisant des enregistrements.! On apprend à jouer pour soi mais le vrai travail d’expression, la capacité de rendre une idée palpable, la communication d’une émotion, nécessitent la présence sur scène. »

La musique de chambre reste un point de référence pour lui, un idéal qu’il cherche à atteindre même en tant que soliste avec orchestre..: « Un concerto qui se passe bien réunit les qualités de musique de chambre. » Membre depuis un peu plus d’un an du Quatuor Arthur-Leblanc, qu’il aime « comme sa deuxième famille », il considère maintenant cette activité essentielle à son épanouissement. « C’est un mariage unique entre quatre instruments, très exigeant mais suprêmement satisfaisant, juge-t-il. Toutes les facettes de l’interprétation s’y rencontrent pour faire passer un message. Quand la communion sur scène entre les musiciens est excellente et qu’elle se transmet au public, se passent les choses les plus magnifiques. »

Son enthousiasme pour son art est tangible. C’est d’ailleurs ce qu’il désire plus que tout transmettre aux jeunes violoncellistes qu’il rencontre lors des cours de maître qu’il donne parfois. « J’essaie de communiquer un plaisir, souligne-t-il. C’est ce qui me fait fonctionner, ce qui me permet de passer à travers les difficultés du métier, parce qu’on ne passe jamais par-dessus quelque chose, à moins de la nier. Je pratique un métier difficile..: le travail, les voyages, le décalage horaire. On continue pour redécouvrir le plaisir de communiquer, de créer des sons qui transforment les gens. Ce n’est pas palpable, matériel. Notre monde l’est bien assez. Il y a des choses que l’on peut transmettre sans les dire en paroles qui restent essentielles. Cela fait partie de la vie. »

Même s’il privilégie le concert, il admet que les enregistrements restent des cartes de visite qui permettent l’élargissement des frontières. C’est d’ailleurs après avoir entendu son dernier enregistrement de sonates de compositeurs russes avec le pianiste Jean Saulnier que Yo-Yo Ma a décidé de l’inviter à participer au « Silk Road Project ». Largement épaulé par le géant Sony, le projet permettra au public de plusieurs festivals internationaux de revivre les différentes étapes de la route de la soie, du Japon à l’Italie, en passant par l’Inde et le Proche-Orient. Une quinzaine de compositeurs contemporains réputés et une quarantaine de musiciens, autant occidentaux que traditionnels, ont été invités à participer à une série d’ateliers exploratoires l’été dernier à Tanglewood. Ce projet touche particulièrement Dyachkov car il lui permet de s’ouvrir à la réalité des autres cultures. « J’ai beaucoup de plaisir à découvrir des mondes sonores différents et d’essayer là aussi de toucher à une certaine vérité, dit-il. Pour un occidental, il est souvent très difficile de rendre la musique traditionnelle. L’intériorité, l’humilité des musiciens traditionnels m’ont conquis. Une évidence m’est alors apparue.: partout au monde les musiciens travaillent avec le même matériau.: le son. »

Les projets d’avenir ne manquent pas.: tournées avec le Quatuor (une soixantaine de concerts par année), récitals, engagements avec des orchestres occupent une grande partie de sa vie. Il devra maintenant apprendre à choisir les projets qui l’habiteront. L’essentiel pour lui reste la nécessßté de vivre de son art, de pouvoir consacrer du temps à sa famille et que jamais la routine ne s’installe. Toujours à l’affût de nouvelles découvertes, il souhaiterait avoir plus de temps pour travailler les suites de Bach.: « Je découvre le plaisir de jouer cette musique, de m’y abandonner complètement. Il faut exploiter l’énergie du moment, il ne faut pas perdre la flexibilité, la liberté. » Nul doute qu’encore une fois, il saura faire vibrer le public grâce à la magie de son instrument.


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