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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 10

Images et musique: mariage harmonieux

Par Lucie Renaud / 1 juillet 2001

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L e 28 décembre 1895, date symbolique dans l’aventure artistique humaine, un public subjugué découvre les images projetées par le cinématographe des frères Lumière. Cette première expérience cinématographique ne se fit pas dans un silence total. Un pianiste improvisait sur les images présentées à l’écran, pour couvrir le bruit envahissant du projecteur qui n’avait pas alors de paroi isolante, mais également pour plonger le spectateur dans un monde merveilleux qui lui permettrait de s’évader hors de son quotidien. Depuis cet instant, les projections de films ont toujours été accompagnées d’épisodes musicaux. Au fil des ans, on assistera cependant à une évolution certaine du langage de la musique de film.

Avec l’avènement du parlant et de la mise au rencart des improvisateurs qui ponctuaient les rebondissements du scénario, la musique devra coller à l’image dans une version immuable, et les diktats qui en régissent sa création basculeront inévitablement. Un compositeur de musique de film doit établir un dialogue serré avec le réalisateur avant même de sommer l’inspiration. Il doit comprendre la place que la musique occupera dans telle ou telle séquence. Les premières rencontres s’avéreront donc cruciales. Le cinéaste s’exprimera souvent en termes d’images, de couleurs (« Je veux de la musique bleue »), d’impressions (« Je veux que le spectateur sente l’amour de A pour B même s’il n’a jamais été exprimé ouvertement. »), langage fort déroutant pour un spécialiste du matériau sonore. Le compositeur Anthony Rozankovik, qui a participé à de nombreux projets de films, par exemple L’œil du loup (en 1997) ou Les Contes du cimetière (un projet très récent), l’explique ainsi.: « Chaque réalisateur a sa façon de voir ce que représente la musique. Dans certains cas, il veut une musique qui souligne l’action.; dans d’autres, la musique sera plutôt en opposition.: elle ira contre l’image projetée. D’autres musiques seront simplement en filigrane afin de faire ressortit la force de l’image ». L’impact d’une musique de film se mesure plus souvent à la manière dont elle va côtoyer l’image plutôt qu’à l’originalité du traitement du matériel thématique. À part les grands thèmes plus élaborés que le public continue de fredonner des années durant — On n’a qu’à penser au piano hypnotique du film du même nom de Michael Nyman, à la lyrique chanson de Lara tirée du Docteur Zhivago de Maurice Jarre ou à l’impayable thème de La panthère rose de Henry Mancini pour s’en convaincre. —, les meilleures musiques de film sont souvent les moins envahissantes, ajoutant une profondeur à l’image mais sans l’écraser. La musique parle avant tout à l’inconscient.

Pour chaque thème retenu dans un film, les compositeurs devront potentiellement en écrire une dizaine. Ils admettent volontiers ne pas toujours être en mesure de juger de la pertinence d’une musique plutôt que d’une autre. En cherchant désespérément à éviter les clichés, ils se privent souvent de thèmes à l’efficacité cinématographique redoutable. Ennio Morricone racontait à la presse assemblée lors du dévoilement sur le sol des Champs-Élysées d’une plaque dorée portant son nom et sa signature, le 2 avril dernier, qu’il avait envoyé une dizaine de thèmes à Brian de Palma pour le retour triomphal des hommes d’Elliot Ness dans Les intouchables, spécifiant même de ne pas utiliser la cinquième version, qu’il jugeait musicalement trop faible. Bien sûr, de Palma a choisi cette version parce qu’il considérait qu’elle se mariait à merveille avec l’image proposée.

Les techniques ont également évolué avec la présence du protocole MIDI qui, depuis 1982, permet de transformer, avec un seul clavier relié à des synthétiseurs, le thème choisi en une palette sonore multiple, du son imité de « vrais » instruments (violon, clarinette, etc.) aux sons électroniques créés de toutes pièces. Le dialogue entre compositeur et réalisateur s’en trouve d’autant allégé. On appuie sur un bouton et le thème peut être entendu, présenté dans une variété de registres, dans un tempo différent ou dans une tonalité particulière. Les logiciels de composition (l’équivalent d’un traitement de texte performant) permettent également l’impression d’une partition claire, précise, facile à déchiffrer pour les musiciens recrutés pour l’enregistrement de la bande sonore. Il est à noter ici que ces séances sont souvent entourées du plus grand secret. Quand on a endisqué la trame sonore du dernier Star Wars, à Londres, les partitions ne sortaient pas du studio et les musiciens de l’orchestre devaient tous signer une clause de non-divulgation du matériel avant la date de la première.

Le monde de la musique de film reste en pleine évolution. Quand les musiciens classiques « sérieux » parlaient de musique de film il y a 30 ou 40 ans, ils exprimaient un certain mépris, considérant cette musique comme de troisième ordre. Aujourd’hui, la qualité de la musique de film n’a plus besoin d’être démontrée. Rozankovic parle d’ailleurs « d’une forme d’art à part entière », même s’il n’y consacre pas toutes ses énergies. On s’éloigne de plus en plus du violon sirupeux qui doit absolument (!) accompagner la déclaration passionnée des amants ou des dissonances stridentes et de l’accord de septième diminuée sensées plonger les spectateurs des films d’horreur dans l’angoisse la plus profonde. Plusieurs compositeurs de renom y trouvent un défi à la hauteur de leurs attentes. On peut penser à la musique de John Corigliano composée spécifiquement pour Le violon rouge, à celle de Gabriel Yared pour Le patient anglais, ou à celle oscarisée cette année de Tan Dun pour Crouching Tiger, Hidden Dragon. Les bandes sonores se vendent très bien et leur impact est indéniable. Sans la présence de musique, certains films n’auraient peut-être jamais vu le jour. Comme le disait le cinéaste Robert Bresson, « la musique évoque toujours des images, les images n’évoquent jamais de la musique ». Plus que tous les autres arts, la musique plonge l’auditeur dans un imaginaire que même la magie du cinéma ne pourra jamais égaler.

Pour les boulimiques de musique de film, quelques sites à visiter

  • www.traxzone.com.: le magazine français de musique de film. Touffu à souhait, on y retrouve des entrevues, des dossiers, des critiques de disques, les dernières nouvelles. Un incontournable.
  • www.classicalrecordings.com/johnwilliams.: la page officieuse consacrée à John Williams, extrêmement fouillée.

Comme les deux doigts de la main

Comment expliquer qu’aux films les plus connus soient souvent associées les plus belles partitions.? Certains duos compositeurs-réalisateurs ont su faire leurs preuves.: Federico Fellini et Nino Rota, Sergio Leone et Ennio Morricone, Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann, Blake Edwards et Henry Mancini, François Truffault et Georges Delerue, Tim Burton et Danny Elfman. Le tandem le plus prolifique des derniers 25 ans reste certainement celui qui unit Steven Spielberg et John Williams. De Jaws (1975) à La liste de Schindler (1993), sans oublier Rencontres du troisième type (1977), Les aventuriers de l’arche perdue (1981), E.T. l’extra-terrestre (1983), Jurassic Park (1993) et les incontournables Star Wars, les succès continuent de s’accumuler. Les puristes peuvent bien prétendre que les films de Spielberg s’adressent à la masse et que les musiques de Williams sont trop hollywoodiennes, il faut tout de même admettre que les deux hommes ont développé un rapport image-musique qui parle aux cœurs des foules.

 


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