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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 1

Santé -- L'équilibre de l'interprète: la clé pour maîtriser le trac

Par Sarah Silvermyn / 1 septembre 2000

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La musique est le langage universel. La communication privilégiée entre un musicien et le public peut être une expérience enrichissante, mais peut aussi être étouffée par une accumulation de stress, de tension et d'anxiété écrasante.

Outre les tensions normales de tous les jours, les musiciens évoluent dans un monde de concurrence féroce où, semble-t-il, il se trouve toujours quelqu'un pour jouer la même musique avec plus d'aisance et de maîtrise. Le musicien craint sans cesse d'être démoli par les critiques, des collègues ou des amis, ce qui le porte à ne viser que la perfection. Ce type de stress peut entraver le développement musical - et pourtant, bien utilisé, il peut devenir un puissant facteur de motivation. Les musiciens incapables de composer avec l'anxiété s'en trouvent paralysés. Ce n'est pas la pression de l'exécution qui provoque cette anxiété débilitante, mais le manque de coordination entre le corps et l'esprit. Pour être à leur meilleur, les musiciens doivent apprendre à libérer les tensions et à établir un équilibre harmonieux.

Selon le psychologue Paul Lehrer, auteur du livre Performance Anxiety and how to control it: A Psychologist's perspective, nos corps sont créés simplement pour trouver de la nourriture et un abri et se reproduire. Dans une situation mettant la vie en danger (être pourchassé par un ours, par exemple, versus les dangers d'un prochain concert), notre corps réagit suivant un mécanisme primitif d'autoprotection appelé « réaction de combat ou de fuite ». En situation d'urgence, nous gagnons en vigilance, force, rapidité et agilité. (Les paumes et pieds moites augmentent l'agilité pour grimper sur un rocher ou à un arbre, mais quel désastre si l'on joue d'un instrument de musique!) La tension musculaire augmente pour protéger le corps. Les vaisseaux sanguins superficiels (surtout aux extrémités) se resserrent. Cela réduit le sang perdu en cas de blessure, mais provoque la sensation de froideur aux mains et aux pieds que les musiciens connaissent. Dans une situation de « combat ou fuite », l'afflux sanguin dans les grands muscles s'accroît. C'est parfait pour échapper à un ours, mais la coordination musculaire fine, indispensable aux musiciens, en est diminuée. La connaissance de ces réactions physiques primitives à l'anxiété et la compréhension du caractère normal du mécanisme en cause peuvent aider à réduire la panique. Le défi auquel chaque musicien fait face, c'est d'apprendre comment travailler avec ces réactions naturelles et les tourner à son avantage.

La tension peut également être dangereuse

Le jeu d'un instrument fait appel au corps entier, mais cela est surtout très exigeant pour les petits muscles. Le moindre mouvement entraîne des réactions musculaires en chaîne. Si un violoniste joue en pressant le menton dans la mentonnière, l'épaule réagira en se haussant. L'articulation du bras se bloque et se raidit, ce qui peut entraîner des douleurs au cou, au dos et dans le bras.

La pianiste Madeline Bruser, dans The Art of Practising: A Guide to making Music from the heart, rappelle l'importance des pauses fréquentes durant les séances d'exercices, afin de relâcher le stress musculaire. Le coeur et les poumons fonctionnent peut-être normalement, mais nos muscles ont néanmoins besoin de repos. Il peut être extrêmement dangereux de s'exercer malgré la douleur, et cela peut même écourter une carrière, comme ce fut le cas pour Leon Fleischer. « Il y avait un côté macho à m'exercer jusqu'à franchir le seuil de la douleur, a-t-il reconnu. Même quand ma main était épuisée, je continuais. Je croyais renforcer mes muscles alors qu'en réalité ils s'affaiblissaient. »

Le plus souvent, la tension psychologique mène à une perte d'expression de l'émotion et de la communication musicale. L'usage inefficace de muscles tendus produit un son plus étouffé, ce qui incite le musicien à utiliser encore plus de force, à resserrer sa prise et à augmenter la tension. Lorsque la tension physique est relâchée, le son produit est au contraire plus rond, chaud, pur, maîtrisé.

Apprendre à se détendre

Les musiciens doivent apprendre à utiliser leur corps de façon plus naturelle. Il existe diverses techniques de relaxation physiologique. L'une des formes les plus simples, « la conscience du souffle », a été découverte il y a des siècles par le Bouddha. C'était au début un type de méditation centrée sur la respiration, surtout l'expiration, qui visait à libérer l'esprit et à détendre le corps. Nous avons souvent tendance à accélérer le processus naturel de la respiration, et, dans des situations de stress, nous retenons même notre souffle, comme si cela pouvait aider à diminuer le stress! Souvent, quelques simples expirations peuvent relâcher quantité de tension complexe. La musicienne Carola Grindea explique que les pianistes jouant un passage techniquement exigeant cessent parfois de respirer et expirent fortement à la fin de la section. Cela ne peut qu'augmenter la quantité de tension dans le corps. Si le pianiste apprenait à expirer lentement avant le passage, le raidissement interne du corps en serait diminué.

Une autre technique utilisée pour réduire la tension a été élaborée par Frederick Mathias Alexander. Lui-même musicien, Alexander souffrait de pertes de voix durant les récitals. Il a créé la technique Alexander après des années d'observation des fonctions du corps humain. Il a découvert que le contrôle primaire, soit l'interaction entre la tête, le cou et le dos, influe directement sur la qualité de l'activité à laquelle nous nous livrons. Nous avons tous des habitudes qui nous amènent à mal nous servir de notre corps, rappelle Hope Martin, un professeur de la technique Alexander dont Madeline Bruser cite l'observation suivante: « Notre sens kinesthésique - c'est-à-dire de la position et des mouvements du corps - s'adapte à nos habitudes et les juge appropriées. Ainsi, nous croyons parfois nous asseoir ou bouger d'une façon alors que nous faisons en réalité quelque chose de très différent. » En fait, Alexander provoquait lui-même son aphonie. Lorsqu'il a commencé à utiliser son corps sans interférer avec le contrôle primaire, son problème a disparu.

Les professeurs de cette technique centrent les exercices sur le relâchement du cou et l'allongement du torse, ce qui réduit les tensions inutiles. Les élèves apprennent également à laisser les choses arriver plutôt que de les « faire ». Cette idée de « faire » quelque chose, en se disant par exemple « Je vais me lever de cette chaise », provoque une tension instantanée, bloquant la tête et le cou et raidissant le dos.

Il est extrêmement important de se libérer des tensions physiques, non seulement pour jouer d'un instrument, mais aussi pour l'état mental de l'interprète. La professeure de la technique Alexander et pianiste Nelly Ben-Or va jusqu'à affirmer, dans The Alexander Technique and Performance, qu'aucune personne « mentalement troublée ou malade ne montre aucun signe d'un bon usage équilibré de la coordination corporelle ».

Éviter les pensées négatives

Tout comme nos réactions physiques influent sur nos émotions, nos pensées influent sur nos façons d'agir et de nous sentir. En se critiquant et en s'attendant sans cesse au pire, les musiciens peuvent s'enfermer dans une réalité aussi tordue que stressante. Ils peuvent se convaincre qu'ils ne sont pas assez bons pour que leur art soit jamais à la hauteur des attentes des autres. Selon Barry Green, auteur de The Inner Game of Music, si nous désirons utiliser notre plein potentiel physique, il faut éviter les pensées négatives. La crainte de l'échec peut pousser aux recherches anxieuses. « Ce genre d'expérimentation repose sur le doute, souligne-t-il. Si nous ne doutions pas de nos capacités, nous n'aurions pas besoin d'essayer n'importe quoi. On n'essaie pas de s'asseoir et d'attraper le journal quand on rentre du travail, n'est-ce pas? »

Il n'existe aucune solution simple et définitive pour réduire l'influence de nos pensées sur notre musique. Chacun doit développer ses propres aptitudes selon ses propres besoins. Pour certains, une simple technique de méditation comportant la répétition d'un mantra quelconque (n'importe quel mot apaisant, sans signification) peut bloquer les inquiétudes. Le mantra utilise les mêmes voies cérébrales que le langage. Comme on ne peut penser à deux mots à la fois, le mantra peut s'avérer fort utile pour combattre les pensées négatives ou importunes.

La « restructuration cognitive » est une méthode permettant de prendre conscience de pensées qui influent sur nos sentiments ou actions et à utiliser cette conscience pour modifier les attitudes. Dans les moments d'anxiété, nos pensées peuvent devenir irrationnelles et nous empêcher de voir les choses avec recul. En modifiant les attitudes négatives et en acceptant l'anxiété comme une réalité, on peut faire disparaître une grande partie des pressions et tensions qu'on s'inflige soi-même.

Troubles de comportement

En plus de susciter des conflits physiques et mentaux, l'anxiété peut aussi mener à des troubles de comportement. Les musiciens peuvent cesser de s'exercer ou sauter les passages difficiles. Ils doivent lutter contre une telle réaction, car aucune technique d'adaptation ne peut remplacer une bonne préparation artistique.

Il est de toute première importance de se bien préparer pour les concerts au moyen d'exercices sérieux et efficaces. La réaction physiologique de « combat ou fuite » amène le corps à un état d'hypervigilance. Les notes peuvent soudain ressortir sur la partition, les doigtés compliqués dans un passage regardé rapidement en répétition peuvent faire problème. Il est difficile d'apprendre à combattre l'envie d'éviter le travail exigeant. Il existe en psychologie un phénomène bien connu, appelé « effet d'incubation ». Plus longtemps on évite d'affronter une situation menaçante et plus grande sera l'anxiété au moment d'y faire face. Madeline Burser recommande de s'exercer à s'exécuter devant un auditoire et de s'habituer à faire des erreurs. Après tout, la perfection technique absolue est humainement impossible.

Le temps que les musiciens consacrent aux exercices est moins déterminant que la qualité de ce temps. Souvent, les musiciens répètent sans joie des sections difficiles dans l'espoir désespéré de s'assurer une sécurité technique. Toutefois, la valeur d'un exercice n'est égale qu'à l'état d'esprit dans lequel il s'effectue.

L'anxiété fait naturellement partie de la condition humaine. Elle ne peut être complètement éliminée et, en vérité, bien maîtrisée, elle peut enrichir tant la vie que la musique. Carola Grindea décrit l'anxiété comme une forme d'électricité. Bien exploitée, elle produit lumière et énergie, sinon elle peut devenir destructive et dangereuse. L'acquisition des aptitudes nécessaires pour composer avec l'anxiété est un processus graduel. Ce n'est plus le moment, la nuit précédant un concert, d'avoir une révélation et de décider d'expérimenter de nouvelles techniques. Dans la mesure où l'on est conscient du corps comme d'un tout et où l'on utilise ses fonctions naturelles, on pourra en arriver à un équilibre harmonieux entre le corps et l'esprit. Cet équilibre permettra au musicien de se préparer avec confiance à l'expérience du concert. L'anxiété ne sera plus une menace, mais un outil. Comme Hoch, ce grand philosophe, l'a observé un jour, « Pourquoi l'avertisseur devrait-il brûler la maison? »


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(c) La Scena Musicale 2002